mardi 8 juin 2010

Filtres et agnotologie



Sophie Bouchet-Petersen, l'auteure de discours de Ségolène Royal, est tombée dans le piège de Léon-Robert de l'Astran (dont elle dit qu'on "aurait souhaité qu'il existât"), un fils d'armateur imaginaire qui aurait ensuite refusé l'esclavage.

Sa page Wikipedia a été effacée mais cela ferait trois ans que ce faux personnage "existerait" sur l'encyclopédie.

Léon Robert de L'Astran, né le 20 janvier 1767 à La Rochelle et mort le 7 avril 1861 à La Rochelle, est un naturaliste et savant qui effectua plusieurs voyages aux Amériques dont un avec La Fayette, à bord de la Frégate Hermione.

Grand humaniste et fils de René-Charles de l'Astran-Rochambault-d'Hoyen, un armateur rochelais ayant fait fortune dans le commerce de fèves de cacao et de noix de kola avec la Guinée équatoriale, il s'oppose fermement à la traite des noirs et refuse que les navires dont il hérite de son père soient utilisés pour cela.

En 1780, alors qu'il n'est âgé que de 13 ans, il embarque sur la Modoquasi à destination de l'Amérique Centrale, où il assistera Marie-Dominique de la Fouchardière (future mère d'Eugène Fromentin) dans son travail de botaniste en se chargeant de la collecte des espèces végétales. Lors du voyage de retour, une mutinerie éclate, et le capitaine Joseph Mariani, ami intime du père de Léon Robert, se voit contraint de le protéger, ainsi que Marie-Dominique de la Fouchardière, dans son carré de capitaine.

Finalement, le bateau arrive à Nantes en 1783, et René-Charles de l'Astran-Rochambault-d'Hoyen accepte de payer la solde de tous les membres de l'équipage en échange du retour du bateau à La Rochelle.

C'est un peu trop romanesque mais cela paraît quand même moins directement ridicule que la vie de Botul qui avait égaré un essayiste renommé pour ses chemises. Ce M. de L'Astran ferait penser à une version plus aventureuse d'un Louis de Jaucourt.

J'imagine que n'importe qui aurait pu se fier à ce même mythe sans penser à ce qu'ont fait les éditeurs de Wikipedia, chercher sur GoogleBooks pour vérifier s'il y avait une seule source non-Internet. Mais si l'entrée était restée suffisamment de temps ou si le sujet avait été plus récent, GoogleBooks aurait-il pu être un filtre efficace ?

Add. Cf. la discussion dans le "Bistrot" du Wikipedia : l'auteur de l'entrée aurait été de bonne foi et aurait recopié une notice du Rotary Club. Le canular aurait donc une origine plus ancienne.

2 commentaires:

Cardamome : a dit…

La supercherie aurait (selon Libé) été découverte par un bibliothécaire auquel s'était adressé un étudiant qui devait "écrire un article" sur le personnage. C'est dommage qu'on n'en sache pas plus sur cet hypothétique article...

Phersv a dit…

Pour que ça fasse durer le doute, il aurait donc fallu que le créateur de l'entrée ait d'abord réussi à placer l'Astran dans un article publié (ce qui aurait pu faire une affaire Sokal pour l'Histoire).