1973. On devait y arriver. The Year Gwen Died.
Sur cette image d'Adam Hugues, Gwen est dessinée avec le vêtement qu'elle porte le jour de sa mort (avec le Pont de Brooklyn derrière elle). Une mauvaise habitude de beaucoup de dessinateurs est devenue de toujours la dessiner avec la même jupe, les mêmes bottes noires et le même manteau vert depuis 50 ans comme si c'était devenu une sorte d'uniforme telle qu'en elle-même l'éternité la change. Comme si c'était son costume.
Récapitulatif des années précédentes :
1966 Gwen est changée de Ice Princess en fille plutôt cool.
1967 Triangle avec MJ
1968 Le conflit se déplace vers la relation avec Spider-Man et le père de Gwen
1969 Faux "triangle" avec Flash
1970 La mort du Captain Stacy
1971 Le deuil de Gwen
1972 Gerry Conway semble se désintéresser d'elle.
Comme on l'avait dit en couvrant l'année 1968, les quatre numéros 115-118 sont une réadaptation d'une longue histoire Noir & Blanc qui était parue dans un nouveau magazine Spectacular Spider-Man n°1.
A nouveau, Peter et Gwen se réconcilient après la crise de jalousie de Peter et elle répète qu'il n'y avait rien entre Flash et elle.
Mary Jane est à nouveau avec Harry Osborn mais c'est peut-être un problème de continuité causé par la "rediffusion" de l'épisode dessiné en 1968. MJ a rejoint la campagne électorale d'un certain Richard Raleigh, plus difficile à classer politiquement que le procureur Bullitt en 1971. Le charismatique Richard Raleigh est en gros "de gauche" sur des questions sociales mais très sécuritaire. Gwen et Harry rejoignent aussi la campagne alors que Peter n'est pas convaincu. Raleigh, qui est en réalité corrompu, meurt des suites de ses manipulations et Spider-Man décide de ne rien révéler pour ne pas nuire à la cause de ses militants.
Mais la relation Harry-MJ doit toujours être aussi mauvaise car Harry retombe dans la drogue. Gwen prévient Peter au n°120 que Harry a fait sa rechute à cause de son père, dont elle ignore qu'il est en train d'avoir des crises qui vont le re-transformer dans le Green Goblin (dessins par Kane/Romita).
Ce qui nous fait donc arriver au dénouement de tous ces 8 épisodes sur Gwen Stacy, le n°121, où le titre sur la couverture Turning Point n'est pas usurpé. Le vrai titre ne sera donné que dans la dernière case en un dénouement qui a dû choquer beaucoup de lecteurs.
Quelqu'un va mourir ! NOT an imaginary story!
Mais qui ?
Tante May ? Joe ou Randy Robertson ? JJ Jameson ? Harry ou Norman ? MJ ou Flash ?
Et qui l'a tuée ? Norman ? Peter ? MJ ? Gerry Conway ? John Romita ? Et si c'étaient les lecteurs ?
Je ne vais pas répéter les nombreuses interviews sur cet épisode célèbre. Les auteurs de Spider-Man trouvaient que le magazine s'était enlisé et se répétait. Il fallait un choc. Il fallait une tragédie.
Les récits sont parfois un peu contradictoires. D'après Conway, John Romita avait proposé de faire tuer Tante May (encore par Doc Octopus ?) mais Conway avait répondu que cela n'introduirait pas de suspense car May était la fragilité de Peter dont on annonce la mort imminente depuis le début. D'autres scénaristes re-tenteront de la tuer une autre fois (Amazing Spider-Man n°400, 1995) mais sa mort fut ensuite annulée d'une manière complètement débile trois ans après (Spider-Man n°97, 1998). En 1973, on décida donc de tuer Gwen Stacy pour que Peter en souffre plus. Conway, Romita et Roy Thomas ont tous dit qu'ils avaient sous-estimé les réactions des lecteurs et l'attachement envers un personnage secondaire.
MJ, Gwen et Peter viennent visiter Harry qui a pris du LSD. C'est la première fois que MJ est représentée avec une certaine "gravité".
Gwen est dans l'appartement de Harry et Peter quand passe le Green Goblin. Le Green Goblin connaît l'identité secrète de Peter et il vient dans son appartement en sachant très bien qui il peut viser dans l'entourage de Peter.
