Les Marais du temps (2007)
Le XXIe siècle va voir se multiplier les nouveaux voyages dans le temps de Spirou.
En 2007, le dessinateur Frank Le Gall fait un album dans la collection "Le Spirou de..." qui permet à un auteur d'expérimenter sa propre version du personnage. Les Marais du temps est à nouveau une histoire de Zorglub. Celui-ci a laissé un message en zorglangue pour avertir qu'il a voyagé à Paris au XIXe siècle mais qu'il s'est retrouvé bloqué. Il a besoin du Comte de Champignac et de ses amis pour venir le délivrer. Suite à un accident, Spirou et son équipe sont bloqués à leur tour et vont devoir trouver une source d'énergie (des champignons) pour revenir à leur époque.
Zorglub tente une opération de spéculation immobilière en achetant des terrains au XIXe siècle pour les revendre au XXe mais ses titres de propriété ont disparu quand il revient.
Aux sources du Z (2008)
A la même époque, c'est un autre voyage dans le temps qui va être mis dans la série "officielle" par Morvan & Munuera (et un collaborateur au scénario, Yann).
Jean-David Morvan est Français mais il a fait ses études de dessin et scénario aux Instituts Saint-Luc de Bruxelles, ce qui doit lui assurer une certaine légitimité chez Dupuis pour reprendre Spirou (Rob-Vel, Jean-Claude Fournier ou Frank Le Gall étaient Français, contrairement à Jijé, Franquin, Nick & Cauvin, Tome & Janry). Morvan avait eu un des plus grands succès de la bd francophone comme scénariste depuis 1998 avec Sillages et il fut donc contacté pour reprendre la série de Spirou et Fantasio en 2004, avec le dessinateur espagnol Jose Luis Munuera (qui avait aussi travaillé avec Sfar). Ils arrivaient après une longue attente, après Tome & Janry (13 albums 33-46, 1984-1998, plus des histoires courtes qui commencent dès 1981) et la sorte de "redémarrage" que ces derniers avaient tenté avec leur album plus "réaliste" Machine qui rêve (1998 - en termes de comics américains, on dirait que cet album fut "retconné" hors continuité). Morvan & Munuera ne firent ensemble que 4 albums de Spirou, les n°47-50 (2004-2008 - Morvan a fait aussi un essai de "manga Spirou" et Jose Luis Munuera est depuis revenu seul sur la série dérivée Zorglub).
Il y a un petit côté de retour aux sources chez Morvan, qui réutilise notamment en plus de la référence à Franquin le surnaturel avec des sorciers des années Jean-Claude Fournier (le scénariste de toutes les années 1970, des n°20-28).
Dans leur premier numéro, le n°47 Paris-sous-Seine (2004), Spirou affronte Miss Flanner, une ancienne camarade de Champignac et Zorglub (ils en étaient tous deux amoureux) tente d'utiliser une invention de Champignac qui inonde tout Paris. Miss Flanner est gravement malade et même mourante. On apprendra que son cancer a été causé par une expérience nucléaire dans la jeunesse. Spirou éprouve aussi une certaine attirance pour son adversaire Miss Flanner.
Dans le n°50 Aux sources du Z (2008), Jean-David Morvan collabore avec le scénariste Yann (à ne pas confondre avec le dessinateur Yoann, qui reprit Spirou par la suite). Yann Lepennetier (né en 1954), c'est le "provocateur", l'anar (de plus en plus) de droite devenu tonton gênant travaillé par la libido refoulée du personnage franco-belge et renvoyé de Dupuis quelques années avant.
