dimanche 7 avril 2024

Une semaine dans le Péloponnèse



Le voyage en Grèce annoncé commencera demain. Nous nous limiterons à l'Est du Péloponnèse, CorinthieArgolide et Laconie

Jour 2-3-4 Nafplio (plan actuel : Mycènes, Corinthe, Epidaure et si je réussis mon jet de Persuader le Lac Stymphale)

Jour 5 Sparte (en fait Mystra)

Jour 6 Monemvasia

Jour 7 Nafplio

J'ai renoncé à mon projet en Arcadie

Je n'étais pas du tout attiré par Olympie en Elide

Mais j'ai lu depuis chez un touriste que les ruines messéniennes valent curieusement le coup (il prétendait même que Messène était plus impressionnant que Mycènes !), ce sera pour une autre fois. Le Thébain Epaminondas avait reconstruit Messene en 370 comme symbole de sa victoire contre les Lacédémoniens et les Macédoniens protégèrent le retour des révoltés contre Sparte (il crée aussi Megalopolis en Arcadie, qui existe toujours). 

3 x Ulysse

 Pièce de Claude Galéa, mise en scène de L. Guédon, au théâtre du Vieux Colombier jusqu'au 8 mai 2024. 

Que faire des mythes sans les momifier et sans les instrumentaliser pour nos discussions banales ? 

Ce sont trois femmes qui parlent à Ulysse, surtout pour se plaindre : Hécube pour le maudire d'être un pillard, Calypso pour lui reprocher son ingratitude et enfin Pénélope qui ne se plaint pas de lui mais plutôt du temps qu'elle a dû affronter aussi seule. Hécube ne peut qu'être hystérique dans sa peine mais elle semble être une mauvaise conscience en tant que survivante de toutes ses victimes. Calypso est plus passive que Circé qui aurait peut-être pu plus parler d'égale à égale (mais qui aurait été aussi plus convenue). 

Les trois femmes parlent à trois acteurs différents mais je n'ai pas vu d'évolution majeure entre les trois désarrois des Ulysse. 

Je ne sais pas ce que peut produire le langage dramatique dans la prose "poétique" mais c'est surtout ici des stances qui répètent des synonymes ou des idées fixes. Le vers permettait au langage de tenir tout seul et là il ne reste qu'un contraste entre le prétexte du mythe et notre discours anachronique de nos préoccupations (elles lui reprochent de ne pas pouvoir montrer de la sororité et c'est peu dire comme il est avant tout un solitaire tourné vers lui-même). 

Que lui reprochent-elles vraiment ? De ne pas aimer ? De vivre comme une persistance dans son être qui va toujours prétendre revenir mais qui va continuer à fuir ? Elles ont bien compris son ambiguïté et il s'en défend très mal, ce qui fait qu'on manque de dialogue. J'aurais aimé des voix plus divergentes. 

La mise en scène utilise des chansons de différentes époques pour le Choeur et ce sont donc ces diverses parties musicales un peu hors sujet qu'on retient presque plus. 


[Ombres de Dune] L'Univers de l'Incal (ou Jodoverse)

Il est difficile d'énumérer toutes les influences de Dune dans les univers de SF, et notamment dans les jeux de rôle de SF, tant elles sont nombreuses. J'ai déjà parlé par exemple des 6 religions dans Empire galactique, de l'univers arabisant de Coriolis ou de l'univers de SpaceMaster (où l'Eglise contrôle les télécommunications)

On ne peut pas réduire l'Incal et les autres oeuvres du "Jodovers" à une version du film Dune que Jodorowski n'avait pas réussi à faire (et où il se fourvoyait complètement en faisant de Paul le vrai avatar de Dieu). Certains aspects plus proches du film noir de l'Incal (1980) se trouvaient déjà dans The Long Tomorrow de Moebius et Dan O'Bannon et ils annoncent sur ce point (en plus de la paranoia de Philip K. Dick) le Blade Runner (1982) de Ridley Scott. 

Mais en gros les analogies entre l'Incal et Dune sont claires. Il y a un Empereur qui est créé génétiquement depuis des siècles et le Plan a donc déjà eu lieu avant le début de l'histoire. Il y a les "nonnes-putes" Shabda-oud qui sont les Bene Gesserit. La Loge Noire des Techno-Techno est un mélange des Ixiens, des Bene Tleilaxu et un peu aussi de la Guilde des Navigateurs avec une grosse dose de satire de l'Eglise catholique et de satanisme. L'Endogarde Noire est les Sardaukars. Les Mentreks sont une version plus cyborg des Mentats (comme les interdits sont différents). Il y a des grandes Maisons d'Aristos comme les Maisons du Landsraad. L'Ekonomat est la CHOM. Il n'y a pas d'équivalent clair pour les Troglosocialiks (colons communistes) ou pour de nombreux éléments plus "Jungiens" alchimico-ésotérico-NewAgeo-tarotologues (dont certains vont aussi se retrouver de manière encore plus satiriques dans Valérian). 

Le niveau technologique est bien plus élevé et quasi-magique dans l'univers de l'Incal. Les "Simaks" (des androïdes) semblent bien plus puissants et polymorphes que les Face Dancers tleilaxu. 

Le Métabaron avait commencé comme un super-mercenaire amoral dans l'Incal (et certains lecteurs ont cru à tort que c'était plus un Harkonnen ou ce que Villeneuve a fait de Duncan Idaho) mais il apparaît ensuite plutôt comme le Duc Leto Atréide (alors que l'Empereur serait déjà une version du Plan réussi des Shabda-Oud). La planète de marbre Marmola , seule à contenir l'épiphyte anti-gravité dans tout notre univers, est Arrakis la planète des sables avec l'épice

En poussant un peu, le Gargale Gangez (l'Ange-Vautour, l'Oiseau blanc symbole de la Maison des Castaka) est le gardien de l'épiphyte sur Marmola et pourrait être un équivalent très transformé de Shai-Hulud. Le Ver rampant qui produit l'épice serait inversé en Oiseau céleste gardant l'épiphyte d'une autre dimension. La fusion des Metabarons avec Gangez évoquerait alors plus Leto II l'Empereur-Dieu fusionnant avec le Ver des Sables. 

Mais l'univers de l'Incal est aussi un Multivers et il est dit que l'Empire navigue aussi entre les dimensions. Les Six Gargales sont des Gardiens des Six Portes dimensionnelles. Voilà ce que dit le livre de l'univers-jeu de rôle La Caste des Métabarons (2001) p. 133/136 (voir aussi la synthèse plus précise des six énergies p. 196) :  

Ces portes sont au nombre de six. Chacune d'elles s'ouvre sur un univers qui est l'exact opposé de celui qu'on quitte. Par exemple, aux confins où règne un froid atroce, la porte Temper-Ut, dom le gardien est Uakl, débouche sur un univers brûlant, De même, devant la porte Mardador gardée par Gangez, l'univers est fluide et léger, mais dès qu'on en franchit le seuil, on pénètre dans une dimension où toute chose présente une extraordinaire densité, une compacité infinie. (...) Dans notre univers, les 6 portes secrètes qui marquent le passage vers d'autres univers, celles dont seuls les fous osent rêver franchir, un jour, le seuil, sont respectivement Mardador, Temper-Ut, Lucioh, Per-Beod, Chonch et Puerko. Mardador est la porte gardée par l'oiseau Gangez. Elle mène des confins denses à un univers léger, et la maîtrise de la gravité est le secret qui y est associé, Temper-Ut mène des confins chauds à d'autres confins froids. Cette porte est gardée par Uakl, une tortue de mercure, qui détient le secret de la modification des températures. Gardée par Ophidat, une entité reptilienne aux écailles noires et blanches qui possède le Secret de la lueur et des ténèbres, Lucioh est la porte qui mène de l'obscurité à la lumière. Comme chacun sait la Sainte Eglise Industrielle a une affinité toute particulière avec cette porte et ce gardien. Per·Beod est la porte qui conduit d'un univers sec à un autre liquide. Son gardien. Bemb détient la source absolue, le secret de la maîtrise de l'eau. Il semblerait que Bemb se soit un jour, pour une raison ou une autre, entendu avec l'Ekonomat et qu'un pacte les unisse. Chonch, la porte qui débouche d'un univers rugueux dans un univers lisse, est gardée par Ruante qui possède la capacité de modifier à volonté le relief des mondes. Son pouvoir est détenu dans un objet, un petit pinceau en orikarb. Enfin, Podrih-Do, gardien capable d'agir au niveau moléculaire le plus infime et de maîtriser la chimie des arômes, veille sur Puerko, la porte par laquelle on quitte des confins pestilentiels pour déboucher dans un univers parfumé.

Chronologie des 300 siècles

Il y a une petite chronologie dans le livre sur l'Univers des Métabarons p. 17-18 (qui à l'époque s'arrêtait à la fin du CCCe siècle :

36e Siècle Rosemonde le Rebis Alchimique devient le premier Empereur galactique. 

