Les jeux de rôle tout comme les comic books ont un souci qui est de rendre peu à peu le fantastique "banal" au point de changer profondément les "lois" de la réalité. Dans les comic books, on commence à avoir du mal à imaginer ce que peuvent ressentir nos homologues de ce monde imaginaire qui se fait envahir par des extraterrestres toutes les semaines et qui n'ont donc plus rien à voir avec notre humanité. Dans les jeux de rôle fantastiques, on doit réfléchir aux conséquences de la magie quotidienne dans toutes ses conséquences et les scénarios d'enquête se heurtent à la puissance de la magie où on peut utiliser télépathie, clairvoyance, résurrection, nécromancie pour court-circuiter les enquêtes ordinaires.
Je crois que ces difficultés introduites par la magies expliquent en partie la construction des Vallées Exaltées, un cadre de jeu et une campagne ("Une Ombre Parmi Eux") de 266 pages pour D&D, écrit par le créateur français de jeu informatique Renaud Bartens (chez Inkplot, Compagnie québécoise).
La magie est très présente et utilisée pour donner des Lois nouvelles qui perturbent et altèrent les conventions magiques habituelles du jeu et redonne un rôle aux enquêtes. Le cadre n'a pas vraiment de divinités classiques car ces anomalies fantastiques sont considérées comme des sortes de manifestations physiques des miracles (mais il y a aussi les Constellations qui jouent un rôle proche des dieux).
Par exemple, dans les Vallées Exaltées, un étrange Livre des secrets absorbe tous les secrets qu'on voudrait révéler par voie occulte. Toute magie qui tente de découvrir ou lire une information par n'importe quel moyen (même un simple sort de "Détecter mensonge") perd cette révélation qui est reprise dans le Livre. Elle ne peut être retrouvée que par une Oracle liée à ce Livre. Des prêtres (à Jira) recueillent ses oracles et peuvent ensuite les revendre aux enchères mais le processus est donc très indirect et plus long qu'un simple sortilège de clairvoyance. L'Oracle aveugle de Lusan est une autre exception qui a ses propres pouvoirs de divination qui échappent au Livre des secrets et ceux qui s'approchent d'elle peuvent être aussi contaminée par des pouvoirs de visionnaires involontaires (d'où le fait que Lusan est la Cité des Devins).
Dans une autre Vallée (Xaltas), les âmes des défunts qui viennent de mourir doivent comparaître devant un tribunal et il suffit qu'une âme vivante trouve à redire contre ce défunt pour qu'il ne puisse pas ressusciter. Cela implique qu'aucune personne un peu célèbre ne peut espérer se faire ressusciter malgré toute sa fortune et qu'un assassin a le droit d'être une âme qui exprime des doléances contre sa victime et empêche ainsi toute dénonciation par le mort. Une exception sur la mortalité est le Carnaval itinérant des Immortels où nul ne peut mourir tant qu'il continue de suivre les roulottes sinistres du Carnaval.
Il y a bien d'autres effets magiques (dont des courants d'énergie qui peuvent trop augmenter la puissance magique ou au contraire la réduire) et d'autres vallées altérées, comme :
la vallée où nul ne peut plus rêver si les Tisseuses de rêve n'ont pas fait l'acquisition d'un nouveau récit par des voyageurs (les histoires des Bardes sont donc devenues une ressource désirée),
la vallée où tout peut s'échanger (littéralement), y compris les expériences vécues et les compétences acquises (on peut y devenir un expert d'un domaine en un seul échange si on troque d'autres connaissances et le Maître du Soleil Eteint y a accumulé sur des générations d'immenses connaissances des arts martiaux),
celle où la couleur jaune ne peut exister car elle devient invisible,
ou bien celle où toutes les femelles de toutes les espèces tombent enceintes la même nuit fixe de pères inconnus.
Je ne veux pas toutes les énumérer mais on voit que c'est un style fantastique assez original par rapport au D&D standard, malgré tous les elfes, nains ou gnomes. Cela ferait penser à du Rêve de Dragon de Denis Gerfaud et cette ambiance de contes explique sans doute qu'on n'insiste pas vraiment sur une chronologie historique ou sur la religion.
La campagne Une Ombre parmi eux (environ 195 pages sur les 265 du bouquin) utilise ce cadre particulier pour créer une intrigue qui paraîtrait absurde ou tirée par les cheveux avec des lois différentes. Je dois d'ailleurs avouer que je n'ai pas bien compris dans ce survol le Plan de certains PNJ tant il est alambiqué et (en apparence) contradictoire et je suis curieux de voir si une enquête pourrait trouver la vérité dans un univers où la révélation des secrets est elle-même une rareté.
4 commentaires:
Je suis surpris et bien content que tu parles de ce setting / campagne de DD5. Celle-ci m'avait l'air d'être passée sous les radars ou bien d'avoir reçu un accueil assez froid. J'ai pledgé et j'ai fait un rapide survol de ce monde. J'ai du mal a avoir une idée définitive sur cet objet. Il y'a d'excellentes idées mais je ne sais pas si l'ensemble peut prendre. J'ai l'impression d'un patchwork éclectiques d'ambiance et cela peut très bien fonctionner dans la tête ou à la table du/des créateurs mais à réutiliser cela me semble difficile.
Si tu te fais un avis plus précis je serais ravis te te lire.
Je suis un peu hésitant aussi. Il y a plein de bonnes idées dans cette "mosaïque" fantastique mais j'ai le même souci avec Rêve de Dragon, que je trouve beau et poétique mais où la cohésion me manque. Le simple fait de ne pas avoir mis de chronologie et de cosmogonie montre bien qu'on a avant tout une région onirique plus qu'un "univers". Comme région à ajouter à un univers classique, cela risque de détonner un peu (on dit sur CasusNO que les classes sont déséquilibrées) mais si on joue des pré-tirés qui exploitent des particularités de la région, cela devrait marcher.
Comme amateur de villes, je suis un peu désappointé par la Cité de Lusan, la Cité des Oracles qui sert de centre du jeu dans la campagne.
Une vidéo de RolisteTV la comparait avec Ptolus (!) et Laelith et c'est une exagération qui ne peut que nuire à la comparaison. Lusan a une très belle carte et de bonnes idées politiques avec son système oligarchique compliqué, mais en juste quelques pages (contre sans doute plusieurs centaines pour Ptolus ou Laelith), c'est plus une atmosphère que tout un cadre de PNJ - à moins qu'il y ait des extensions ?
Je verrais bien des extensions avec des scénarios forts et originaux qui exploiteraient les particularités du cadre proposé (comme la résurrection ou le Carnaval....) ou alors des points géographique précis comme la ville de Lusan. Je ne sais pas si les auteurs vont donner suite à leur tentative. Je n'ai que très peu de retour sur cette campagne (d'où ma surprise quand tu en as parlé).
Non, je crois que ce n'était qu'un "one-shot" et que les auteurs, qui viennent du jeu vidéo et qui parlaient de cette campagne comme leur hommage à leur passé de rôlistes, n'avaient pas envie de poursuivre.
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