[Petite parenthèse hors-sujet sur ce second scénariste quand il revient chez Dupuis. Ses défenseurs diront qu'il introduit une ironie salutaire, dans l'esprit du côté trickster qui a toujours existé chez cet espiègle groom, mais on peut aussi trouver cela juste boomer dans ses satires. Yann venait de parler l'année d'avant de la vie sexuelle de Spirou dans un one-shot hors continuité, Le tombeau des Champignac, 2007. Il y montrait une Seccotine qui parlait de ce qu'elle pensait être la relation homosexuelle de Spirou et Fantasio, qui se faisait plus ou moins violenter par Spirou et qui plaquait ensuite le pauvre Spirou pour un homme plus riche. Yann a récemment repris le même sujet de la vie sexuelle en milieu Marcinelle dans son album lourdingue qui a été censuré par Dupuis (en raison des codes graphiques sur les personnages noirs, pas tellement à cause du sexisme) La gorgone bleue (2023). Champignac y prend des champignons-viagra pour devenir ithyphallique et Seccotine y est homosexuelle. On peut à la fois déplorer la pudibonderie dévote franco-belge tout en trouvant le désir de pastiche officiel de Yann un peu lourd (de même quand il s'était moqué vers 1980 dans les petits dessins en haut de page du magazine des mensurations de Yoko Tsuno, ce qui faisait très beauf à la Depardieu).
Mais revenons à notre sujet, au voyage dans le temps, pardon.]
Zorglub décide de sauver Miss Flanner, qui va bientôt mourir du cancer à cause d'une irradiation au plutonium des années avant. Zorglub montre à Spirou une invention, le pistolet à voyager dans le temps et explique qu'il s'oppose à Champignac en ayant décidé de changer le passé (Miss Flanner semble plus admirer l'intelligence de Pacôme mais avoir plus en commun avec le pragmatisme immoral de Zoglub). Il est aussi impliqué que le pistolet avait été fabriqué en trois exemplaires depuis plusieurs années par le trio Champignac-Flanner-Zorglub mais que Champignac a détruit le sien de crainte que cela ne puisse détruire le continuum temporel. Depuis quand l'avaient-ils ? Si Flanner avait déjà le pistolet avant, pourquoi ne l'a-t-elle pas utilisé elle-même pour changer son passé ? Pourquoi Zoglub, si mégalomane, a-t-il besoin d'appeler à l'aide Spirou ?
Cette invention a toutefois une contrainte majeure : ce "pistolet" a besoin de viser un objet singulier pour ramener le tireur à un autre moment et au lieu où le même objet est déjà proche du même individu dans son passé. Il détruit aussi l'objet visé. Or, Zorglub sait que Spirou avait des gants de boxe (vus dans l'album n°1 de Spirou) qu'il portait exactement le même jour que l'expérience fatale de Miss Flanner. Spirou accepte le plan de Zorglub (ce qui suggère son affection pour Miss Flanner) mais il n'arrive pas à retrouver ces gants de boxe dans le présent. Spirou est donc forcé de remonter le passé par étapes, d'objets en objets (et donc d'albums en albums, le costume de gorille du n°11 puis le masque du n°8 puis les clefs de turbotraction du n°7 et enfin les gants de boxe du n°1) jusqu'à cette époque (en chemin, il séduit pour la première fois Seccotine qui n'avait jamais montré d'intérêt pour lui avant).
Spirou sauve Miss Flanner avant qu'elle ne soit irradiée mais l'expérience déclenche une petite explosion atomique. Spirou et la jeune Miss Flanner tombent tous les deux amoureux.
Cela crée une autre ligne temporelle où Spirou n'est jamais devenu aventurier (tout le monde le croit même mort pendant l'explosion en même temps que Miss Flanner) mais il a épousé Miss Flanner. Dans cet univers, Spirou & Flanner ont créé une Fondation humanitaire secrète en utilisant les inventions de la savante. Zorglub et Champignac ignorent que Flanner a survécu et ils sont restés amis sans être rivaux ; Zorglub n'est jamais devenu savant fou (mais contrairement à ce que croit le Spirou de cet univers, Zorglub a quand même inventé la Zorglonde).
Le Spirou de cet univers, allié de Miss Flanner, est très content de son nouveau sort. Fantasio a ramené dans ce nouveau présent le jeune Spirou du n°1 qui n'aurait donc jamais eu aucune de ses aventures des n°1-50.
La fin du paradoxe temporel n'est pas très claire à mes yeux. Morvan & Munuera voulaient-ils vraiment rebooter toute la série en faisant revenir un second Spirou, le jeune Spirou mais en effaçant tout le passé, y compris toute la boucle temporelle des n°47-50 ? Le n°46 de Tome & Janry aussi avaient joué sur la relation Spirou-Seccotine et avaient introduit un double de Spirou (un clone et non pas un homologue temporel).