46e Siècle La Planète d'Or devient la nouvelle capitale impériale. 

135e Siècle Artaran & Marmala, les Jumeaux, remplacent Rosemonde et l'Empire contacte les autres Univers parallèles. 

Sur Ahour-la-Naine, Dayal de Castaka naît d'un viol d'une Castaka par un Amakura. Les Castakas massacrent tous les Amakura qui ont le temps de se venger en rendant toute la Maison Castaka stérile en dehors de Dayal le bâtard. La Guilde Techno devient l'Eglise Techno et ils viennent détruire toute la Maison Castaka pour prendre le contrôle d'Ahour. Dayal s'enfuit avec sa femme et ses deux jumelles. Ils rejoignent les Pirates et découvrent par hasard Marmola. Dayal se lie à l'oiseau Gargez et détient le secret de l'épiphyte. 

233e Siècle : Margaela & Magellan deviennent le 3e couple impérial. Puis ce sera les siamois Janus-Jana. 

236e Siècle : le Technopape des Techno se sépare de la Papesse des Shabda-Oud. Elles utilisent des Cetacyborgs, des baleines de l'espace. 

299e Siècle : Les deux jumelles fusionnées de Castaka ont un enfant avec Ulrich un viking de l'espace, Berard. Berard donne ensuite sa fille Edna à Othon von Salza. L'Empire découvre le secret de Marmola et conquiert la planète. Le Premier Metabaron Othon doit s'enfuir vers la planète Okhar, puis sur Perdita mais il sera anobli par l'Imperoratrice Janus-Jana. La Shabda-Oud Honorata engendre Aghnar, le 2e Metabaron, qui sera un cyborg mais qui contient de l'épiphyte dans son organisme. C'est le début du rituel sanglant du parricide des Metabarons : chaque Metabaron devra tuer son prédécesseur et être mutilé d'un membre pour hériter du titre. 

300e siècle : Aghnar tombe amoureux d'Oda mais elle est laissée sans âme par les Shabda-Oud. La mère d'Aghnar Honorata possède alors (à l'insu de son fils) le corps de sa brue zombie Oda et elle engendre ainsi le 3e Metabaron, Tête d'Acier, qui sera rejeté et mutilé par son père. Tête d'Acier tue son père et se greffe la tête de Zaran le Poète pour devenir plus humain : il devient Melmoth. Il tombe amoureux de Dona Vicenta (dont il a tué le père) et elle engendre alors le/la 4e Metabaron, Aghora, une fille (quasi-hermaphrodite car elle a le cerveau de son frère mort). Aghora est nourrie par Dejanire la Tarantulouve mais iel rompt avec la tradition en ne tuant pas son père Tête d'Acier qui disparaît. Aghora s'auto-féconde et engendre Sans-Nom, le 5e et dernier Meta-Baron qui tue son père/mère mais jure de ne jamais avoir d'enfant. Il tente de sauver l'Humanité d'un désastre en la conduisant par la porte Lucioh vers un Univers de Lumière. Tête d'Acier doit se sacrifier pour le sauver. Le Metabaron Sans-Nom décide de rompre avec la tradition martiale et le statut de mercenaire créé par le 2e Metabaron. L'Oiseau Gangez se réveille et lui dit qu'il est le premier Metabaron à avoir dépassé la vengeance vers la pitié. Il se consacrera désormais à la justice et à lutter contre les Ténèbres de l'Eglise Techno. 

301e siècle : (Scénario de Jerry Frissen) Le nouveau Technopape reconstruit une nouvelle Planète d'Or. L'épiphyte (qui est le résidu de l'univers originel avant le Multivers, ce qui explique comment il contredit les lois de la Nature) arrive à sa fin sur Marmola et l'univers menace de se contracter sans l'épiphyte. Les Technos créent l'Anti-Baron Khonrad, clone du Metabaron Sans-Nom mais il meurt en tuant son maître. Le Technopape a une fille, Orne qui devient la compagne du Méta-Baron et tombe enceinte de lui. Alors que leur univers va être détruit, un Simak (androïde polymorphe) remplace le Technopape et poursuit le Metabaron vers la source de l'épiphyte dans une autre dimension, vers la planète Algoma, contre-partie de Marmola. Le Métabaron doit s'allier à la Métagardienne indigène de l'épiphyte contre l'invasion des Simaks et il sauve son univers avec l'épiphyte d'Algoma, mais la Métagardienne (qui est aussi enceinte du Métabaron) tue Orne. Le Métabaron aura deux enfants : un fils de la Métagardienne, Adal, et une fille d'Orne, Dargona.  

samedi 6 avril 2024

Abélard à Astralabe

Abélard (1079-1142) écrivit au fils qu'il eut d'Héloïse (1092-1164), Astralabe (né en 1116, Abélard avait 36 ans et Héloïse 24 ans), ce poème pédagogique dans le style de l'Ethique à Nicomaque. Les premiers vers sont assez banals (du genre un peu augustinien, étudie bien mais aussi selon ton maître intérieur). Voici les vers 145-149 (le poème a 1042 vers). 

alter ego nisi sis non es michi verus amicus
ni michi sis ut ego non eris alter ego
quos in amicicia sua querere lucra videbis
quod dici cupiunt hoc simulare scias
cuius criminibus cito credis non es amicus

A moins que tu ne sois un autre moi, tu n'es pas mien vrai ami
Si tu n'es pas pour moi comme moi, tu ne seras pas un autre moi
Tu verras ceux qui recherchent un profit dans l'amitié
Sache qu'ils désirent cacher ce que j'ai dit
Tu n'es pas ami de celui à qui tu fais trop vite confiance dans ses crimes


A une époque où je voulais devenir romancier et que je croyais que cela devait consister à plagier sans cesse Umberto Eco, je trouvais ce personnage d'Astralabe très mystérieux. Je l'imaginais à Nantes peut-être épris de la fille O(riane ?) du Duc Hoël de Bretagne et enquêtant sur la mort de Geoffrey Plantagenet en 1158. Mais The Pillars of the Earth (qui se finit dans les années 1150-1170) et Cadfael (qui se termine vers 1145) ont peut-être déjà un peu épuisé toute cette période des premiers Plantagenets. 

jeudi 4 avril 2024

Galimafrée

 * Je tombe sur l'entrée Pierre Goldman de Wikipedia et j'ignorais que Régis Debray (qui avait été proche de lui) ne croyait pas à son innocence sur les meurtres dont on l'accusait. En dehors de l'argument (qui semble assez fort) de l'alibi pour le disculper, il faut reconnaître que c'est un peu suspect qu'il y ait par coïncidence un vol commis par quelqu'un d'autre selon la même procédure que lui la veille d'un de ses propres vols... Dans la suite de l'article sur sa période à Libé, j'ignorais aussi à quel point Guy Hocquenghem (son ennemi à Libé) avait été une telle ordure qu'il demandait une alliance entre l'extrême "gauche" et les racistes et antisémites, en une sorte de soralien avant l'heure. 

* On a un peu oublié l'intensité du terrorisme d'extrême droite des années de Plomb en Italie (depuis la Piazza Fontana à Milan en 69, le train Italicus près de Florence, Piazza della Loggia à Milan, massacre de Bologne...) et en France (Curiel, Goldman...). L'assassinat d'Aldo Moro fait qu'on se souvient plus que des BR, je trouve, ou en France d'Action Directe. 

* Il y a en maths une "preuve" de 500 pages de la conjecture abc (une conjecture en analyse diophantine) tellement dense (par Shinichi Mochizuki) que depuis 12 ans les mathématiciens n'arrivent pas à se mettre d'accord pour savoir si c'est ou non un théorème avec une démonstration valide ou s'il y a bien une erreur (le consensus majoritaire mais pas absolu a l'air d'être que c'est toujours une conjecture et que Mochizuki, quel que soit son talent, n'a pas réussi). Mais je trouve cela bizarre que la question ne soit pas tranchée de manière claire. 

* Pookie fait une review d'un scénario récent pour Traveller, Manticore (qui se passe sur Pysadi, dans le sous-secteur Aramis, qui apparaissait déjà dans The Traveller Adventure). C'est dans un cycle de petites aventures (non-officielles mais sous "licence") écrites par un certain Carl Terence Vandal, The Phoenix Initiative (qui se passe sur Wochiers) et The Mariposa Affair (qui se passe sur Ruie). Mists of Tionale est dans le secteur Vilis, à quatre parsecs de Ruie. 

* Quintin Smith, que j'aimais bien sur les jeux de plateau, a maintenant aussi une chaîne sur les jeux de rôle et je dois reconnaître qu'il parle de jeux indie dont je n'ai jamais entendu parler ailleurs alors que je passe mon temps à suivre des media sur les jdr. 

