Le scénariste Brian Bendis est maintenant chez DC depuis plus d'un an et on peut commencer un bilan. Il a commencé dans Action Comics #1000 (juin 2018) et a écrit au moins une trentaine de numéros : la minisérie introductive Man of Steel + deux mensuels, Action Comics + Superman Comics, sans compter les nombreux autres titres comme la nouvelle version de Young Justice (qui partage des intrigues avec H For Heroes) ou de nouvelles séries comme Naomi.
Quand Bendis est arrivé, DC a fait une promotion qui rappelait l'époque où Jack Kirby était revenu chez eux ("The King is coming", 1971-1975). Pendant 18 ans, Bendis avait quasiment fini par représenter Marvel et son arrivée apparaissait comme une des tentatives périodiques de DC de capter un peu de l'énergie de son rival. Au début du XXIe siècle, DC était incarné par Geoff Johns, mélange de retour nostalgique à l'Âge d'Argent avec des thèmes plus sombres. Bendis, lui, avait certes procédé du même éternel retour aux sources mais sa force était le ton de Film Noir ou de polar, avec un arrière-fond politique un peu cynique qui convenait si bien aux héros urbains de Marvel.
On se serait donc attendu à ce que Bendis choisisse la facilité en réclamant Batman.
Superman est un personnage plus difficile, qui semble plus décalé par rapport à notre époque que Batman. L'évolution de la fiction va vers le héros marginal, la fascination pour la psychose comme seule caractérisation. Il suffit de voir l'obsession pour les tueurs en série dans la fiction populaire. Superman paraît désespérément naïf et passéiste.
Bendis a hérité d'un nouveau statu quo depuis quelques années :
(1) Kent est marié avec Lois Lane et ils ont eu un enfant Jonathan ("Jon") Kent, qui arrive maintenant à l'adolescence. (Dans cette version, Clark n'a jamais été Superboy mais il y a certes eu un autre Superboy, clone imparfait).
(2) Jor-El a en fait survécu à Krypton et est devenu un personnage ambigu et manipulateur. Bendis à son arrivée dans Action Comics #1000 a semblé vouloir prendre ses distances avec ces éléments en envoyant Jonathan, Lois et Jor-El dans un voyage spatial mais en réalité ces différents personnages sont vite revenus et jouent un rôle central (Lois dans Action Comics, Jor & Jon dans la série Superman depuis le numéro 6).
Bendis a choisi de donner deux tons très différents, voire opposés, aux deux séries qu'il écrit, qu'on pourrait qualifier de (1) la série Lois Lane et (2) la série Jor-El / Jon Kent. Les deux séries ont des clins d'oeil l'une à l'autre mais sont parfois relativement indépendantes même dans le contenu.
(1) Lois
Action Comics (qui, de l'avis général, est le plus réussi et le plus conforme aux forces de Bendis) est ancré sur Terre, à Métropolis et sur le métier de Clark Kent comme journaliste et enquêteur. Les intrigues principales y sont donc la vie quotidienne de Kent, ses rapports à sa femme Lois Lane (dont des papiers à scandale disent qu'elle couche en fait avec Superman). L'intrigue policière suit un réseau criminel de Metropolis qui s'est créé sur la volonté non pas de confronter Superman mais au contraire de rester invisible à ses yeux. Ce réseau va peu à peu pénétrer plus profondément le Daily Planet de sa direction aux collègues de Clark (ce qui justifie aussi de relancer des miniséries autour de Lois Lane et Jimmy Olsen, ce qu'on ne faisait plus depuis environ 45 ans). On reconnaît une intrigue qu'avait apportée Jack Kirby à son Jimmy Olsen où le propriétaire du Daily Planet, Morgan Edge, était devenu un criminel lié à Darkseid.
Enfin, cela conduit à un nouvel "événement" annuel qui prend un ton d'espionnage, Leviathan, où une organisation mystérieuse élimine toutes les autres organisations secrètes de l'Univers DC (et je ne me rendais pas compte à quel point elles s'étaient multipliées entre Spyral, Task Force X, Checkmate, le D.E.O., A.R.G.U.S., S.H.A.D.E. ...). Les réseaux labyrinthiques de Leviathan ont été créés ces dernières années dans des épisodes de Batman, où on ne sait même plus qui manipule qui (le Dr Dedelus / Agent Zero dirigeait à la fois Leviathan et Spyral, et Talia al Ghul croyait dominer Leviathan).
(2) La famille des El
La seconde série (qui est repartie au numéro 1) Superman au contraire est plutôt du Space Opera, sur un terrain où on imaginerait donc plus quelqu'un comme Grant Morrison. On y suit notamment un nouveau vilain, Zaar, dont on découvre qu'il est celui qui a détruit Krypton (alors que traditionnellement, l'explosion de Krypton était une catastrophe naturelle que les scientifiques de Krypton n'avaient pas su empêcher).
