mardi 22 juin 2010

Les traces de Manas



Les émeutes actuelles de l'été au Kirghizistan ont lieu plutôt au sud entre les Kirghizes et la minorité ouzbek mais les émeutes des mois derniers avaient notamment éclaté à Talas, cité du nord-ouest où selon la mythologie kirghize serait enterré le héros national légendaire Manas.

L'un des enjeux politiques a été la fermeture de la base américaine près de la capitale de Bishkek au nord et les Américains ont eu l'idée de l'appeler la "Base Manas" (la base militaire a été pour l'instant maintenue mais avec un loyer plus élevé pour l'Armée US).

Manas est à la fois le fondateur mythique et le principal héros de l'épopée nationale de ce peuple turco-mongol d'Asie centrale, une énorme chanson de geste de 500 000 vers (deux fois le Mahābhārata, trente fois l'Iliade). Le drapeau du Kirghizistan (créé en 1992) représente d'ailleurs une sorte de Yourte solaire avec quarante rayons qui sont les 40 tribus qui accompagnaient Manas (une des étymologies du mot "kirghize" est d'ailleurs une racine turque qui veut dire "quarante"). Manas est aussi sur les billets de la monnaie nationale.

Manas n'a probablement même pas de base historique individuelle, même si certains interprètes y voient des mélanges entre un héros chamanique kirghize, un fond musulman soufi et la vie de l'Empereur mongol Genghis Khan (1155-1227) au XIIIe (certaines sources donnant au Mongol des origines secrètes kyrghizes). Mais dans le texte, Manas est une sorte de Héraclès résistant aux Mongols et réussissant même à conquérir la cité de Beijing contre les Kara-Khitan du XIIe ou bien la dynastie mongole qui règne sur la Chine au XIIIe (comme une version du Roi Arthur lui permet d'envahir Rome et comme une version de Charlemagne le fait marcher sur Constantinople). L'origine réelle serait plutôt des combats contre des tribus ouïghours (les Kirghizes ayant vaincu la Khaganat ouïghour bouddhiste au IXe siècle à l'époque où eux sont déjà persianisés et islamisés).

Manas est le fils du Khan Jakïp (Jacob ?) qui pria Allah dans sa vieillesse pour avoir enfin un enfant. Lorsque sa mère Chïyïrdï était enceinte, elle eut une envie soudaine de viande de Tigre. Les 40 tribus kirghizes chassèrent alors le Tigre et elle s'en nourrit. L'enfant naquit en sortant tout un caillot de sang dans son poing (un peu comme les Chamans et les táltos hongrois qui naissent coiffé du sac amniotique). Manas marchait dès la naissance et était déjà circoncis. Il brillait comme de la braise. Il portait la crinière d'un lion gris, car il était dit qu'il serait un Lion digne de rivaliser avec Salomon, Iskandar, Alī ou Rostam, et il naquit en même temps qu'une jument accouchait d'un destrier noir qui serait sa monture. Il était protégé par le mystérieux prophète, l'Homme-Vert et par 40 gardiens invisibles.

L'Empereur de Chine Esenkhan, dans Beijing aux 40 portes, tenta de faire tuer les enfants kirghizes qui naquirent alors car ses sept devins lui avaient révélé que l'enfant nommé Manas le vaincrait. Tous les enfants nommés Manas furent exécutés cette année-là, de la Chine jusqu'à Samarcande. Mais les Kirghizes cachèrent leur sauveur sous un faux nom, "Tchong Jindi" (Grand-Sot) pour qu'il échappe à ce massacre des Saints Innocents.

Dès la petite enfance, l'indomptable Manas massacra des douzaines d'ennemis Oirats de l'Altaï, Kalmouks et Mandchous. Pour mieux le cacher, le Khan Jakïp le fit alors élever par un berger.

La suite de l'épopée voit les combats et jeux compétitifs entre le preux Manas et les divers Géants et monstres des peuples ennemis. Traditionnellement, le héros est représenté accompagné de plusieurs animaux fétiches, un aigle, son étalon noir, un tigre et un dragon. Il reçoit d'un émissaire de Mahomet une épée et une lance magique.

Manas a aussi parmi ses compagnons un allié Chinois, le saint Almambet, converti à l'Islam dès la naissance et déshérité par les Chinois car il a aboli une coutume de sacrifier les enfants pour en tirer un philtre de jouvence. Manas épouse la princesse tadjik Sanirabiyga Kanikei de Boukhara (actuel Ouzbekistan) après l'avoir battue en duel (un peu comme Siegried et Brünnhilde).

Manas meurt finalement assassiné par les Chinois de son rival, Konurbai Khan, sans avoir pu vaincre leur Empire et il est enterré en secret à Talas par sa veuve Kanikei. Le cycle raconte ensuite les aventures de sa descendance mais l'Âge héroïque des Kirghizes s'estompe avec lui. Les Kirghizes ont ajouté sa tombe aux Maussolées traditionnels des prophètes musulmans et ils s'y rendaient en sanctuaire. Le nouveau nationalisme post-soviétique n'a fait que renforcer ce mythe patriotique.

1 commentaire:

all a dit…

merci pour cette explication du mythe fondateur