* Une discussion (sur Mastodon) m'a fait changer d'avis sur Fading Suns. Je trouvais cet univers trop sombre et désespéré mais j'ai vu qu'on peut en réalité y jouer un univers bien plus ouvert et optimiste que dans Dune (je n'avais jamais perçu que l'Empereur Alexius peut aussi tenir lieu de nouveau Roi Arthur dans les étoiles). En revanche, une originalité de Dune était d'avoir choisi comme modèle principal l'Islam alors que Fading Suns a choisi d'inverser la référence en prenant le Christianisme Orthodoxe, mais cela peut finalement paraître trop commun et eurocentrique dans sa tentative de s'éloigner de son modèle.

mercredi 3 avril 2024

John Barth (1930-2024)

Barth, qui vient de mourir à 94 ans, n'est pas encore assez traduit dans la langue de Diderot, ce qui doit expliquer qu'on ne le connaît pas encore assez ici - et il est possible qu'il soit déjà un peu trop tard comme ce qu'il a inventé est devenu déjà banal ensuite. Il était à la fois un romancier et un universitaire qui enseignait l'art du roman et ses romans commencèrent donc à porter sur leur forme même, à la fois humoriste et érudit, parodique et analytique. 


Né dans le Maryland, il avait fait son Masters dans l'université locale Johns Hopkins (Baltimore) en 1952 et il revint par la suite passer la majorité de sa vie dans cette baie du Maryland pour enseigner l'Ecriture à Johns Hopkins. Il prétend que c'était en travaillant comme assistant bibliothécaire dans les rayonnages de Johns Hopkins qu'il devint écrivain en classant les anthologies de contes comme des contes sancrits (la collection Peabody de la Sheridan Library abrite 300 000 livres du XVIIIe-XIXe siècle). D'un côté, Barth était très "régional" ou local (les marais du Maryland reviennent toujours de manière obsédante) alors que ses goûts le portaient vers un certain encyclopédisme littéraire comme celui de Borges. 

Après ses premiers romans réalistes, il écrit The Sot-Weed Factor (1960, traduit en 2002 le Courtier en tabac), où le personnage d'Ebenezer Cooke (1665-1732) est un des premiers poètes du Maryland et a écrit dans la réalité un poème satirique sur les escroqueries de la vie des premiers colons en Amérique. Barth transforme ce poème obscur sur un marchand de tabac en un conte à la Candide ou à la Tristram Shandy où Cooke croit écrire une épopée qui devient un récit de la désillusion sur le Nouveau Monde. 

Pale Fire de Nabokov, le roman bâti sur des annotations délirantes d'un poème, sort en 1962 et Barth sera ensuite un des rares écrivains contemporains qui trouvent grâce à Nabokov. Et ils partageaient un formalisme et une certaine indifférence à des questions de morale ou de politique. 

En 1966, Giles Goat-Boy est un conte plus fantastique. Giles a été abandonné et éduqué par des chèvres, ce qui en fait un petit Satyre. Retrouvé, il est élevé dans un Univers-Université dirigée par un Ordinateur et toute une partie du roman devient une parodie des savoirs que ce Satyre érudit absorbe, alors que les Départements de l'Université entrent dans une Guerre froide. 

Barth théorise alors ce qu'on appellera le "Post-Modernisme" en littérature dans son essai "The Literature of Exhaustion" (1967) où il parle de Nabokov et Borges comme les représentants de ce courant qu'il va définir comme méta-fiction. Il ajoute ensuite une correction dans "The Literature of Replenishment" (1979) qu'il reprend dans son livre Friday Book (1984). 

Un des personnages récurrents des romans de Barth va devenir Sheherazade, comme le personnage-narratrice qui entre dans ses propres récits des Mille et Une Nuits pour sauver la vie par la fiction. Chimera ou Letters ou The Last Voyage of Somebody the Sailor la font apparaître avec d'autres personnages de Barth qui s'écrivent et se racontent leurs points de vue. 

Les derniers romans m'attiraient moins car je trouvais que Barth jouait plus nettement sur l'auto-fiction (et le cadre du Maryland), comme beaucoup d'autres romans récents, et moins sur son procédé de méta-fiction sur des personnages fictifs. 

Son dernier roman, Every Third Thought (2011, il avait 81 ans) est sur un vieux romancier de Johns Hopkins qui réfléchit sur sa propre mort à venir. Cela pouvait être divertissant comme refrain sur Barth lui-même mais sa Comédie humaine risquait de se refermer uniquement sur des impressions de l'auteur-narrateur. 

mardi 2 avril 2024

Substitutions

J'ai souscrit au financement de Chrysalis, le nouveau jeu sans MJ dans l'univers de Shaan. Depuis mon énorme déception devant l'engagement nazi de MAR Barker, j'ai cherché d'autres univers pour combler ce manque et il y a bien le jeu québécois Mechanical Dreams ou Jorune, mais j'aime encore plus ce qu'ils ont réussi à faire avec Shaan (et je conjecture que le mysticisme écolo d'Igor Polouchine n'a rien d'obscurantiste). 

Puisqu'on parle de créateurs "controversés" comme on dit, la première version (Playtest, 2022) du nouveau jeu de rôle de Marvel (Marvel Multiverse) aurait été écrite en cachette par un certain A. "Autarch" Macris, un auteur d'extrême droite (voir ce thread sur somethingawful). Mais l'auteur principal de la version finale de 2023, Matt Forbeck semble laisser dire au contraire qu'il ne reste rien de ce brouillon (et de toute façon Macris lui-même dit n'avoir été tout au plus qu'un ghostwriter sans contrat). J'aime bien certains jeux de Forbeck comme son jeu de superhéros dystopique Brave New World (une variante sur Watchmen, en gros) mais j'ai trouvé Marvel Multiverse inutilement lourd, malgré quelques jolis clins d'oeil pour les fans (le dé 616 où un des 3d6 a un 1 qui vaut 6). Son intérêt principal pour l'instant est que le jeu de base a la description de 130 personnages (dont environ 80+ héros et environ 40 vilains), ce qui est assez rare (le vieux Marvel Superheroes Advanced Set (1986) de Jeff Grubb avait 45 superhéros et 28 vilains). Il y a déjà une campagne de 250 pages (The Cataclysm of Kang) mais j'ai l'impression que c'est plus une anthologie de plusieurs scénarios avec voyages temporels ou dimensionnels et je ne crois pas que l'idée D&D de scénarios avec ascension de niveau régulière marche très bien pour le genre des comics. 

Anne Vetillard (1963-2024)

Anne Vetillard est décédée dans sa 61e année. Elle n'avait pas que traduit des jeux de rôle (comme Bushido ou Torg) mais aussi des romans (comme le cycle des romans de Feist & Wurt dans un univers très inspiré par l'Empire du trône de pétale). Elle créa le jeu de rôle Légendes de la Table ronde. Elle avait encore récemment participé au renouveau de Laelith. 

On peut aussi voir une interview d'elle d'il y a 6 ans. 

Une image d'un Grandeur Nature il y a 20 ans aux costumes superbes, à thème Te Deum Pour Un Massacre où elle jouait une des maîtresses du Roi de Navarre, Diane Corisande d'Andouins, Comtesse de Guiche (1554-1620). 


Add. L'hommage de Tristan Lhomme. 

La France, c'est le Bacon Re.: Contexte

 On avait déjà parlé des erreurs d'interprétation d'une citation célèbre sans le contexte et de l'erreur de citation d'Alain interprétant mal une phrase de Montaigne


Un autre exemple est la phrase souvent citée en anglais "La Connaissance est le Pouvoir" (Knowledge is Power) attribuée à Francis Bacon

Lier ainsi la modernité à une forme de pragmatisme (où tout concept est un outil) paraît plausible comme le "Lord Verulam et Vicomte de St Albans" a l'image de Père de l'Empirisme moderne, ne cesse de défendre l'Avancement de la Philosophie naturelle et de la science nouvelle et qu'il est connu pour d'autres phrases comme "la nature ne peut être dominée qu'en lui obéissant" (Natura non nisi parendo vincitur, Novum Organum, 1620, Livre I, §3 & §129). 

Mais la première citation est un contre-sens. Le passage où apparaît Scientia ipsa potentia dans ses Meditationes sacrae (1597) parle de tout autre chose

La théologie et l'omniscience

Bacon y est en train de critiquer l'athéisme et les excès inverses d'"hérésies superstitieuses".  Le futur Lord Verulam (il ne sera anobli que plus tard et n'est encore que juge) distingue alors deux attributs divins : sa volonté bonne et sa puissance. La connaissance qu'a Dieu des actes humains et de l'avenir dépend de sa puissance (alors qu'on distingue d'habitude la puissance d'agir et la sagesse ou l'entendement divin et qu'on fait même parfois correspondre les trois facultés à la trinité : le Père est puissance, le Fils est volonté bonne, l'Esprit est sagesse). 

