Il y a tout un usage des énoncés dits contre-factuels assez courant en politique : "Oui, le chômage a augmenté mais si nous n'avions pas été au pouvoir, cela aurait été encore pire". Et cela peut donner des querelles historiques sans fin comme celle qui existe entre Paul Krugman et des éditoralistes républicains sur le New Deal : ceux-ci affirment que le New Deal a échoué en 1938 (2e récession) parce que le Keynésianisme ne marchait pas, Krugman pense au contraire que le New Deal avait été mis en danger parce que FDR avait trop renoncé au (proto)Keynésianisme (que l'équipe de FDR ne connaissait de toutes manières pas). Mais sur ce point, tout le monde est d'accord pour dire que la Guerre a mis fin à la Dépression, ce qui conforte en réalité la thèse de Krugman sur le rôle des investissements publics.
Patrick Buisson dit que malgré l'échec de Sarkozy, le résultat confirme toute la validité de sa stratégie. Si Sarkozy a perdu, ce n'est pas parce qu'il aurait trop joué avec le Halal, les 700 Mosquées, les Frontières, l'Identité, ce serait au contraire parce que son entourage (c'est toujours la faute de l'entourage) aurait été trop centriste. Autrement dit, non seulement il avait raison, mais même l'échec prouve qu'on ne l'a pas assez écouté, selon lui. Sa tactique de polarisation et de clivage inspirée de Karl Rove en 2004 aurait donc pu fonctionner si Sarkozy avait suivi plus clairement une ligne plus homogène à droite. D'où la phrase si méprisante et si curieusement contre-productive de Buisson sur l'électeur centriste « lâche » qui « se soumet à la force, et qu'on ne récupère pas en se recentrant ».
Naïvement, j'aurais plutôt pensé l'inverse mais n'ai pas les analyses qualitatives et les nombreux sondages si coûteux de Buisson. L'Ouverture de 2007 était certes très impopulaire à droite et avait un peu brouillé l'image de Sarkozy dans la droite "décomplexée" qui jugeait déjà que Jacques Chirac aurait été trop au centre (Buisson/Zemmour, agents dormants du lepenisme à l'UMP). Mais même si Bayrou a baissé à 9% et si Le Pen est demeurée au stade assez élevé à 18%, qui dit que ce n'est pas la stratégie même de Buisson qui a fait monter Le Pen ? Selon Buisson, c'est l'inverse, si Sarkozy s'était recentré, il aurait été "balladurisé" et aurait connu un 21 Avril à l'Envers en laissant tout ce terrain à Le Pen.
Le vrai problème de base était l'extrême impopularité de l'exécutif. Si Sarkozy avait été encore un peu populaire, il aurait pu suivre la stratégie de Juppé, se recentrer avec Bayrou et devenir un protecteur plus "rassurant" et conciliateur sans redevenir ce Marchand de Peur attisant les angoisses.
Même il a choisi de "polariser", de "cliver". Si Bayrou a pu voter Hollande en partie pour des raisons très locales à Pau (le PS était très puissant dans sa circonscription), il n'avait pas vraiment le choix après les provocations et dérapages du premier et du second tour. Cela ne semble pas avoir vraiment joué sur son électorat (qui votait déjà pour près de la moitié pour Hollande).
Mais Buisson est un expert étrange car il est aussi biaisé et non pas désintéressé. La tactique qu'il défend comme efficace et gagnante coïncide aussi comme par hasard avec la position qu'il préfère fondamentalement dans son maurassisme. L'imagine-t-on suggérer un cap moins droitier, même si cela pouvait être optimal ? Il espère conserver un électorat populaire grâce à des arguments identitaires pour faire face aux difficultés économiques. Il croit que si le gouvernement ne peut (ou ne veut) rien faire contre une émigration des entreprises, l'électeur pourra toujours craindre plus l'immigration que d'en vouloir à ceux qui peuvent profiter de ces délocalisations.
Sarkozy ne croit en rien, ou comme le dit Emmanuelle Mignon elle-même sans cacher son arrogance, il n'a "aucune colonne vertébrale". Comme il le dirait, c'est un pragmatique sans aucune conviction (en dehors de ses solides affinités ploutocratiques). Il peut être un communautariste favorable au vote des étrangers pour brouiller les pistes en 2006, un libéral si Mignon le veut, un colbertiste si Guaino insiste, un Déroulède prêt à renier l'unité nationale et mépriser la République dès que Buisson tire les fils de la marionnette si douée.
On est dans une des pires situations pour l'UMP de Juppé ou Borloo (et même de Fillon). Non seulement l'UMP a perdu mais Sarkozy a perdu de tellement peu qu'il risque de revenir. L'Aile Buisson-Peltier-Luca pourrait très bien être encore renforcée par la remontée si réussie dans les dernières semaines de la campagne dans les pires moments de rhétorique identitaire. La question n'est plus de savoir si l'UMP va négocier avec le FN mais si elle le fera sans trop éclater avant. Il est presque certain que ceux que Zemmour et Buisson vomissent comme des "bobos droits-de-l'hommistes" du centre-droit finiront par se trouver mal à l'aise.