Le Green Goblin enlève Gwen et l'emmène à un pont. Quel pont ? Le texte dit explicitement que c'est le George Washington Bridge (tout au nord au-delà de la 175e Rue, 184 m de haut), qui est un pont entièrement métallique, mais Gil Kane a clairement dessiné les arches de pierre du beaucoup plus célèbre Brooklyn Bridge (tout au sud de Manhattan, 82 m de haut). Cela fait qu'il y a encore aujourd'hui une "controverse" : faut-il croire le dessin de Gil Kane ou le texte de Gerry Conway ? Gwen a-t-elle été jetée de 184 m ou de 82 m ? Stan Lee (qui n'a pas de mémoire fiable et ne fut pas le scénariste de l'épisode) a décrété que ce serait plus iconique du haut du Brooklyn Bridge mais la question est indéterminée. Mais on n'est plus à 100 m de différence.
Gwen semble bien inanimée sur le pont et Peter se dit qu'elle a dû s'évanouir sous le choc. Un retcon récent (dont je ne vois pas trop la nécessité, et pourtant c'est par Dan Slott) dans The Clone Conspiracy (2017) dit qu'elle était en réalité consciente et qu'elle avait eu le temps de comprendre que Spider-Man était Peter.
C'est le Gobelin qui la pousse dans le vide avec son glider (page 17) et Gil Kane utilise brillamment la verticalité sur cette planche.
Et là a lieu une des onomatopées les plus célèbres de l'histoire des comic books : SNAP!
Le bruit du coup du lapin (whiplash) alors que le héros a la fausse joie d'avoir cru la sauver.
Quand la toile arachnéenne atteint Gwen, elle doit être déjà tombée d'au moins plusieurs douzaines de mètres et le fil de la toile aurait du mal à contrecarrer la violence de cette force physique (quelle que soit la supposée "élasticité" et résistance de ce fluide ou soie d'araignée). Si elle a eu le temps de tomber de 42 m, au bout de 3 secondes, sa vélocité est d'environ 29m/s (environ 100 kmh). Si c'est 90 m, elle a atteint 42 m/s (150 kmh), plus très loin de la vitesse terminale (qui serait plus haute si elle restait tête la première). Je doute que Peter ait vraiment le temps de faire un swing pour descendre la récupérer et dépasser sa chute libre, et en 3 ou 4 secondes. Même un superhéros à l'agilité d'araignée n'a pas le temps de faire une toile sous elle pour amortir sa chute.
Gwen et Peter étaient tous les deux des "Sci Majors" et c'est ici l'irruption des Lois d'airain de la Physique dans l'univers imaginaire. La mort n'est pas qu'un effet de mélodrame mais un effet de réel dans la bande-dessinée.
Gwen est morte et il se pose une autre question, non pas physique mais métaphysique sur la Causalité. Si on prend un modèle dit "contre-factuel" de la Causalité, un événement A cause B si et seulement si B n'aurait pas eu lieu si A n'avait pas eu lieu. Or, si Peter n'avait rien fait, elle serait morte par le choc de la chute de l'équivalent d'un Building de 25 étages. Mais l'intervention de Peter a causé le coup du lapin et sans cet événement, l'effet aurait été mortel quand même mais différent. Peut-on dire qu'il a "causé" sa mort ? Oui, si on veut dire sa mort à tel instant et de cette manière. Mais non, il n'a pas causé sa mort tout court. De même qu'un médecin qui réussirait à repousser le moment de la mort mais qui ne peut pas l'empêcher ne pourrait pas être accusé d'avoir causé la mort au moment où elle arrive. Et de même qu'on ne peut pas dire que Spider-Man l'a causée par "transitivité causale" en sauvant la vie de Norman Osborn dans le n°47 ou en sauvant Gwen au moins trois fois auparavant si je n'en oublie pas (n°61, contre le Kingpin, n°83 contre un accident de voiture, et n°104 contre Gog).
C'est peut-être aller un peu fort dans la tragédie. Non seulement Peter n'a pas réussi à la sauver mais son intervention a même joué un rôle dans la manière singulière dont elle est morte. Stan Lee dit avoir été surtout choqué par cet aspect qu'il n'aurait pas autorisé et on dit que certaines des rééditions retirèrent l'onomatopée et l'écho sinistre de son accusation. Conway dit que quoi qu'affirment les histoires ensuite, Peter doit bien être conscient de ce risque de traumatisme qu'il ne pouvait pas éviter en 3 secondes.
Cette scène prouve qu'un masque aussi opaque sans aucun trait de visage peut quand même devenir "expressif" par le contexte, par le mouvement et le texte qui l'accompagne.
J'ai déjà parlé de la couverture du n°122 (en parlant de celle dessinée par Frisano). - qui est une sorte de "pietà" comme si souvent dans les comics.