Bacon distingue en effet ce qu'il appelle "trois degrés" des hérésies qui veulent limiter la puissance divine pour expliquer comment le Mal peut exister face à la Volonté bonne et la Puissance infinie. La première forme est de type manichéen avec deux principes opposés (un principe mauvais pour limiter la puissance divine). La seconde refuse ce principe maléfique comme réalité mais garde une absence ou une privation d'être indépendante (un mal comme un néant dans la nature). Enfin la troisième est celle qui dit que cette indétermination n'existe que dans le libre arbitre humain ou dans le futur contingent qui ne serait que saisi immédiatement par Dieu mais de manière indépendante de toute possibilité d'action de sa puissance. Et c'est dans ce moment où il parle de la science que possède Dieu qu'il dit que ce savoir est aussi sa puissance. Selon ce passage, séparer son omniscience comme un savoir du futur mais en le séparant de toute activité serait aussi ruiner son omnipotence. L'intention polémique est de dire qu'une telle limite revient déjà à glisser vers le premier degré, vers une seconde substance manichéenne. 

Du Problème du Mal à la Physique ?

Autrement dit, on cite souvent la phrase comme si Bacon avait dit que notre science humaine allait augmenter notre puissance sur ce monde par ses applications alors que c'est complètement sans rapport. La phrase parle de Dieu et pas des hommes, de la connaissance par Dieu comme partie de sa puissance absolue et non pas de notre connaissance. 

Le vrai créateur de la citation au sens où on l'entend n'est pas Bacon mais un de ses disciples plus matérialiste, Thomas Hobbes. Certes, l'idée de l'importance des applications techniques est bien baconienne (quelques années après, avec le Novum Organum qui lance la polémique anti-aristotélicienne avec Galilée et Descartes) mais pas avec cette phrase. C'est donc un cas où on se dit qu'il ne l'a pas dit (du moins pas tel qu'on l'entend) mais qu'il aurait dû ou pu le dire. 

Bacon est en train d'utiliser la théologie de la puissance absolue comme moyen polémique contre une forme d'indétermination. On dit souvent en histoire des sciences depuis Pierre Duhem que l'idée de puissance absolue de Dieu aurait pu contribuer au contraire à ouvrir à d'autres possibilités en rompant avec certaines des structures aristotéliciennes (le vide ou un mouvement infini pourraient exister si Dieu le voulait, etc) mais ici, Bacon veut garantir une stabilité au nom de cette puissance

Il compare alors la situation à l'indétermination des atomes chez Épicure, ce qui peut faire penser que son but en 1597 n'était peut-être pas déjà que la théodicée mais peut-être déjà une idée plus physique

En revanche, je ne prétends pas comprendre comment Bacon prétendait réussir à régler le problème du Mal tout en évitant cette "hérésie", et comment le politique anglican réglait la question du libre arbitre ou de la grâce. 

Voici une traduction du passage : 

Le troisième degré [des hérésies] est celui de ceux qui limitent et restreignent la première opinion aux seules actions humaines, qui participent du péché : actions qu'ils supposent dépendre substantiellement et originellement, sans aucun enchaînement ou subordination de causes sur la volonté intérieure et du choix de l'homme ; et qui donnent une portée plus large à la connaissance de Dieu qu'à sa puissance ; ou plutôt à cette partie de la puissance de Dieu (car la connaissance elle-même est puissance) par laquelle il connaît, plutôt qu'à celle par laquelle il met en mouvement et agit (statuuntque latiores terminos scientiae Dei quam potestatis, vel potius ejus partis potestatis Dei (nam et ipsa scientia potestas est) qua scit, quam ejus qua movet et agit); pour qu'il puisse ainsi pré-savoir certaines choses, en tant que spectateur indifférent, qu'il ne pré-destine ni ne pré-ordonne (ut praesciat quaedam otiose, quae non praedestinet et praeordinet) : une notion qui n'est pas sans rappeler l'invention qu'Épicure a introduite dans la philosophie de Démocrite, pour se débarrasser du Destin et faire place à la Fortune ; à savoir le glissement latéral de l'Atome ; qui a toujours été considéré par les plus sages comme un glissement frivole. 

Mais tout ce qui ne dépend pas de Dieu comme auteur et principe par des chaînes et degrés, alors cela doit être en lieu et place de Dieu et doit être un nouveau principe et une sorte d'usurpateur de Dieu. C'est pourquoi une telle opinion est refusée comme une indignité et une dérogation à la majesté et au pouvoir de Dieu. Pourtant il est affirmé de manière très vraie que Dieu n'est pas l'auteur du mal, non pas parce qu'il n'est pas auteur mais parce qu'il n'en est pas auteur en tant que c'est mal. 

lundi 1 avril 2024

La SF fut-elle plutôt de droite ?

Certes, HG Wells avait été socialiste (et fut même un triste cas de naïf stalinien) et cela a pu créer un biais sur ce qu'était la science fiction. Certains auteurs américains comme les Futurians (l'éditeur marxiste Wollheim, Frederick Pohl) furent communistes puis trotskyistes (dans cette veine, il y a toujours Steven Brust ou Ken McLeod), et Isaac Asimov, qui fut assez "progressiste" en dehors de son sexisme, avaient été de gauche. Ursula Le Guin fut l'une des rares à commencer en sf une critique interne à l'anarchisme sur les dystopies socialistes. Iain Banks fut aussi un anarchiste qui ne tomba pas dans le "libertarianisme" de tant d'écrivains américains. David Brin est connu pour avoir défendu la thèse discutable que la sf serait plus essentiellement de gauche que la fantasy car elle présupposerait plus qu'un contexte technologique peut transformer la nature et l'humanité (alors que la fantasy serait plus anti-moderne, plus liée à une priorité d'une nature originelle). J'ai l'impression que Kim Stanley Robinson a encore un humanisme progressiste et Greg Egan (qui est un technophile très anti-religieux) s'est engagé dans la critique de la droite australienne. 

Mais sans remonter aux Pulps avec des auteurs fascisants comme Burroughs ou Lovecraft, on a souvent des quiproquos sur des écrivains de SF américains dont on ne perçoit pas bien les opinions. Les Hippies firent des contre-sens de lecture sur Heinlein ou sur Herbert. Robert Heinlein fut libertarien et militariste. Poul Anderson (qui est l'un de mes écrivains préférés) devint de plus en plus archi-conservateur (même s'il dit avoir été très à gauche dans sa jeunesse). Frank Herbert, Républicain, explique que pour lui les mauvais côtés de Paul Atréides sont ceux de personnes dangereuses comme Mao "ou comme JFK". Philip K. Dick est glorifié comme un paranoïaque gnostique mais il écrivait aussi des lettres au FBI pour dénoncer ses camarades de gauche. Ray Bradbury a expliqué que Fahrenheit 451 visait plus la Rectitude Politique de gauche qu'un auto da fe de droite. Larry Niven, Reaganien enthousiaste, écrivit des articles où il conseillait de faire croire aux Hispaniques que les hôpitaux volaient les organes pour qu'ils n'y aillent plus. Jerry Pournelle était un conservateur catholique. Gene Wolfe (qui fut peut-être un des plus cultivé des auteurs de sf récent) était aussi un conservateur classique. Orson Scott Card prétend être un "démocrate conservateur" mais il est aussi un Mormon un peu obsédé par une vision morale homophobe. 

Pour quitter la sf anglophone, on sait que René Barjavel fut vichyssois vichyste. Liu Ciuxin a l'air de cautionner une instrumentalisation nationaliste de son cycle des Trois Corps, comme tous les personnages qui choisissent des convictions humanistes et démocratiques universelles sont toujours des naïfs auto-destructeurs, voire des nihilistes suicidaires, et où les seuls personnages rationnels et réalistes sont ceux qui sont prêts à prendre une position "darwinienne" génocidaire s'il le faut. 

Jeu de rôle Magazine n°63

Je viens de recevoir la semaine dernière JDR Magazine n°63 (daté Hiver 2024, 114 pages). J'avais déjà survolé les derniers numéros n°59-62. J'aime surtout les reviews nombreuses mais je vais plutôt faire la liste des autres éléments principaux (dont 50 pages de scénarios). 

Entretiens : L'adaptation en BD de Hawkmoon par Jérôme Le Gris et Benoît Dellac (Glénat). 

Dossier Cyberpunk (p. 19-36) avec quelques inspis mais traitant surtout du jeu classique homonyme de Mike Pondsmith qui a atteint sa 4e édition, Cyberpunk Red, qui se passe en 2045 (25 ans après la 2e édition et 30 ans avant le jeu vidéo). La VF est publiée chez Arkhane Asylum

Scénarios

L'Anneau Unique (p. 50-63) : Une enquête à Bree autour d'un Elfe en fuite. Très belles illustrations. 

Les Héritiers (p. 64-87) : Monaco féerique et humain de la Belle Epoque (aide de jeu et scénario). 

Missions: Old Wild West (p. 88-99) : En 1869, les agents sont envoyés au Sud-est du Wyoming pour enquêter sur le gang des frères James. 

Il n'y a pas de scénario cyberpunk mais d'un autre côté il y avait eu un scénario pour Quantiques dans le numéro précédent (qui est en gros cyberpunk + super-pouvoirs à la White Wolf). 

Aspirine

Un dossier de statistiques sur les foulancements participatifs de 2023. 