Add. Marine Turchi a sur Mediapart une bonne formule sur la prophétie auto-réalisatrice de Patrick Buisson. Son analyse s'est d'autant mieux confirmée qu'il avait causé lui-même les conditions pour que sa stratégie devienne nécessaire. Les électeurs UMP ont été de plus en plus convaincus de la nécessité d'une alliance avec le FN après le discours de Grenoble quand leur dirigeant charismatique lui-même a validé les notions fondamentales du FN.
Existential Road Tripping – Review: Electric State RPG
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Stålenhag, the force behind Tales from The Loop and Things from The Flood –
both...
Il y a 4 heures
13 commentaires:
"D'où la phrase si méprisante et si curieusement contre-productive de Buisson sur l'électeur centriste « lâche » qui « se soumet à la force, et qu'on ne récupère pas en se recentrant ». Naïvement, j'aurais plutôt pensé l'inverse mais n'ai pas les analyses qualitatives et les nombreux sondages si coûteux de Buisson."
Peut-être qu'il étend à l'électeur centriste une conclusion qui n'est que trop vraie des politiciens centristes. Si la décision de Bayrou apparaît si transgressive (il se grille pour la recomposition du centre dit-on) c'est que les centristes ont plus souvent qu'à leur tour donné le spectacle de leur lâcheté et de leur impuissance (pitoyable Borloo, pitoyable Morin ... )
C'est peut-être par pessimisme, mais je ne suis pas loin d'accorder du crédit à la thèse de Buisson, même si je n'en ai pas la certitude.
Après tout, l'argument des contrefacteurs s'applique dans les deux sens : rien ne prouve qu'une autre stratégie que celle de Buisson aurait été fructueuse.
La stratégie de NS-Buisson peut être vue comme double : "verrouiller" l'électorat centriste "ni de gauche, ni de gauche" et l'électorat de droite traditionnel par la menace de la crise et de la Grèce potentielle (argument que j'ai entendu souvent repris par mes connaissances droitières terrorisées). Une fois cette opération effectuée, vous avez un électorat captif prêt à avaler toutes les couleuvres lepénistes par "pragmatisme", "réalisme", ou logique du moins pire. Puis, de l'autre côté, draguer plus ou moins ouvertement l'électorat FN.
C'est "gagnant-gagnant", puisque, malgré son impopularité, NS peut s'assurer un large public tout en allant chercher des voix désespérément à sa droite. Cela ne l'a pas empêché de perdre, mais c'est comme cela qu'il a pu finir très haut.
Je reconnais que ce n'est qu'une interprétation spéculative du scrutin, mais elle me semble plausible.
> Elias
Oui, mais l'étrangeté n'est pas que Buisson le pense mais qu'il le dise, au risque de manifester sa brutalité et d'insulter les 3% de centristes dont Sarkozy avait besoin.
Bayrou est en danger dans sa circonscription de Pau en effet (et on a vu que l'UMP arrivait à le faire perdre aux municipales de Pau). C'était sa 3e Présidentielle et il est peu probable qu'il ait l'espoir de remonter pour une 4e fois.
> VfV
Je partage ce pessimisme sur notre pays. On ne semble plus avoir le choix qu'entre déni et reprise directe du FN.
J'ai vu de nombreux chroniqueurs de centre-droit sur la Twittosphère hurler contre la tactique Buisson et tous se ranger ensuite en faveur du chef uniquement sur les critères fiscaux. L'intérêt économique l'emporte sur les autres critères.
le documentaire Les Stratèges de Thomas Legrand n'était pas terrible mais il y a cette scène où Rama Yade dit que cela ne la dérange pas d'attaquer sur le Halal puisqu'en politique il faut avoir l'habitude de retourner sa veste.
Dans le même sens que VfV : la plupart des figures de la droite modérée n'ont pas su faire autre chose que se rallier à NS-Buisson (ex. encore ce matin avec Bachelot qui est "d'accord à 80%" - il aurait d'ailleurs été intéressant qu'elle soit interrogée sur les 20% pour voir si les Rom, les frontières, etc, font bien partie des 20% restants).
Et en même temps, on ne peut pas exclure que la campagne buissonnière de NS ait fini par remettre en selle le FN (ni même qu'au fond s'était le but recherché par l'inspirateur de cette stratégie).
D'accord avec tout le monde.
Les dernières semaines de campagne sont les plus "électriques", et les positions se radicalisent ; le raccourci est que l'élection se décide sur un épiphénomène (papy Paul Voise qui se fait brûler son pavillon en 2002 ou policier accusé d'homicide). Or, même si les médias entretiennent le suspens à leur profit, tout était joué d'avance.
Après avoir fait semblant d'hésiter afin d'être courtisés, les électeurs de droite se remettent à voter à droite, et ceux de gauche à gauche. Avec deux semaines de gesticulations et d'écrans de fumée de plus, Sarkozy aurait peut-être gagné 0.5%...
