mercredi 6 août 2025

Une histoire de Gwen Stacy (6) 1971

 


L'année 1971 (The Amazing Spider-Man #91-104) est surtout marquée par les dessins de Gil Kane, et par un bref passage du scénariste Roy Thomas, l'éditor adjoint de Marvel. 

Il y a aussi une légère évolution dans la cadence des apparitions de Gwen. Le rythme des histoires de Spider-Man est souvent ainsi : début in medias res avec scène d'action, scène avec l'entourage, nouvelle action, nouvelle scène de socialisation et dénouement. Cela explique pourquoi si on faisait des statistiques de toutes ses apparitions, Gwen Stacy est présente le plus souvent sur des pages 6-7 ou 9-10, beaucoup plus rarement en introduction ou en conclusion dramatique. Mais on remarque que cela a changé depuis la mort du Captain Stacy. Gwendolyn a droit à apparaître dès les premières pages (les obsèques et les scènes de deuil de Gwendy), ce qui montre que la vie amoureuse de Peter est devenue l'action du moins pendant quelques temps en ce début 1971

Au n°93, Gwen reçoit un appel du frère aîné de George, Arthur Stacy, qui lui propose de venir à Londres. Elle n'ose pas quitter Peter. "How can I go... and leave Peter? Unless... he no longer cares."


 Quand Peter apprend que Gwen pense partir à Londres, il se dit qu'il est temps de lui demander sa main mais il renonce finalement, de crainte de lui imposer la vie de Spider-Man. C'est cet atermoiement sur la demande en mariage qui va pousser Gwen à accepter l'offre de son oncle Arthur de franchir l'Atlantique. 

Quand Gwendy revoit passer Spider-Man qui vient l'observer près de sa fenêtre, c'est la dernière goutte d'eau. Elle prend l'avion pour Londres et Peter rate son départ (n°93, février 1971). 

Entre parenthèses, comme ce blog pense (comme Marvel d'ailleurs qui l'a officiellement retconnée) que l'immonde histoire d'un autre scénariste dans The Amazing Spider-Man n°512 (nov. 2004) n'a jamais eu lieu et doit être oblitérée de la mémoire collective, on ne s'attardera pas sur cette fan-fiction idiote où Gwen se serait enfuie en Angleterre pour pouvoir accoucher ou avorter après une relation adultère. 

Peter prend l'avion pour la rejoindre en Angleterre (n°95). Arrivé sur place, il sauve des innocents en tant que Spider-Man et se fait donc remarquer. Il se dit que Gwen trouverait cela très suspect qu'il ait été au Royaume-Uni en même temps que l'Araignée. Il repart donc sans l'avoir vue et l'ironie dramatique est que Gwen s'attendait au contraire à ce qu'il vienne la chercher. 


 Mais Arthur Stacy fait remarquer à Gwen qu'elle a dû se tromper et que Spider-Man semble être très "décent". Elle se souvient alors que son père le défendait souvent. 


 La période d'absence en Angleterre est celle où Gil Kane ne cesse de dessiner Gwendy comme une tête spectrale au-dessus de Peter, comme la Princesse Lointaine, comme une obsession. Le trait maniériste de Gil Kane n'est plus encré par John Romita mais par Frank Giacoia et peut être un peu plus personnel mais cela créera des conflits entre Kane et Romita. Romita (art director de Marvel) corrigera parfois la silhouette de Spider-Man pour le rendre un peu moins allongé et à l'époque, avant les ordinateurs, la correction se faisait souvent sur l'original. Romita dit avoir calculé que le Spider-Man de Gil Kane devait mesurer au moins 1,90 m. Romita lui-même prétend avoir été attentif à la continuité graphique mais il avait profondément altéré le trait de Ditko. C'est la version de Romita qui sera le standard jusqu'à ce que McFarlane joue à nouveau à la transformer en 1988. 

Il faut mentionner ici le contexte sur l'entourage des personnages secondaires. Harry Osborn a fait transformer un ancien local de son père le millionnaire Norman Osborn en une petite salle de spectacle loin de Broadway pour que sa copine Mary Jane puisse y monter son show de danse. Mais quand les amis sortent tous ensemble (avec Norman, le père schizophrène de Harry), MJ commence à draguer Peter ostensiblement devant lui en profitant de l'absence de Gwen. 