Un article sur l'évolution du Cyberpunk et qui cite aussi parmi les jeux le récent NOC (Sethmes 2023) comme quasi-cyberpunk malgré une ambiance plus mystique. 

samedi 30 mars 2024

Le sable rouge est comme une mer sans limite,

Le sable rouge est comme une mer sans limite,
Et qui flambe, muette, affaissée en son lit.
Une ondulation immobile remplit
L'horizon aux vapeurs de cuivre où l'homme habite.

Pas un Orni ne passe en fouettant de son aile
L'air épais, où circule un immense soleil.
Parfois quelque Faiseur chauffé dans son sommeil,
Fait onduler sa queue dont l'écaille étincelle.

Tel l'espace enflammé brûle sous les cieux clairs.
Mais, tandis que tout dort aux mornes solitudes,
Les Vers géants rugueux, voyageurs vifs et rudes
Se glissent sous le sol à travers les déserts.

D'un point de l'horizon, comme des masses brunes,
Ils viennent, soulevant la poussière, et l'on voit,
Pour ne point dévier du chemin le plus droit,
Sous leur ventre annelé crouler au loin les dunes.

Aussi, sans souci du temps et du vent, ils passent
Comme une ligne noire, au sable illimité ;
Et le désert reprend son immobilité
Quand les lourds voyageurs à l'horizon s'effacent.

Leconte de Lisle, Poésies nouvelles, 1855 
(repris dans Poèmes barbares, 1862)

Le Dune de Lynch de 1984 trouve peu de défenseurs et même son réalisateur l'a renié. Pourtant, en dehors de quelques caricatures cauchemardesques de Harkonnen, les sourcils ridicules des Mentats ou la scène où il pleut à la fin, je le trouve plutôt réussi (même si je pense préférer encore la mini-série). Et je crois que je retiens plus Brian Eno que le Hans Zimmer de la version de Villeneuve. 

J'aime bien le sublime des Grands Monolithes flottants et immobiles de Villeneuve (surtout dans Arrival) mais en dehors de cette ombre du divin dans cette froide architecture totalitaire, je ne vois pas bien ce que j'en tire. 

La différence principale de cette version est d'insister sur la transformation et la trahison de Paul et sur le scepticisme croissant de Chani malgré son amour. Irulan et Jessica sont plus actives (Villeneuve a dit qu'une de ses idées était de faire une adaptation plus centrée sur les Bene Gesserit et de réduire la place des Mentats). Le film développe aussi le personnage assez secondaire de Margot Fenrig (la Bene Gesserit envoyée pour séduire Feyd - qui a pris plus d'importance dans Paul of Dune, un des sequels de Brian Herbert qui se passe entre Dune et Messiah of Dune). En revanche, Alia au Couteau, la soeur du Prophète, devra attendre le Messie car elle n'est toujours pas née dans cette version. Le fait d'avoir développé la Princesse Irulan rend ce pauvre Empereur encore plus inexistant en marionnette des Bene Gesserit. La Guilde est absente et on ne revoit jamais ce pauvre Mentat Assassin Thufir Hawat (Stephen Henderson) qui est complètement coupé au montage et oublié. 

Le rythme me paraît très discutable. La bataille de chute des Atréides dans le premier volet était épique mais la bataille finale de chute des Harkonnens est bâclée très rapidement. Les Sardaukars se rendent immédiatement ou sont massacrés hors champ. L'arc de Paul est trop abrupt, il change quasiment immédiatement de son refus d'être le Messie à une volonté froide de vengeance et de pouvoir après avoir retrouvé Gurney Halleck comme figure paternelle en plus de Stilgar. L'ambiguïté de Paul est certes bien mieux rendue que dans le film de 1984. 

dimanche 24 mars 2024

Retour à Hrafnista

Vous pouvez voir sur cette carte, près du port de l'actuelle Abelvaer (île de Nærøy, vallées des Namdalen, région de Trøndelag dans le Hålogaland, archipel de fjords au nord-ouest de la Norvège), la région qui accueillait au Moyen-Âge la demeure de "Hrafnista", le site des Sagas de la Maison de Chaudron-la-Truite (ou Ketil le Saumon).

Après un voyage en Islande, j'avais écrit des résumés de ces quatre sagas norvégiennes de Hrafnista : (1) Ketil le Saumon (2) Grimr à la Joue Velue, (3) Oddr aux Flèches (la plus connue et la plus longue des quatre), (4) An l'Archer. Comme j'ai absolument tout oublié en 13 ans et que ce Blog stimule souvent ma mémoire, je vais faire un résumé de ces résumés. Ces quatre sagas norvégiennes me semblent avoir plus de magie, d'armes magiques et de Trolls, avec de nombreux voyages en Laponie ou en Russie, et moins de conflits inter-clans que dans la plupart des sagas islandaises où le fantastique est souvent plus discret. Notons que Ketil est l'ancêtre d'Egil, le plus célèbre des héros islandais. 

(1) Ketil (dont le père était demi-lapon) avait été surnommé le Saumon car il avait tué un Dragon qu'il avait pris pour un poisson ayant remonté les rivières. Dans ses voyages au nord, il aida un sorcier lapon à devenir roi et il obtint ainsi en remerciement l'épée magique Dragvendil, trois Flèches forgées par les Nains qui touchaient toujours et revenaient à leur propriétaire, ainsi que la fille troll du sorcier. Elle eut comme enfant avec lui Grimr à la Joue Velue (car il ne pouvait pas raser une de ses joues). Mais Ketil répudia sa femme troll et eut une fille d'un second mariage. Un prêtre d'Odin, Framarr de Suède, vint avoir sa main et celle-ci refusa. Framarr défia alors Ketil en duel. Framarr était censé être invulnérable mais l'épée magique de Ketil le tua et Ketil donna finalement sa fille en mariage au fils de Framarr qui l'avait soutenu contre son père (et c'est de ce mariage qu'est issu An l'Archer). 

(2) Grimr à la Joue Velue, fils de Ketil, avait été fiancé à Lofthaena, fille du seigneur du Vik, mais elle disparut pendant la noce. Il partit à sa recherche et affronta avec les Trois Flèches des femmes-trolls qui dirent qu'il ne pourrait pas la retrouver. Laissé pour mort après un combat, il fut sauvé par une autre Trollesse monstrueuse qui lui demanda de coucher avec elle en payement. Il accepta et elle put ainsi redevenir Lofthaena car c'était là la condition pour qu'elle puisse reprendre sa forme. Elle lui expliqua qu'elle avait été métamorphosé en Troll par sa belle-mère. Il la vengea et ils eurent un fils, Oddr, et une fille. Comme son père Ketil avant lui, Grimr dut affronter des prétendants avec son épée Dragvendil. Il confia finalement son fils Oddr à Ingjaldr (seigneur de Berurjóðr ("La Clairière aux Ours", qui serait peut-être dans la même région même si certains la localise plutôt loin au sud dans le Rogaland). 

(3) Oddr, fils de Grimr, avait hérité des Trois Flèches (mais pas de Dragvandil). Il reçut l'oracle d'une Sorcière qu'il aurait une vie longue mais mourrait à cause de son cheval Faxi. Il tua donc son cheval et l'enterra en croyant avoir évité la prophétie. Il partit en expédition dans le Nord où il affronta bien des Trolls et Géants avec ses Trois Flèches magiques forgées par les Nains. Il s'associa comme Viking à Hjalmar et ils pillèrent les îles britanniques où il obtint comme rançon une tunique qui le rendait invulnérable s'il ne fuyait pas. Oddr et Hjalmar se battirent contre le berserk Angantyr qui portait l'épée maudite Tyrfing (forgée par des Nains prisonniers qui voulaient punir celui qui leur faisait faire cette arme). Celle-ci tranchait n'importe quoi mais se retournait aussi contre son possesseur en déclenchant des catastrophes. Hjalmar et Angantyr s'entre-tuèrent et Oddr les enterra tous les deux avec l'épée Tyrfing (mais Hervor la fille d'Angantyr alla la déterrer, ce qui poursuivit la malédiction de sa famille). Parti chez les Géants et devenu ami d'un certain viking Barbe-Rousse (en fait le dieu Odin), Oddr apprend que son pire ennemi Ögmundr Floki ("à la Touffe") avait été conçu magiquement par un enchantement, fils d'une trollesse. Il le poursuit à travers le monde et celui-ci réussit à tuer le fils d'Oddr qu'il avait eu d'une Géante. Après des aventures en Russie, Oddr dut admettre qu'il ne pourrait jamais tuer définitivement une créature magique immortelle comme Ögmundr Floki et repartit chez lui dans la Clairière aux Ours. Il passa près de l'endroit où son cheval Faxi avait été enterré et un serpent sortit du squelette pour le tuer. 