Pour prendre en compte aussi le post sur E. Abécassis, est-ce que la xénophobie des dernières semaines est un facteur si essentiel face aux préoccupations de fond? Faisons un peu de politique-fiction : en novembre 2010, le Ministère de l'Identité Nationale est maintenu et NS mène une politique xénophobe très à droite. Pour la campagne, il adopte la tactique qui consiste à se présenter en rupture avec lui-même, et vire centriste. Le résultat final ne serait-il pas similaire?
Ce que les Français voudraient (y compris les électeurs de MLP), selon moi, c'est le retour d'un État fort, qui les sauverait. NS serait alors in fine victime de son bilan. Et le courant de fond qui l'aurait coulé serait bien l'usure du pouvoir.
Tiens, voilà une analyse complémentaire du socialiste F. Kalfon sur le buissonisme. Dont j'aime cet extrait : "Qu'en aurait-il été si Nicolas Sarkozy, en plus de la "jambe identitaire", s'était davantage appuyé sur la "jambe sociale" ... ? Mais sans doute entravé par son bilan sur le terrain économique et social et incapable de s'attaquer vraiment au "mur de l'argent" tant il en est demeuré quoi qu'il en dise le plus - brillant ? - représentant, Nicolas Sarkozy échoue finalement au pied du podium."
> Anonyme
Bachelot a entretenu le flou, ne s'engageant pas avec enthousiasme dans la campagne mais sans non plus oser critiquer son camp. Mais cela reste légèrement plus critique que Rama Yade.
> Rappar
Oui, le chômage et l'usure du pouvoir ont été sans doute plus importants sur une frange de l'électorat populaire que beaucoup de mesures ou de mensonges qu'on pourrait plus directement lui reprocher.
Pas mal en effet cet article de François Kalfon, je ne le connaissais pas.
Je crains que Buisson (et donc ici Kalfon) ait raison et que si NS avait vraiment mené une campagne plus centriste il aurait en effet perdu plus de Lepénistes que gagné de centristes.
Les deux électorats du FN et de l'UMP commencent à se ressembler plus, ce qui permet un assez bon report pour NS. Mais il est possible qu'il y ait deux groupes différents à l'intérieur du FN : certains voteraient d'habitude à droite (par exemple certains petits commerçants) et y reviennent donc au second tour, alors que ceux qui s'abstiennent/votent blanc ou ont même voté Hollande ne venaient pas vraiment de la droite à l'origine.
"il est possible qu'il y ait deux groupes différents à l'intérieur du FN"
Il est bien connu que (cette formule me permet d'éviter de prouver ce que j'avance ;))... il est bien connu donc que l'essor de MLP est dû au fait que des bataillons d'ouvriers ont récemment rejoint les rangs lepenistes. Ce ne sont pas des tenants des valeurs de la droite "traditionnelle", mais j'imagine qu'ils tiennent le raisonnement suivant : "le libéralisme pro-européen pro-OMC de l'UMPS n'a réussi qu'à détruire nos emplois et nos industries; ah ce qu'il nous faudrait c'est un Homme fort et providentiel, un rebelle têtu qui tienne tête à la finance mondiale et au monde entier"...
Ah, entendu une interview de F-O Giesbert sur le Mouv'. Selon sa perception et ce qu'il a entendu, ce n'est pas tellement la droitisation de NS qui lui a ramené des voix sur la fin, mais la prise de conscience des coûts des promesses de Hollande (recrutement d'enseignants, etc.). Notamment après le débat télévisé, il aurait discuté avec des gens passant du vote Hollande au vote Sarkozy en disant "non mais tu te rends compte, en pleine crise, creuser ainsi le déficit?"...
Donc, NS n'aurait pas gagné des voix par la méthode "buissonière" (sur l'insécurité), ce serait Hollande qui les aurait perdues, et sur l'économie.
Bien entendu, cette analyse est aussi improuvable en l'état que la démonstration de Buisson... :/
Oui, je suis sceptique sur les impressions ou anecdotes de FOG s'il n'y a pas d'études détaillées des centristes qui hésitaient.
L'interview d'Alain Minc dans le Monde n'est pas terrible mais il dit à un moment que Sarkozy n'a pas vraiment monté quand il a tenté au départ une campagne plus "présidentielle" sur l'économie alors qu'il a eu sa croissance dans les sondages quand il est passé à la stratégie buissionière de division et de polarisation "ethnique" ou "culturelle". Ce qui serait triste si c'était vrai. Mais il a peut-être fallu du temps pour que les arguments "centre-droit" sur les déficits portent.
Je ne veux pas paraître trop caricatural et trop simpliste anti-"mondialisation" mais parfois j'ai l'impression que la différence entre la droite la gauche va commencer à ressembler à cela :
La gauche : Nous n'arrivons à rien faire face à une mondialisation qui pour les classes les plus défavorisées semble bien risquer de contribuer à une détérioration de niveau de vie. Mais on va un peu ralentir la destruction de l'Etat-Providence.
La droite : Nous ne ferons rien face à une mondialisation qui pour les classes les plus défavorisées semble bien risquer de contribuer à une détérioration de niveau de vie. Mais au moins on vous promet en échange de l'acceptation des inégalités sociales de ne pas laisser trop l'immigration affecter votre vie quotidienne, même si cela implique plus d'humiliations ou de discriminations.
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