dimanche 16 juillet 2023

Le Prince Oribeau (1785)

Les Mystifications et la naissance des épopées nationales

James Macpherson prétend traduire en anglais Ossian du gaélique (écossais) en 1761-65. C'est un énorme succès même si des auteurs britanniques se doutent qu'il n'y a pas de source écrite authentique et le livre est traduit en français par Pierre Le Tourneur (aussi traducteur de Shakespeare) en 1777. 

Nicolas Restif (notre célèbre "Restif de la Bretonne", imprimeur, indicateur de police et pornographe) édite son Prince Oribeau en 1785, huit ans après la traduction d'Ossian

Restif raconte dix ans plus tard que c'est son éditeur qui lui a imposé le titre de Veillées du Marais alors qu'il aurait préféré Le prince Oribeau (le titre complet est Les Veillées du Marais, ou Histoire du grand prince Oribeau, roi de Mommonie, au pays d'Evinland, et de la vertueuse princesse Oribelle, de Lagenie ; tirée des anciennes annales irlandaises et récemment translatée en français par Nichols Donneraill, du comté de Korke) mais c'est peut-être une de ses nombreuses mystifications. 

En pleine Passion pour Ossian, ce mythomane de Nicolas Restif prétend traduire du gaélique irlandais ce conte fantastique qui est une satire politique sur les Despotes du XVIIIe. Une particularité (peut-être pour imiter le grec et paraître plus exotique) est que les 26 chapitres ont des lettres alphabétiques au lieu de nombres. Il met souvent des Notes dont certaines pour dire que le manuscrit a dû être obscurci par des éditeurs antérieurs, ce qui expliquerait des anachronismes et autres erreurs. Ce n'est pas la technique de l'unreliable narrator mais de l'unreliable stemmatics

Un creuset de fusion de la fantaisie épique

Restif y utilise plutôt des dieux germaniques (Thor, "Worden" et Frigga). J'ai cru que c'était à cause de la période de la conquête Viking mais il dit que Thor est aussi un dieu celtique (et il appelle les bardes des Skaldes). Il ajoute aussi des divinités complètement inventées, avec des sonorités qui évoquent parfois la retranscription française du persan ("Princesse Dadameh") ou de langues amérindiennes, voire des Mille et Une nuits. Il y a par exemple Vananis, déesse de l'espérance, Berda, dieu soleil, fils de Thor...  Il n'essaye pas toujours d'imiter le moins du monde le gaélique (les noms des héros sont du français Oribeau / Oribelle). 

On assiste là à cette naissance de l'heroic fantasy moderne dans le proto-romantisme gothique en fusion de mythes de diverses cultures comme plus tard Thalaba the Destroyer (Mille et Une nuits, 1800) ou Madoc (Gaélique + Amérindiens, 1805) de Robert Southey. 

Oribeau (dont le nom dérive peut-être vaguement d'Aubéron ?) y est un Prince de "Mommonie" (c'est-à-dire en gaélique le Mhumhain ou royaume de Munster, au sud de l'Irlande) au "Pays d'Evinland" (allusion à la tribu des Iverni et Hibernia ??), dont la capitale est la cité de Waterford (Veðrafjǫrðr, fondée par les Vikings au Xe siècle, ou "Port Láirge" en gaélique). On devrait donc être au Moyen-Âge et non pas à une époque antique. 

L'histoire oscille entre deux royaumes d'Irlande, la Mommonie (Munster) et la Lagénie ((Laighean, ou Leinster). Une dimension importante pendant une majeure partie du livre est la parodie (assez ennuyeuse pour nous aujourd'hui) des récits d'éducation des Princes comme le Télémaque (1699) de Fénelon. La formation d'Oribeau est un prétexte pour une satire politique. Restif le rééditera ensuite sous la révolution sous le titre L'instruction d'un prince. La censure royale de 1785 ne s'y trompa pas et craignit de trouver un roman à clef qui se moquait en réalité de la Cour de Louis XVI. Le Ministre Dondanuck persécuté par les nobles doit par exemple être une allusion à Jacques Necker (Premier ministre de 1777 à sa démission un peu forcée en 1781). 

Le début du roman

Le Roi OFacfac de Mommonie n'arrivait pas à avoir d'enfant. Pendant une chasse, il est séparé de son épouse Dadameh de Connacie (Connacht, ouest de l'Irlande). Dadameh est retrouvée par le nécromant Dondanuck qui lui annonce qu'elle va bientôt donner naissance à un fils. Elle est ramenée par une mule qui n'est autre que la fée Wrwcwcw. [Dans son édition anglaise, Brian Stableford a ajouté d'autres récits de Restif qui font allusion à cette même fée Ouroucoucou] La fée Pucellomaneh de la Maison de Lagenie s'arrange aussi pour la réunir au Roi O Facfac et donner naissance au Prince Oribeau

Dans le royaume de Lagenie, la Princesse coucha avec sa maîtresse Maidman [dont le nom rappelle Pucellemaneh] qui changea de sexe pendant leurs ébats, ce qui donna naissance à la Princesse Oribelle. Sa mère, qui se croyait toujours vierge, crut qu'un Génie devait être le père et mit du temps à comprendre que son ami.e Maidman avait "fait sa transition". 

En Mommonie, le Sorcier Dondanuck devient le nouveau régent avec Dadameh quand le Roi OFacfac est frappé de sénilité. Il tente d'imposer une législation révolutionnaire d'égalité où les biens seraient redistribués périodiquement. La noblesse se révolte contre les projets politiques très ambitieux du Ministre et Dondanuck se concentre donc sur sa charge de Précepteur du Prince Oribeau avec le mage O'Barbo. Il visite incognito les nobles de Mommonie qui ne cessent de médire du Ministre Dondanuck, ce qui doit apprendre à Oribeau à se méfier des rumeurs de l'Opinion. Obarbo lui parle de son aïeul Oribeaumagne (Louis XIV) et de la liberté d'expression dont doivent jouir les écrivains. 

En Lagénie, les prêtres de Thor et de Worden tentent de sacrifier Maidman le Trans-homme (qualifié d'Hermaphrodite dans le texte) mais Pucellomaneh arrive sur un char volant tiré par des Rocs et des Condors et punit les prêtres en les changeant en taupes. La Reine de Lagénie engendre une seconde fille, Dinameh, sotte et méchante, qui ne sera délivrée que lorsqu'elle voudra bien épouser le Prince contrefait Beaudâme Cahincaha de Meath (ce qui vient bien sûr de Riquet à la Houppe de Perrault, 1697). 

2 commentaires:

Guillaume a dit…

Le nom Oribeau m'évoque un peu des noms de personnages (certes presque toujours féminins) d'autres chansons de geste qu'Huon, comme la fameuse Orable, Oriande, ou bien encore Oriabel, qui connaît aussi une forme Oriabiaus.Bon, après, je ne vois pas d'analogie au niveau des personnages eux-mêmes.

Phersv a dit…

Oui, en tout cas, Restif de la Bretonne ne fait pas tellement d'effort pour sonner irlandais : il a vu chez Macpherson des noms comme Ossian et Oscar et ses personnages s'appellent Oribeau, Oribelle, Ofacfac & Obarbo. Ca a presque un côté Asterix dans la répétition !