(4) An l'Archer était par sa mère un autre petit-fils de Ketil le Saumon et donc un cousin d'Oddr. Le frère aîné d'An était Thorir qu'on surnommait Thorir le Thane car Thane était le nom de son épée qu'il avait reçue du Roi des Vallées de Naumdaela. Thorir était resté fidèle au Roi Ingjaldr le Mauvais (fils de celui qui lui avait donné Thane, différent du Ingjaldr qui avait éduqué Oddr) alors que son frère An était devenu un rebelle et un hors-la-loi contre le méchant seigneur en restant caché dans le domaine de Hrafnista. Ingjaldr finit par assassiner son fidèle vassal Thorir pour lui reprendre l'épée Thane et An vengea son frère en tuant le Roi Ingjaldr le Mauvais. 

Epées nommées

L'épée Dragvandil de Ketil le Saumon et Grimr fut transmise à Þórólf Kveldúlfsson (Kveldulf Bjalfason étant un cousin de Ketil Þorkelson un des petits-fils de Ketil), qui l'offrit à son frère Grímr Kveldúlfsson dit Skalla-Grímr qui s'installa en Islande et l'épée passa à son fils Þórólf qui l'offrit à Arinbjǫrn, qui la rendit finalement au célèbre héros Egil Skallagrímsson. [Une version apocryphe bien plus tardive et anachronique prétend même que cette Dragvandil venue de Laponie serait aussi la Durandal de Roland (même si les légendes carolingiennes préféraient y voir une origine troyenne comme l'épée d'Hector).]

Parmi les autres épées nommées des sagas en dehors de Dragvandil et Tyrfing, il y a notamment Skǫfnungr, l'épée du Roi de Danemark du VIe siècle Hrólf Kraki, qui fut enterrée dans son tumulus mais volée après sa mort et qui est transmise en Islande dans d'autres sagas. Elle ne pouvait être tirée du fourreau devant une femme et ne pouvait pas être remise au fourreau sans avoir pris du sang. Dáinsleif (Héritage de Dáin, Roi des Nains) fut l'épée du chef danois Hǫgni et elle donnait des coups qui ne pouvaient jamais être guéris et elle aussi ne sortait jamais du fourreau sans tuer. Les sagas islandaises ont aussi Jǫkulsnautr (Taureau des Montagnes Enneigées) l'épée de Grettir qu'il transmet dans son clan. Gísla a l'épée Grásíða (Gris Côté). Mistilteinn (Gui) fut l'épée que le héros danois Hrómundr Gripsson alla chercher dans le tumulus de Þráinn, ancien Roi de "Vallande" (pays vague qui peut désigner aussi bien le Pays de Galles que l'Empire romain) et qui était gardé par son spectre. 

jeudi 21 mars 2024

Jim Ward's DragonScales

Le dernier jeu publié par feu Jim Ward fut DragonScales, un monde saturé de Dragons (au point que des vols de prédateurs dragons sont visibles chaque nuit !) où toutes les formes de magie dépendent de l'exploitation du corps de ces pauvres créatures. L'idée de départ n'est pas mauvaise (même Dragonlance n'a pas réussi à donner autant d'importance centrale à nos créatures imaginaires favorites) mais le problème est ensuite dans le traitement qui manque cruellement de détails nouveaux. Jim Ward n'était pas quelqu'un d'aussi profond et systématique qu'un auteur comme Bruce Heard, qui réussirait à faire tout un monde de campagne crédible et original à partir de n'importe quelle prémisse. 


Ward était en avance sur les autres en 1976 mais il n'a pas toujours réussi à se renouveler. Il n'éditait plus ses jeux avec beaucoup d'attention (comme on le lui a reproché pour Tainted Lands, son D&D pour monstres gothiques) et il est peu probable qu'on puisse recommander le système du jeu de DragonScales, qui ressemble au système SAGA qu'avait utilisé TSR en 1996-1998 mais est fondé sur un jeu de 54 cartes classiques comme pour Castle Falkenstein.

Mais Ward avait compris qu'il fallait un monde (où il s'amuse avec le même narcissisme que Gygax à mettre une "Ward Forest") et il a même décrit les bases d'une Cité centrale, Concord, cité où les Dragons ont fait la paix avec les mortels. 

Le monde s'appelle les Royaumes Chromatiques parce que chaque Royaume a une "couleur", et les six couleurs de ces Royaumes correspondent aussi à six Classes de personnage assez génériques. Trouver un moyen mnémotechnique pour systématiser un cadre fictif est une bonne idée dans un jeu de rôle. Royaume d'Or se retient mieux que l'Empire d'Alakzamaàdksppcsdocnwxcmjwdsucdelsmod. 

Royaume Description Classe
Améthyste Côte sud-est,
Fortement magique,
beaucoup de tanières
à dragons
Yeux (Mages)
Argent Forêt de Fer, théocratie 
où les Paladins sont choisis
à la naissance
Templiers (Paladins)
Azur Collines vertes,
Faune et humains
de haute taille
Chasseurs (Marchands/Voleurs)
Carmin Plateau inhospitalier
où s'entraînent les Crocs
Crocs (Guerriers)
Emeraude Forêt Silven au sud-est
dirigée par un Conseil
de Forestiers et pleine de 
félins géants
Forestiers (Druides/Rangers)
Or Sud, Estuaire du fleuve Keta
du Dieu Soleil,
cité d'Héracleion
Porte-Parole des Airs (Prêtres)

Voir description des six classes (p. 12) et des six Royaumes (p. 85) qui se contredisent en partie, ce qui n'a pas dû être relu. J'ai corrigé Royaume Blanc en Royaume d'Argent (le Royaume Blanc étant un Septième territoire, la Confédération des cités côtières plus à l'est dont les noms évoquent la Scandinavie) et corrigé Crusaders en Templiers. 

Il y a quelques contradictions sur les dieux : Raven mentionné pour dieu des Guerriers doit être Torhorn le Faucon et non pas Torsean (?) et le livre oublie ensuite qui est ce dieu Soleil adoré par la théocratie du Royaume d'Or. Ward devait avoir quelque chose contre les Voleurs car ils deviennent les Chasseurs et il supprime aussi la classe pour la remplacer par un Mage des Portes dans son autre fantasy heartbreaker Tainted Lands

Le cadre local du jeu, la Cité de Concorde sur le Canyon des Dragons, à l'est des Monts des Fumées, n'est pas très loin au nord du Royaume d'Argent (Templiers), du Royaume d'Azur (Chasseurs) et du Royaume d'Or (Prêtres). Elle est construite sur des ruines des Nains, sur plusieurs grandes arches comme le Pont des Dieux, et elle est sous la protection divine. Les Dieux y viennent souvent en personne pour parlementer. Les Dragons des différentes couleurs n'y ont pas le droit de chasser et réciproquement il y est strictement interdit d'y traquer les Dragons pour leurs écailles ou de s'attaquer à leurs demeures. 

L'éditeur n'a pas pour l'instant publié la carte générale des Six Royaumes Chromatiques qui a été réalisée par la célèbre Darlene (celle qui avait fait la carte de Greyhawk il y a 50 ans) mais il y a deux morceaux de cette carte dans le livre (morceaux qui ne coïncident pas totalement, ce qui fait que j'ai renoncé à les coller).



 

Dieux

Ward avait été le co-auteur du Deities & Demi-Gods (même si la plupart des dieux originaux venaient de Roger Moore) et il y a une liste de Dieux qui évoque un peu trop un mélange d'Asgardiens et d'Olympiens. Une bonne idée est d'avoir mis un Animal associé ou Totem à chaque fois comme pour les Olympiens. 

Le Panthéon de Tor utilise un Roi des dieux, Tor, mélange d'Odin, Thor et Zeus, mais tout son panthéon n'est qu'une liste de 5 Aspects qu'i(e)l a créé par parthénogenèse : Guerre, Amour, Fécondité, Ivresse, Voleurs. 

Tor : Dieu du Tonnerre et de la Magie, Père des autres Aspects de Tor. Associé aux Dragons bleus. 

* Torhorn : Dieu de la Guerre et de la Mer. Associé aux Faucons et aux Chevaux. Arès/Poséidon

* Torlynn : Déesse de l'Amour, de la Vie et de la Musique. Associée aux Papillons. Aphrodite/Apollon/Asclepios

* Torrango : Dieu de l'Agriculture et de l'Eau douce. Associé aux Dragons blancs. Démeter

* Torsean : Déesse de la Fête et du Vin. Associée aux Corbeaux. Dionysos

* Torshorn : Déesse des Voyages, des Passages et des Voleurs. Associée aux Chevaux ailés et aux Chats ailés. [Torhorn et Torshorn ? Pas une très bonne idée de créer deux dieux au noms si proches.] Hermès

Onnel : Dieu de la Destruction, frère et rival de Tor. Associé aux Dragons noirs. 

Marissa : Déesse de la Nuit, de la Lune et des Vents mais aussi des Forestiers du Royaume d'Emeraude. Associée aux Tigres blancs. 


mercredi 20 mars 2024

Drawmij's Merciful Metamorphosis


Jim Ward
(1951-2024), mort il y a deux jours, fut le créateur du tout premier jeu de rôle de SF (à la fois post-apo et space opera), Metamorphosis Alpha (1976), celui où les personnages étaient des mutants, des plantes ou des robots découvrant que leur univers était en fait un vaisseau, le Warden, en voyage dans l'espace (j'en avais parlé ici il y a 16 ans déjà...). 