Peter, qui ne pense qu'à Gwendy, se dit que MJ ne fait cela que pour rendre Harry jaloux et se désole qu'elle brise le coeur de son ami ("she's bad news", n°96). Harry insulte Peter et tombe dans le désespoir. Quand Harry tente de dire à MJ qu'il lui "pardonne", elle rompt avec lui en disant qu'elle n'a pas à attendre son pardon. 

Harry (re)commence à se droguer et fait une overdose (n°97, juin 1971 donc deux mois avant la célèbre histoire sur la drogue dans Green Lantern / Green Arrow n°85 : il faut rappeler que la règle du Comic Code Authority interdisait normalement l'usage des stupéfiants dans les comic books). Peter l'emmène à l'hôpital mais doit lutter contre Norman Osborn, redevenu le Green Goblin.  

Dans toute cette histoire, MJ apparaît très peu sympathique, inconstante, égoïste et assez cruelle (même si elle culpabilisera par la suite). C'est assez curieux que les fans aient fini par la préférer à Gwen alors que Peter ne montre strictement aucune attirance pour MJ. Son caractère entreprenant et sa passion pour Peter semblent paraître positifs pour une majorité de lecteurs. 

 Après 5 numéros passés en Angleterre (n°93-98), Gwendy décide de revenir en se reprochant d'avoir trop exigé le mariage. "What right had I to be angry at Peter because he didn't propose marriage to me. I know he loves me... as I love him! I just know it. A boy doesn't want to feel pressured... doesn't want to feel trapped by a girl. Maybe I pushed too hard! Maybe... I scare him away. I was a fool to run off the way I did."


 Peter et Gwendy se réconcilient très facilement et on croit doc à un happy ending (fin du n°98). 

 


Peter commence même à demander Gwendy en mariage (début du n°99, août 1971), même s'il ne va pas jusqu'au bout. 
 

Peter passe tout l'épisode à chercher de l'argent. Ce n°99 est l'un des plus à gauche de la série (et c'est même le premier, je trouve, qui justifie sa réputation, d'habitude c'est Joe Robertson qui tient les propos de gauche) : Spider-Man vient sur un plateau de télévision pour dénoncer les conditions de détention des prisonniers : pourquoi confiner ensemble des délinquants juvéniles et des criminels endurcis de la Pègre ? Et on a un second happy ending


 Mais dans le n°100, Peter décide d'inventer un sérum pour supprimer ses pouvoirs de Spider-Man et pouvoir enfin épouser Gwen. L'expérience rate de manière spectaculaire quand la mutation s'accroît et que Peter attrape quatre bras de plus (dans la première version, Gil Kane avait dessiné deux bras et deux jambes mais Romita avait trouvé cela trop ridicule). 

Stan Lee quitte officiellement le titre pour se consacrer à écrire un film avec le réalisateur français Alain Resnais, The Monster Maker, sur un réalisateur de film d'horreur de série B dans le genre de Roger Corman qui doit lutter contre un Monstre créé par la pollution sur Rat Island (mais le film ne fut pas produit - Resnais pu quand même utiliser Stan Lee dans sa séquence de l'An 01).  

Roy Thomas reprend la série brièvement The Amazing Spider-Man pour les n°101-104. 

Un des apports de cet ancien prof d'histoire est d'ajouter chez Gwen plus de référence au contexte historique. 

Gwen propose à Peter pour le 4 février (date d'anniversaire de la féministe Betty Friedan, qui dirigeait la National Organization for Women) d'aller voir soit Love Story (décembre 1970), soit le film suédois de Vilgot Sjöman (1924-2006), I am curious (yellow) Jag är nyfiken – en film i gult (1967 mais longtemps interdit par la censure américaine). Le film est tourné comme un faux "documentaire". Lena (jouée par Lena Nyman (23 ans)) est une militante de gauche travaillée par sa conscience sociale, libérée sexuellement et poussée par un désir ascétique d'intégrité. Elle est amoureuse de Börje (joué par Börje Ahlsted, 28 ans) qui la trompe plusieurs fois. Elle attrape la gale et elle finit par l'émasculer. Le film insère une interview réelle en Suède de Martin Luther King Jr sur la non-violence où Lena regrette de s'être emportée et un passage meta où le réalisateur Vilgot Sjöman devient jaloux de la relation réelle entre les deux acteurs Lena et Börje. Ce film provocateur sur la castration (ou sa "suite" qui suit les couleurs du drapeau suédois, Je suis curieuse - en bleu) avait été un grand succès en 1969 aux USA et il dû traumatiser les scénaristes new yorkais puisque le titre avait aussi inspiré à Robert Kanigher l'année d'avant l'histoire de Lois Lane où elle devient noire (Lois Lane n°106, septembre 1970). Je ne pense pas que la majorité des jeunes lecteurs a saisi cette tentative de Roy Thomas de faire de Gwen une intellectuelle fan de libération féministe et de cinéma-vérité érotique suédois (contre cette écervelée de MJ qui se vante souvent de ne jamais suivre l'actualité). 

