La seconde année de Gwen Stacy (du n°43 au n°55, 1967) repose encore sur le triangle Gwen-Peter-MJ qui ne va pas connaître de résolution.
Je ne voudrais pas vous ennuyer par des extraits numéro par numéro mais je ne vois pas d'autres moyens pour saisir le changement de rythme par rapport à la période Ditko. Le Soap Opera de Stan Lee est devenu plus graduel. Ce "triangle" n'en est pas exactement un car il faut toujours ajouter la figure de Harry Osborn, l'ami de Peter anxieux de pouvoir sortir avec au moins une des deux autres.
Cette tension va évoluer lentement. John Romita écrit (dans l'introduction de Marvel Masterworks Spider-Man vol. 6 (qui reproduit les n°51-61) que Stan Lee et lui improvisaient librement sans avoir toujours un plan clair de leur direction "comme un jeune enseignant qui n'aurait qu'une leçon d'avance sur ses étudiants".
Dans le n°43 (décembre 1966), Peter semble se dire que Mary-Jane serait tellement plus simple. Quand Flash annonce qu'il va faire les tests de la conscription pour partir au Vietnam et qu'il se moque de ce "planqué" de Peter, ce dernier est vexé que Gwen ne le défende pas. Gwen va en effet devenir plus froide alors que MJ est (presque trop) affectueuse avec tout le monde.
Puis, dans le n°44 (janvier 1967), c'est enfin la première rencontre entre MJ et toute la bande d'amis étudiants à ESU au café Silver Spoon. Gwen ne cache pas sa jalousie et feint de s'inquiéter que MJ nuirait aux études de Peter. Harry Osborn, lui, ne cache pas son attirance pour MJ même s'il peut aussi flirter avec Gwen.
Stan Lee a donc décidé de sortir Parker de son aspect de Schlemiel timide. Non seulement il a des amis et il devient soudainement plus charismatique avec deux jolies jeunes femmes qui le courtisent.
Peter reconnaît que MJ est distrayante ("An evening out with Mary Jane is like a dozen holidays rolled into one") mais sa vie de superhéros continue quand même à nuire à leurs relations. Après une blessure avec le Lézard, il annule des rendez-vous.
Harry lui transmet une invitation à une fête organisée par Gwen pour l'incorporation de Flash (et lui propose aussi de l'embaucher chez son père Harry).
MJ dit à sa tante que Peter est "square" (conformiste ou "ringard") mais qu'il lui plaît quand même ("he turns me on", ce qui dans les années 60 pouvait avoir bien des sens).
Dans le n°45, MJ commence à sortir avec Harry (ce qui fait dire avec amertume à Peter que "that chick is as pretty as a pumpkin seed but just as shallow! And I never realized how icky it can be... listening to a gal who is ON all the time!").
Dès le numéro 46, Peter quitte la Tante May et devient colocataire de Harry, dans un appartement payé par Norman Osborn.
Peter se rappelle que Gwen aussi est capable de faire la fête.
Le triangle Gwen-Peter-MJ reste très hésitant. MJ est à nouveau la cavalière de Pete dans le n°47. Gwen dit qu'elle n'est pas intéressée par Flash mais qu'elle est trop occupée par l'organisation de sa fête de départ avant l'armée pour sortir avec Peter.
Quand Peter demande à Gwen de réviser avec elle leurs cours de littérature anglaise, elle lui répond narquoise qu'il n'a qu'à relire ses notes avec MJ (MJ suit des cours d'art dramatique). Harry déclare alors qu'il va s'investir sur Gwen comme Peter est avec MJ, ce qui déplaît énormément à ce dernier.
La fameuse fête pour le service militaire de Flash annoncée depuis trois numéros arrive enfin. Betty Brant est invitée également et John Romita s'amuse à la dessiner dans un style désuet qui rappelle beaucoup Ditko, comme pour mieux opposer la brunette si sage à la blonde raffinée et la rousse volcanique.
Coïncidence ironique, dans le même numéro, Peter sauve Norman Osborn (qui est alors amnésique) d'une chute et Norman reconnaît devant Harry et JJ Jameson qu'il a été sauvé par l'Homme-Araignée, alors que c'est Norman qui fera tomber dans le vide Gwen quand il retombera dans la folie.
Dans le n°48, Gwen (aux cheveux à nouveau relâchés, ce qui semble désormais plus étrange pour le trait de Romita) tente de se rapprocher de Peter mais cela tourne court quand Harry les interrompt en disant que les compliments de Pete doivent viser MJ.
On voit à côté d'elle en passant le Professeur Miles Warren (prof de biochimie de Gwen et Peter). On apprendra bien plus tard (à partir de The Amazing Spider-Man n°129, 1974 ou plus précisément dans le n°148, sept. 1975) après la mort de Gwen qu'il s'était entichée d'elle aussi et avait commencé à développer une obsession malsaine pour son étudiante (et même aujourd'hui, près de 60 ans après, Warren continue de poursuivre de ses assiduités malsaines des Gwen alternatives du Multivers cf. la série récente Ghost-Spider en 2019).