Puis il en fit (avec Gary Jaquet) une version post-apo sur Terre avec Gamma World (1978). Avant cela, il avait co-écrit avec Rob Kuntz l'un des premiers suppléments de D&D, Gods, Demi-Gods & Heroes (1976), qui fut ensuite réadapté pour AD&D sous le nom Deities & Demi-Gods (1980). 

Il fut un de ceux qui écrivirent la 2e édition d'AD&D de 1989 (il dit que c'était lui qui avait décidé de retirer certains éléments controversés comme la classe de l'Assassin et du Demi-Orc) et quand Gygax fut viré en 1985, ce fut aussi lui qui fut chargé de réadapter le monde de son ancien Maître du Donjon dans Greyhawk Adventures. Il quitta finalement TSR et continua sa carrière dans diverses compagnies en refaisant plusieurs éditions de son premier jeu. Récemment encore vers 2019, il avait créé encore une autre variante de D&D, DragonScales

Des récits contradictoires disent que son personnage dans la campagne de Gary Gygax à Greyhawk s'appelait "Bombidell" mais que comme cela ressemblait trop à Tom Bombadil, Gygax le fit changer en "Drawmij" (Jim Ward à l'envers) pour la version publiée de Greyhawk. Une des mers de Oerth (Taerre) s'appelle aussi l'Océan Dramidj. 



Ce Drawmij, Archimage du 18e Niveau, est notamment associé au sortilège "Invocation Instantanée de Drawmij" (sort de 7e niveau à l'époque, 6e dans la dernière édition) qui permet de faire apparaître dans sa main un petit objet (moins de 5 kg) qu'on a pu "marquer" auparavant dans un rituel (mais à condition de sacrifier une gemme dans la main avant - un saphir de 1000 po dans la 5e édition). 

Le personnage de l'ArchiMage Drawmij a continué à être développé dans l'univers de Greyhawk. Il est d'Alignement Neutre comme la plupart des Mages du Conseil des Huit de Mordenkainen. Il vit dans une demeure sous l'eau (il est aussi un inventeur d'appareils de respiration), sous la Mer Azuréenne dans la côte du Royaume de Keolande. Il est déjà mort plusieurs fois et un des gags est que quelqu'un a aussi inventé "Mort Instantanée de Drawmij", un sort qui est censé tuer Drawmij à chaque fois qu'il est lancé, ce qui doit être assez irritant. Il y a un article plus complet sur Drawmij là

En l'honneur de Jim Ward, voici le Grimoire de Drawmij. 

Je suppose que Drawmij a dû jeter Invocation Instantanée sur son exemplaire (qui doit faire moins que 5 kg) pour le retrouver tout le temps quand il en a besoin. Bruce Heard dit dans son article "Details for delving into magical research" (Dragon Magazine n°82, fev. 1984, p. 58) que Drawmij appelle son livre Le Repertoire des Illustres Conjurations et qu'il y a dedans diverses invocations comme Conjurer Elémentaire, Invoquer un Monstre VII, Invoquer une Ombre, Invoquer un Rôdeur Invisible, Sanctuaire

On peut ajouter cette liste des Sorts originaux créés par Drawmij (liste donnée par Jim Ward dans Greyhawk Adventures p. 54-56) avec ces 15 sortilèges : 

Niveau 1

La Bête de Somme de Drawmij (divise par deux l'encombrement)

Le Pas léger de Drawmij (permet de marcher comme si on avait des bottes elfiques)

Niveau 2

La Chance d'Aventurier de Drawmij (donne une chance surnaturelle mais coûte très cher comme il faut sacrifier 5000 po en rubis)

Le Souffle de Vie de Drawmij (permet d'échapper à tout effet d'asphyxie)

Le Masque aux Effluves de Drawmij  (cache toute odeur pour les animaux). 

La Monture Prompte de Drawmij  (double la vitesse d'une monture)

Niveau 3

Le Bouclier Merveilleux de Drawmij  (-2 à la CA dans toutes les directions, sauf attaque surprise). 

Le Chronographe Portable de Drawmij  (minute les effets de fin d'un sort avec un Gong) [Par la suite, Drawmij se spécialisa en Chronomancie.] 

Le Sac de Fer de Drawmij  (protège un sac normal en lui donnant une protection +2 contre les attaques). 

Niveau 4

Sortie Instantanée de Drawmij  : crée un portail qui téléporte aléatoirement à une distance de 230 mètres (5% de chance d'être envoyé dans le Plan Ethéré). 

Protection contre les Gaz Non-Magiques de Drawmij : sphère de 6 mètres

La Boite à Outils de Drawmij : permet d'obtenir jusqu'à dix outils divers pendant la durée du sort. 

Niveau 5

Le Prodige Volant  de Drawmij : transforme un objet en objet volant. Demande une plume de Roc. 

Niveau 6

La Polymorphie Bienveillante  de Drawmij : donne à une cible la capacité de choisir sa polymorphie. 

La Métamorphose Miséricordieuse  de Drawmij : transforme une cible en une bête en lui donnant aussi l'intelligence de cette bête et lui faisant perdre tout souvenir de sa vie précédente. 

[Je ne comprends pas pourquoi François Letarte disait dans sa vidéo d'hommage (depuis retirée ?) que Ward (qui a quitté TSR en 1996) a travaillé sur le système SAGA de DragonLance Fifth Age (1996) et Marvel Superheroes Adventures (1998). Il n'est pas du tout cité dans les auteurs de ces jeux de cartes, même si son récent DragonScales utilise en effet un système proche qu'il a baptisé Ward Card System. ]

dimanche 3 mars 2024

Kane à travers les planches

Gil Kane en 1940

Gil Kane
(de son nom d'origine Eli Katz, 1926-2000) et Carmine Infantino (1925-2013) sont deux grands dessinateurs qui travaillaient depuis l'Âge d'or mais furent tous les deux associés avec la naissance de l'Âge d'argent et le renouveau des comics de superhéros (Infantino pour le nouveau Flash, Kane pour Green Lantern). Les deux ont comme point commun d'avoir évolué vers un style "maniériste" très allllllloooongé dans les années 70 (Kane plutôt verticalement avec des visages faisant penser à El Greco et Infantino plus horizontalement avec des visages de plus en plus trapus). 

Ils sont aussi connus pour s'être haïs depuis leurs premières années sous l'Âge d'Or, et peut-être même leur enfance quand ils ont grandi ensemble dans un quartier misérable de Brooklyn. Infantino dit seulement qu'ils n'ont jamais été "proches" mais on parle d'une jalousie ou d'un conflit plus ancien. Dans une interview (dans le livre d'entretiens Carmine Infantino: Penciller, Publisher, Provocateur p. 26), Infantino se moque de ce qu'il appelle l'histrionisme ("dramatic behavior") ou le "donquichottisme" de Kane, de son attachement aux apparences et même (avec l'agressivité qu'on repère alors chez lui) de son nez qu'il aurait fait refaire. 

Les deux artistes ont eu en effet des rapports assez opposés : Infantino a réussi à être plus "corporate", à se faire assez bien voir de DC Comics pour devenir un des editors (c'est lui qui choisissait notamment les couvertures) puis le "publisher" en 1971-1976. Kane au contraire a été beaucoup plus indiscipliné et rebelle contre les éditeurs et même contre les scénaristes. Il avait même fait une interview dans le fanzine de Roy Thomas, Alter Ego n°10 (publié en 1969) où il expliquait que les scénaristes des comics étaient en général trop médiocres et qu'ils devraient donc laisser plus d'autonomie aux dessinateurs, qui avaient une meilleure compréhension du medium qu'eux. Le scénariste Gerry Conway (qui écrivait Spider-Man avec Gil Kane un peu plus tard dans les années 70) dut le prendre assez mal et déclara qu'au contraire le rythme et la narration de Kane (quand Conway suivait la technique Marvel de scénario assez peu dirigiste pour le dessinateur) étaient souvent déséquilibrés. 


En 1968, Kane avait réalisé un roman graphique d'espionnage et de science fiction, His Name is .. Savage chez Adventure House avec le scénariste Archie Goodwin (qui prit un pseudonyme pour ne pas s'aliéner Marvel) et tenta de le vendre dans les distributeurs de journaux comme les comic books de l'époque. Le livre, assez violent et jugé trop adulte, ne trouva pas son public. Kane avait reçu des milliers d'invendus de son comics indépendant et il revint donc vers DC pour retrouver du travail. 

Gil Kane dessine dans House of Mystery 180 (daté de juin 1969) une histoire proposée par les éditeurs Joe Orlando, Carmine Infantino et le scénariste Mike Friedrich, "His Name is... Kane" où Kane est absorbé dans la planche qu'il dessine et où il doit affronter les éditeurs et les scénaristes. 