Voici les couvertures des rééditions. La version de JG Jones de 2001 insiste plus sur le chagrin (et on voit le visage de Gwen), celle de Kane plus sur la colère (et la chair est plus clairement un cadavre), comme deux étapes du deuil après le déni.
Dans le n°122, il y a une page de réminiscences, technique graphique de l'insertion des flashbacks sur toute une page, qui est devenue depuis un cliché.
Et le début de l'étape de culpabilisation.
L'enterrement de Gwen (après la "mort" apparente du Green Goblin) est au n°123. Anna Watson fait remarquer qu'il y a les grands-parents de Gwen comme famille (et qu'ils veulent rencontrer Tante May). Peter Parker assume bien une position de fiancé officiel. Presque tous les personnages secondaires sont invités (Randy Robertson était déjà là à l'anniversaire de Gwen au n°87) mais la famille britannique de Gwen (Arthur Stacy et sa compagne, voire les deux cousins de Gwen, Paul et Jill Stacy) n'a pas pu traverser l'Atlantique.
Parmi les absents, Harry Osborn a basculé dans la folie depuis la mort de son père et depuis que MJ l'a abandonné pour Peter, et JJ Jameson a l'air plus préoccupé par le décès de son "ami" notable Norman Osborn. Flash Thompson prendra soin de redire à Peter qu'il n'y avait jamais rien eu entre Gwen et lui.
On verra l'épitaphe deux ans après dans Amazing Spider-Man n°149 (1975, la fin de la première saga des clones), quand la "clone" de Gwen (dont on apprendra plus tard qu'elle n'était même pas une vraie "clone" mais une autre femme modifiée) fleurit sa tombe, et elle porte "1954-1973", mais les dates sont peu visibles, notamment la mort (on voit juste 19... sur une autre case). Si le temps des comics s'écoulait comme le temps réel et ne remontait pas sans cesse comme un tapis mécanique, Gwen aurait donc le même âge qu'Annie Lennox, Catherine Alric ou Kathleen Turner.
CONCLUSION
Ce sépulcre est un bon endroit pour arrêter (pour l'instant en tout cas) ce feuilleton du mois d'août sur l'évolution du personnage de Gwen Stacy.
Il y aurait certes encore beaucoup à dire sur le deuil récurrent de Peter dans les années qui suivirent et sur les Sagas des Clones (ou sur la brève "continuité mexicaine"). Gwen ne cesse de revenir sous différentes formes au point que certaines de ces autres versions sont devenues plus connues des lecteurs récents, comme celle venue d'une autre dimension, la Spider-Gwen (ou "Ghost-Spider") de Terre-65 (en revanche, elle n'est pas "Gwenpool", qui n'est qu'une homonyme). Quand vous faites une recherche Images, c'est cette autre version plus jeune (et très "Mary-Jane-isée") qui apparaît, plus que la Gwen Stacy originelle.
Dès le numéro suivant, MJ, qui a abandonné Harry, vient consoler Peter (même s'il exprime encore des doutes sur elle dans le n°130).
Gwen n'a été présente que pendant 90 numéros (8 ans) et de nos jours, MJ est devenue l'amoureuse puis l'épouse de Peter depuis environ 50 ans. MJ a donc eu beaucoup plus de temps pour évoluer et mûrir. La personne écervelée du début fut ensuite décrite comme une façade pour dissimuler ses traumatismes. Gerry Conway semble même oublier que MJ n'était pas en cours de sciences avec Peter car on la verra en cours et discutant avec le Professeur Warren.
Peter Parker embrassera Mary Jane Watson pour la première fois 22 numéros après la mort de Gwen, dans le n°143, 1975, avant un vol pour Paris (et c'est aussi l'épisode où il va entrevoir pour la première fois le clone de Gwen fabriqué par le Chacal). Après bien des ruptures et réconciliations (où Peter sort avec plusieurs femmes dont Black Cat), MJ révèle qu'elle connaît son identité secrète dans le n°258 (1984) - la tension se déplace sur le fait qu'elle n'aime pas sa vie de superhéros. L'histoire où MJ épouse Peter est de 1987 et celui où ils ont une fille mort-née est de 1996.
En 2007, Marvel décide de revenir en arrière, d'annuler tout le mariage avec MJ depuis vingt ans de temps réel (parce que cela "vieillirait" trop le personnage) mais depuis, MJ (qui connaît à nouveau son identité) alterne à nouveau des phases où elle sort avec Peter et des phases de ruptures où ils fréquentent d'autres personnes. MJ a aussi au cours des années eu plusieurs aventures où elle devint une superhéroïne. Comme le feuilleton se répète, on sait bien que Peter se remettra à nouveau avec MJ.