 Gwen reste assez prude dans son invitation ("You could cover my eyes during the spicy parts.") Roy Thomas et Marvel continuent à faire une double écriture, pour enfants et pour le public estudiantin. Gwen exagère dans l'allusion au classement qui venait d'être créé en 1968 : le film n'avait pas été classé R mais X en raison de plusieurs scènes (c'était le début du classement X quand il était encore associé à film "adulte" et pas seulement à la pornographie). Je ne suis pas sûr que le film ait bien vieilli. 


Mais Peter, qui a toujours 8 membres depuis sa mutation, refuse la sortie cinéma et va disparaître pendant quelques temps pour trouver un remède. Gwendy se croit à nouveau abandonnée. 

 Quand Peter est guéri de sa mutation, il pense à nouveau demander à Gwen de l'épouser et se dit que le seul obstacle est seulement financier (oubliant donc ses plans de supprimer ses pouvoirs d'abord). 

Roy Thomas écrit alors une histoire plus Pulp sortie de King Kong ou des aventures qu'il avait écrites pour les X-Men n°62-63 (1969). Jonah Jameson propose de lancer une expédition dans la Terre Sauvage en Antarctique pour retrouver le monstre Gog et il demande à Gwen de les accompagner sans qu'on comprenne très bien pourquoi à part pour se faire enlever par le monstre comme Ann Darrow dans King Kong. Elle accepte cette offre un peu absurde, en trouvant très sexiste que Peter trouve que ce serait trop dangereux ("Why, Peter Parker... what a male chauvinist pig thing to say!"). 

 

On revient donc au modèle traditionnel de la Damsel in Distress et Spider-Man doit libérer Gwen du monstre (et de son allié Kraven). L'hommage est en tout cas un peu trop directement repris tel quel de King Kong (il y a même un Gong pour appeler la Bête). Roy Thomas voulait-il aussi érotiser l'image de Gwen en la mettant en Jane de la Jungle ? Il aurait peut-être dû alors lui donner plus de présence et plus de rôle actif. (En passant, on ne voit plus MJ depuis l'overdose de Harry).
 

L'année 1971 se termine donc par un provisoire "retour à la normale" : Gwen ne manifeste plus un ressentiment aussi violent contre Spider-Man dans tous ces n°95-104 depuis qu'elle a évoqué le fait qu'Arthur et George Stacy avaient plaidé en faveur du héros. La mémoire collective a souvent répété qu'elle continuait à parler de la mort de son père avec autant d'insistance qu'Inigo Montoya mais dans les textes de l'époque, le deuil avait été relativement plus rapide. 

2 commentaires:

Jim a dit…

Captivant passage en revue.
Avec rappel détaillé des angoisses d'un Peter célibataire et suivi de prés des évolutions capillaires (je dois dire que je reste plus sensible a la Gwen de Ditko hautaine et décomplexée que
celle adoucie et émotive développée par la suite)

A noter la récurrence (magrés les retcons) de l'arriere-plan français concernant l'enfantement des protagonistes de la série :
Peter concu en France aprés une mission d'espionnage de ses parents a Monaco.
La fille de M.J enlevée pour etre elevée en Europe (tentative courcircuitée par Robertson a Paris)
Et les "jumeaux" de Gwen crées "in the parisian Osborn Manor".

Merci pour ce régal estival.

(Et pour rester sur la Suéde : https://www.discogs.com/release/8512384-Gwen-Stacys-One-Two-ThreeGo )

Phersv a dit…

Merci. Curieux, oui, ce retour au continent alors que les Stacys font si anglais.

Les deux versions de Ditko et Romita n'ont en effet pas grand-chose à voir. Romita a d'ailleurs de la sympathie pour MJ parce que c'est lui qui l'a créée entièrement.

Je me demande ce qu'ils auraient fait de Gwen si elle n'avait pas été tuée. Est-ce que son background de scientifique en aurait fait un jour une supervilain, comme on sait bien que c'est toujours le cliché ?

Ce groupe suédois de rock des Gwen Stacys (Johan Rosell & Petter Bergeling) a l'air plus obscur que l'autre groupe américain de metal de l'Indiana.