Imaginer un responsable est assez conforme à une sorte de règle narrative des comics : tout ce qui paraît accidentel ou fortuit doit trouver une explication avec une intention et un agent. Superman est en deuil de Krypton, donc il faut que quelqu'un soit derrière ce deuil.
Zaar est hélas un personnage assez ennuyeux et unidimensionnel qui rappelle trop d'autres brutes comme Doomsday et qui répète depuis un an qu'il va tuer tous les Kryptoniens.
La révélation dans les derniers épisodes de Supergirl (par Andreyko, un ami de Bendis) est en fait qu'il y avait derrière Zaar un complot un peu plus vaste. Une organisation intergalactique secrète nommée le "Cercle" avait pour but avoué de pacifier la galaxie mais certains de ses membres décidèrent le génocide de l'espèce kryptonienne en manipulant la soif de vengeance de Zaar (et, j'imagine, par crainte des dangers que pouvaient représenter la puissance kryptonienne).
On aura reconnu derrière le complot du Cercle des thèmes que Bendis avait déjà utilisé avec son complot des Illuminati (Richards et les autres) qui tentaient de contrôler la Terre). La Légion du futur avait lutté contre une secte nihiliste nommée aussi le Dark Circle et cela pourrait avoir un lien.
Un défaut de tous ces retcons est que maintenant Jor-El avait des contacts avec toutes les Puissances intergalactiques bien avant la destruction de Krypton. Cela rend le fait qu'il n'ait pas pu construire plus d'un vaisseau encore moins plausible. Il est assez important pour le mythe kryptonien que la planète soit isolationniste et pré-spatiale, sinon l'Arche-Berceau de Superman paraît assez ridicule.
Zaar est finalement arrêté (non sans l'aide du Général Zod et sa famille) dans Superman #14 paru aujourd'hui mais surtout, Jon Kent et la famille El réussissent à convaincre les puissances de l'Univers DC de fonder une Organisation des Planètes Unies qui comptera par exemple Thanagar (planète de Hawkman), Rann (planète d'Adam Strange), les Dominateurs, les Lanternes de diverses couleurs ou les factions de Vega (Araignées, Psions, Citadelle, voir les retcons récents sur Green Lantern ou dans la minisérie Omega Men).
Et c'est à ce moment que la Légion des Superhéros apparaît du XXXIIe siècle pour recruter non pas Superman mais son fils Jon Kent comme nouveau membre et en tant que fondateur de l'Union des Planètes Fédérées. Cela faisait longtemps que les histoires reliaient la Légion et l'organisation interspécifique mais cette fois Superboy n'est pas qu'un symbole héroïque mais un symbole politique.
Je n'ai pas aimé cette première année parce que Zaar était un vilain raté (même si ses motivations réelles ne sont toujours pas claires pour l'instant). Mais je suis très curieux de voir ce que Bendis prépare pour la Légion (qui reste un de mes concepts favoris dans le Multivers DC avec le Corps des Lanternes Vertes). L'idée de faire du fils de Lois et Clark le membre à la place de Superboy suffit à créer un certain renouvellement thématique. Au lieu d'être un adolescent fuyant sa vie de Smallville, il est l'Héritier reconnu comme le fondateur de l'équipe.
(3) Naomi
Une dernière note sur la nouvelle mini-série Naomi (six épisodes pour l'instant dans la saison 1) qui est en fait aussi en parallèle avec Superman.
Tous les enfants rêvent peut-être d'avoir été adoptés et de découvrir que leurs vrais parents génétiques ont des secrets bien plus intéressants que leurs tuteurs légaux (cf. M. Robert, Roman des Origines et Origines du Roman, le thème du Bâtard extraverti et de l'Enfant Trouvé introverti). Le philosophe Bernard Stiegler dit souvent que la société américaine s'est fondée sur ce concept d'Adoption : tous les Américains sont sur leur Terre d'Adoption et non pas sur l'autochtonie. Brian Bendis a lui-même adopté une enfant et le thème de la série est l'adoption dans un univers où Superman existe vraiment et où tous les enfants doivent rêver d'être des Kryptoniens. On voit que Bendis y a mis beaucoup d'émotion et il a réussi à faire une série sur une adolescente assez différente des autres, mais le rythme est un peu lent et les révélations assez prévisibles.
2 commentaires:
Gros anglicisme de plus en plus répandu (comme d'"être confortable" ou au lieu d'"être à l'aise") : "la volonté non pas de confronter Superman"... La volonté d'AFfronter Superman. En français, on confronte quelqu'un à quelqu'un d'autre ou à quelque chose (et c'est souvent un juge d'instruction qui le fait) ou, à la limite, on SE confronte à une difficulté. Etiemble.
Le père ambigu et manipulateur, c'est un peu une corde usée. Mais on peut supposer qu'il est en "réserve causale" pour un futur rebond. Tout est du scoobidoo en fin de compte. Un monde magique dont chaque page recèle un livre potentiel que l'on peut emprunter à loisir.
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