En pratique, j'imagine que la continuité très vague de Spirou a effacé ces épisodes ? Y a-t-il des indices lors du retour de Zorglub de cet épisode ?
Mais peu importe l'idée de "continuité" au sens des comics américains, on n'est pas dans un scénario de Roy Thomas qui ne serait motivé que par le souci de recréer une cohérence rétroactivement. La multiplication des albums parallèles par plusieurs auteurs rappelle que la bd n'est pas du tout dans ce genre de cosmologie.
Le but de Morvan & Munuera devait plutôt être de rendre un hommage à toute la série dans ce n°50 pour les 70 ans du personnage (et d'insister au passage sur l'absence de relations sentimentales dans les aventures passées, en dehors de l'épisode Machine qui rêve de Tome & Janry : on commence deux intrigues à la fois pour Spirou mais je soupçonne là l'intervention du co-scénariste Yann comme c'est déjà dit plus haut).
Le voyage dans le temps est donc plus un outil pour replonger sur les variations de papier de la bd qu'un artefact de science-fiction. Un effet de décalage ironique est de jouer sur l'impossibilité chronologique d'aventures pendant 70 ans. Le retour vers le n°11 (paru en 1956, 4 ans avant l'indépendance du Congo) parle de franc congolais mais il se trouve que ce fut le nom de la devise aussi bien pour le Congo belge (1887-1960 et même au début de l'Indépendance) et à nouveau de nos jours après la fin du Zaïre en 1998. La fameuse turbotraction de Franquin dans l'album n°6, 1955 (pré-publié dès 1952) est censée être un nouveau prototype et il est plus difficile de prétendre la détacher de son époque. Le retour au n°1 semble clairement être plusieurs décennies avant le présent alors que Spirou ne semble avoir vieilli que d'une douzaine d'années tout au plus. Spirou utilise une "chronologie flottante" et le voyage dans le temps a plus pour objet de manière post-moderne (ou "métafictive") cette contradiction entre le temps réel de l'édition et le temps fictif du feuilleton et des divers épisodes. Spirou avait commencé dans sa première apparition en sortant de la toile de Rob-Vel et là, il voyage entre les cases, presque aussi littéralement que dans Imbattable de Pascal Jousselin.
Le titre de cet album est donc assez trompeur : il porte bien plus sur l'essence de Spirou sur plusieurs décennies que sur les origines de Zoglub (et je ne crois pas que la série Zorglub de Munuera soit revenu dessus non plus).
La Chevauchée temporelle (2013)
Les histoires plus récentes de Spirou s'affranchissent désormais de tout semblant d'illusion de continuité temporelle. Même la série officielle peut soudain sauter du temps de l'URSS ou en pleine Crise des Missiles de 1962 et revenir plus tard à notre époque.
L'histoire courte "La chevauchée temporelle" par les auteurs Fabien Vehlman & Yoann (parue dans le Spirou spécial 75 ans, n°3914, 17 avril 2013) entraîne à nouveau Spirou dans une aventure imaginaire à travers diverses époques. Ce fut repris dans le hors-série n°5, Les folles aventures de Spirou (2017, compilation où Spirou devient aussi un sidekick de Batman et Supergroom).
3 commentaires:
Comme je sens que je vais regretter l'excursus sur Yann : oui, la censure par Dupuis était une mauvaise idée contre-productive (notamment parce que cela lui fait de la pub et que c'est exactement ce qu'il recherchait). Le problème principal était que ce album est très médiocre mais certes, il en paraît beaucoup. Les thèmes sont aussi particuliers. Alors que l'extrême droite monte partout dans la réalité, faire un album où le péril à dénoncer vient de méchantes féministes écolos qui sont en fait des hypocrites capitalistes, cela en dit long sur une certaine idéologie.
Mais Le Groom Vert-de-gris de Yann & Schwartz (2009) synthétise beaucoup de choses sur les origines de Spirou et la Seconde Guerre mondiale.
Qui s'intéresse encore à Spirou?
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