Il n'y a pas à faire un comparatif de Gwen et MJ. Cela ne va pas plus loin que les biais d'amorçage comme on dit en psychologie.
Si vous avez commencé à lire Spider-Man dans l'ordre en partant du début et donc de Gwen Stacy (comme ce fut mon cas), elle vous apparaît comme une perte tragique et elle vous manque sans que les clones, les prequels et versions alternatives ne puissent en être un équivalent (et je dois avouer me souvenir qu'enfant, je voyais MJ comme une "usurpatrice" mais j'ai fini par m'habituer).
Si vous avez commencé à lire Spider-Man pendant les 50 ans qui ont suivi alors qu'il était déjà avec MJ depuis des décennies (ce qui est le cas de l'immense majorité des lecteurs ou de ceux qui l'ont connu sur la plupart des autres médias - sauf un des films, je crois), MJ vous apparaît naturellement comme celle qui était destinée à être la moitié de Peter depuis "toujours" et Gwen n'est au mieux plus qu'un lointain élément historique de l'arrière-plan, moins importante que l'Oncle Ben. Et c'est tout à fait normal.
Mais je ne crois pas qu'on puisse dire que Gwen a été tuée parce qu'elle était trop "fade" et qu'elle aurait eu un défaut intrinsèque qui poussait Marvel à l'éliminer. PanicPixieDreamGirl a fait un montage intéressant des traits de personnalité critiquant cette thèse qu'on répète si souvent et cela complète bien ce survol des 8 ans de Gwen. Conway & Romita l'ont tuée parce qu'elle était la petite-amie de l'époque et parce que depuis le début les aventures de Peter sont écrites avec des péripéties dramatiques de ce genre. Un autre facteur semble avoir été que les auteurs ne voulaient pas que Peter se marie et qu'ils pensaient qu'avec Gwen cela risquait de devenir inéluctable. C'est ironique comme ils finiront par s'y résoudre avec MJ et qu'ils reviendront ensuite en arrière.
Marvel, qui tourne un peu en rond comme tous les éditeurs de comics, menace toujours de ressusciter Gwen. Ils viennent de le faire récemment en mai 2025 comme une version modifiée génétiquement pour en faire une assassin avec des gènes mutants de Wolverine sous le nom de X-31, si j'ai bien compris, ce qui paraît presque parodique, arbitraire et ridicule (surtout que c'est dans Gwenpool, qui est un comic book satirique où le personnage ne cesse de commenter les conventions des comics et de briser le Quatrième Mur)...
Mais ils ont déjà créé tant de versions alternatives de Gwen que cela ne provoquera même plus de "choc" et on peut deviner (ou souhaiter) qu'ils finiront ensuite par l'annuler en disant que ce n'était pas vraiment la même Gwendolyn Stacy. On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve de l'East River sous le Brooklyn Bridge.
Le problème de l'écriture du feuilleton avec changement permanent est que des comic books publiés régulièrement n'ont jamais de mort permanente. On peut souvent regretter la mort d'un personnage mais regretter aussi ensuite qu'elle soit ressuscitée, que ce soit Gwen Stacy ou Jean Grey.


















5 commentaires:
J’aime beaucoup la Gwen des dessins animés de Sony. Elle a été inventée pour l’occasion, ou elle existait déjà ?
Spider-Gwen (aussi appelée Ghost-Spider) a été créée en 2014 dans le comic book Spider-Verse où le Spider-Man de la Terre-616 rencontrait d'innombrables Spider-Men possibles et les dessins animés Sony sur le Multiverse ont commencé en 2018.
Spider-Gwen vient de Terre-65 (nommée ainsi parce que Gwen Stacy a été créée en 1965) et Miles Morales (Ultimate Spider-Man) vivait sur Terre-1610 (ces grands numéros viennent à l'origine d'une blague d'Alan Moore qui, dans Captain Britain, avait appelé l'univers normal de Marvel Terre-616 pour se moquer de DC qui avait appelé son univers de l'Âge d'Argent Terre-1).
L'insurmontable perte!
Un détail concernant l'appellation 616 due a Dave Thorpe (et légerement antérieure a son utilisation par A.Moore) : https://en.wikipedia.org/wiki/Earth-616
En tout cas dense traversée de tout le parcours du personnage aussi agréable qu'instructive !
Je ne savais pas que c'était Dave Thorpe et pas Moore. Alan Davis et Thorpe ont des souvenirs un peu différents : Davis dit que c'était bien une blague sur 666 pour se moquer de Marvel mais Thorpe dit qu'il n'entendait aucun mépris envers le genre des superhéros.
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