Quand Peter est alité par une grippe (et par ses combats contre Kraven et le Vautour), c'est Harry qui sort avec les deux jeunes filles en même temps dans le n°49.
Quand Tante May retombe à nouveau malade, Pete doit annuler à nouveau un rendez-vous avec Gwen. La manière dont le Professeur Miles Warren semble sincèrement préoccupé par les soucis de Peter prend un ton sinistre quand les scénaristes ultérieurs le transformeront en un criminel psychopathe.
Le commentaire de Peter sur MJ est particulièrement désobligeant : "I haven't even had time for dating scatter-brained Mary-Jane these days! Or, si she really so scatter-brained? I've never been able to take the time to find ou for sure!"
Pendant longtemps, MJ n'est donc qu'un "plan B", la rousse de secours, ce que certains fans de MJ ont complètement oublié quand ils répètent qu'elle a toujours été l'amour originel de Peter.
Dans ce célèbre n°50, Peter décide d'abandonner son identité de Spider-Man pour se consacrer à sa vie privée et ses études. Il pense même accepter un poste de chercheur dans les industries de Norman Osborn. Il jette son costume à la poubelle et sa vie personnelle semble s'améliorer temporairement mais il continue à craindre que Gwen (qui a reçu du courrier de Flash et sort épisodiquement avec Harry) n'ait aucun intérêt pour lui.
Le personnage le plus pathétique dans ce long triangle est ce pauvre Harry, qui ne sert que de remplaçant à Peter pour les deux jeunes filles.
Quand l'entourage de ces personnages secondaires a des discussions entre eux en l'absence de Peter, cela tourne vite autour de Peter quand même, comme lorsque Flash revient déjà en permission dans le n°52.
Harry en a assez d'être traité comme le simple "secrétaire" de Peter qui doit toujours transmettre ses messages parce qu'il n'est jamais là.
Peter et Gwen vont avoir une sortie à une exposition scientifique, avec le Dr. Warren qui les conduit tous les deux. Le Professeur a une remarque assez déplacée qui prend encore plus de sel quand on sait ce qui va lui arriver : "You're bringing Miss Stacy? I certainly admure your choice, Parker!". La révélation à venir 8 ans après de sa jalousie maladie paraît presque naturelle rétroactivement.
On peut considérer que Gwen s'est déclarée ouvertement et que ce n'est plus seulement du flirt. "I never realized you were so habit-forming, man-child... like being hooked on pistachio nuts." (Stan Lee adore décidément les métaphores alimentaires).
Dr. Miles Warren : "You are making me feel too old!" C'est censée être de l'auto-dérision affectueuse mais le ton change si on projette son image de pervers par la suite.
Gwen n'a pas encore d'hostilité envers Spider-Man et dit même qu'elle l'a trouvé "merveilleux". Le Dr. Warren semble beaucoup plus négatif et on peut se demander s'il connaît déjà l'identité secrète de Peter Parker comme il avait mal remis son costume à l'université.
Harry est de plus en plus agacé par les succès féminins de Peter.
Le dialogue paraît ici peu réaliste quand les deux rivales semblent reconnaître avec une désarmante absence de fierté qu'elles se battent toutes les deux pour l'attention de Peter.
Quand la Tante May tombe malade après son enlèvement par le Dr. Octopus au n°55 (décembre 1967), elles viennent toutes les deux à son chevet. Stan Lee répète souvent cette confrontation.
Cette année 1967 est donc encore une transition : Peter préfère Gwen mais il n'est pas certain que ce soit réciproque et répète tout le temps ses doutes. Gwen flirte plus avec Peter qu'avec ce malheureux Harry mais MJ n'est pas encore officiellement sa copine. Ce n'est qu'en 1968 que cette situation va se clarifier mais que le choix d'ajouter le père de Gwen, le capitaine Stacy, va un peu l'enfermer dans les intrigues policières avec ce dernier.
























2 commentaires:
Trés plaisant de prendre le temps de se pencher ainsi sur l'evolution progressive du personnage.
Nombreux détails sur le contexte qui méritaient observations et commentaires.
(Je ne peux plus lire le N°47 sans penser au N° de Deadpool plein d'humour qui le revisitait :
https://www.howtolovecomics.com/2016/01/30/deadpool-11-time-travel )
Merci, je ne connaissais pas cette histoire de Deadpool. C'est en effet brillant comme collages méta-référentiels (mais Ambush Bug l'avait déjà fait chez DC en mélangeant aussi plusieurs styles graphiques).
Pauvre MJ, elle est en effet assez "airhead" dans ces numéros avant la mort de Gwen et on a tendance à l'oublier comme cela fait plusieurs décennies qu'elle a eu le temps de mûrir.
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