Un détail est que Kane a un petit croquis avec une caricature de profil sur sa table à dessin "To Gil from Eli" (Eli étant le prénom de naissance de Gil), avec un nez plus protubérant. Est-ce Kane qui est allé aussi loin pour se moquer de sa propre opération chirurgicale, de son problème d'identité et de son changement de nom ?



Il paraîtrait plausible que Gil Kane ait lui-même accepté l'histoire en plaisantant avec humour auto-dépréciateur car DC ne pouvait quand même pas le contraindre à tant de détails sarcastiques. Le fait de franchir le "Quatrième Mur" était assez courant chez Marvel et DC et ici, cela rappelait la célèbre séquence de Wally Wood "My World", Weird Science #22, 1953 chez EC où Wood se met en scène face à sa planche en énumérant les styles qu'il aime dans ses dessins - c'est d'ailleurs le même Wally Wood qui encre cette histoire de Kane). 

Mais d'après cet article c'était aussi et surtout bien une moquerie et une vengeance d'Infantino sur une idée de Joe Orlando, imposée à son vieux rival comme une humiliation. Friedrich dit rétrospectivement avoir eu un peu honte d'avoir écrit ce scénario contre son propre artiste. Le titre même fait référence à l'échec de His Name is... Savage et les dialogues font de Kane un monstre de vanité (comme la plupart des personnages châtiés dans ces histoires d'horreur). Caïn est le narrateur et Kane assassine son éditeur Joe Orlando dans une rage meurtrière parce que celui-ci ne reconnaîtra pas assez son génie et il est finalement étouffé par les spectres dessinés de l'éditeur et de l'auteur. Kane dut quand même garder une certaine distance sur ce scénario assassin puisqu'il dessina encore quelques histoires dans House of Mystery (n°184...) et d'autres titres comme Teen Titans avant de retourner chez Marvel où il fut mieux traité.  

30 ans plus tard, Alan Moore fit une autre histoire post-moderne où Gil Kane apparaît à nouveau dans son propre dessin. Ce fut d'ailleurs la dernière bande dessinée de Gil avant son décès. On ne peut pas comprendre cette partie si ce n'est comme un rituel d'hommage qui avait pour but d'annuler la violence de l'épisode de 1969. C'est dans Judgement Dat: Aftermath (mars 1998 - Kane avait donc 72 ans), chez Awesome Comics, où Alan Moore fait chez Rob Liefeld un commentaire ironique sur l'évolution des comics.  Gil Kane apparaît comme une sorte de grand artiste interdimensionnelle, l'Imagineer et il est glorifié là où il était caricaturé. Kane mentionne d'ailleurs ses amis Jack Kirby et Wally Wood face aux personnages. Il y a bien une petite pointe d'ironie quand un personnage dit qu'il était meilleur dans le passé mais la phrase finale est "His name is Kane", au cas où on n'aurait pas reconnu l'allusion. 

Moore croyait vraiment au premier degré que les grands artistes de comics sont des explorateurs d'une Noosphère imaginale, de l'IdeaSpace ou de "l'Idéoplasme". Alan Moore s'est si souvent opposé à DC qu'il devait trouver une justice karmique à inverser la caricature de Mike Friedrich. 




Ironiquement, Carmine Infantino, qui avait toujours été du côté des cadres de DC contre ses collègues artistes et s'était toujours moqué du côté revendicateur de Gil Kane, changea d'avis à l'âge de 79 ans et tenta en 2004 (juste après la mort de l'éditor Julius Schwartz, qui aurait pu le contredire) de faire un procès pour obtenir "4 millions de dollars" pour la création du Flash de l'âge d'argent. Il perdit. 

mardi 20 février 2024

Box office chinois 2023

Les films historiques continuent d'être influents dans le cinéma populaire chinois. Les 10 plus gros succès chinois de 2023 qui ont dépassé le milliard de renminbi, soit cent millions d'euros (si on ne compte pas les importations) étaient les suivants : 

Full River Red $637.24m (RMB4.54b) film historique
The Wandering Earth 2 $564.64m (RMB4.03b) sf (Liú Cíxīn)
No More Bets $539.27m (RMB3.85b) drame policier
Lost In The Stars $493.73m (RMB3.52b) drame policier
Creation Of The Gods I $369.49m (RMB2.63b) épopée
Never Say Never $369.3m (RMB2.21b) comédie arts martiaux
Chang An $255.62m (RMB1.82b) dessin animé historique
Boonie Bears: Guardian Code $209.58m (RMB1.49b) dessin animé
Under The Light $189.33m (RMB1.35b) drame policier
Godspeed $165.93m (RMB1.18b) road movie familial

Le 5e dans cette liste, Creation of the Gods (Première Partie de la trilogie), l'épopée fantastique sur la chute des Shāng d'après Xǔ Zhōnglín, j'en ai déjà parlé

Full River Red (满江红) de Zhāng Yìmóu est une enquête et une intrigue d'espionnage vers 1146 chez Qín Huì (1091-1155), chancelier de l'Empire des Sòng du Sud, qui avait trahi sa dynastie face aux Jurchen (la "dynastie Jīn") en faisant périr le général Yuè Fēi (1103-1142). L'assassinat d'un plénipotentiaire des Jīn met en danger les négociations. Le titre, Mǎn Jīang Hóng, (Le Fleuve Complètement rouge), est une allusion à un poème célèbre (et même un type de rythme et de versification) qui a été attribué plus tard au général Yuè Fēi après l'effondrement de Jìngkāng de 1127 (quand les Jurchen réussirent à conquérir la capitale des Sòng en prenant même l'Empereur en otage). Il y a souvent des allusions à cette période dans Le dénicheur d'aigles

Cháng'ān (长安三万里, "à 30 000 de Xi'an" ?) est un dessin animé de 2 heures 48 sur la vie du grand poète Lǐ Bái (701-762) et du général & poète Gāo Shì (704-765) sous la dynastie des Táng et notamment à la fin des années 750 quand le général Ān Lùshān se révolte et prend le contrôle de Luòyáng, la capitale orientale. Gāo Shì assiégé se remémore sa vie avec d'autres grands auteurs de la période à Cháng'ān, la capitale des Táng, comme Dù Fǔ (712-770). (Par coïncidence, le poète Wáng Zhīhuàn, un des compagnons et rivaux de Gāo Shì aurait écrit un poème sur la "tour de la grue ou du héron", comme plus tard le général Yuè Fēi...). 



dimanche 18 février 2024

Mechanical Dream 8 Le "Pilier"

1 Gnaths, Odwoanes & Volkoï, 2 Yakis & Soleks, 3 Les Frilins & les Zins, 4 les Emovans, les Inaïs & les Nayans. 5 Les 10 échos ("classes"), 6 Chronologie et cadre général, 7 Création de personnage

L'univers de Mechanical Dream n'est pas médiéval, ni même seulement "steampunk" (contrairement à ce que je disais dans mes premiers messages) mais un mélange de haute technologie (industrie, robots Odwoanes, clones et androïdes Volkoï...) et de fantastique (avec le Songe et des lois physiques différentes sur l'énergie). Le cadre principal est un ensemble de mégalopoles comme la nature sauvage est rendue terrifiante par le "Nocturne". 

Les Arbres Kioux sont gigantesques et portent plusieurs plateformes de douzaines de millions d'habitants. L'Arbre de Khaï-Bhek est un des plus grands connus, il fait 30 kilomètres de haut (plus que 3 Everest, un peu plus que l'immense Mons Olympus sur Mars) avec une base de 10 km. Cette verticalité des Arbres Kioux explique l'incroyable densité urbaine (plus de 5 milliards d'habitants). Le "Pilier" est composé de Khaï-Bhek (145 millions d'habitants, 9 plateformes) et de 4 autres Cités-Etats construites en carré autour de lui et nommées chacune pour leur chef : Kolester (55 millions), Oce (45 millions), Kaderun (70 millions) et Ulabediare (25 millions), sans parler de Danaac la cité aquatique des Emovans dans les profondeurs sous les racines de Khaï-Bhek (400 millions). Ce carré fait, je crois, près de 500 km de côté (ce qui ferait à peu près la superficie du Royaume-Uni ou de l'ancienne RFA). Le Train céleste relie les différentes branches.

L'Etat a en plus de l'Armée et de la Banque (qui émet la monnaie, les Pièces de Sang), trois parties : la Gestion des Ressources Politiques (police, magistrats et bureaucrates), des Ressources Economiques et des Ressources Sociales (éducation et propagande). 

L'Etat du Pilier est un mélange d'autocratie (dirigée depuis un siècle par le Gnath Droliath Estolah qu'on surnomme "Le Pilier En Personne"), d'économie planifiée (tous les services comme la médecine sont organisés par l'Etat) et d'ultra-capitalisme (tous les services doivent être payés individuellement, même les pompiers et cela peut conduire à des citoyens de plus en plus endettés). 

Les quartiers les plus riches et développés technologiquement sont généralement dans les plateformes des hauteurs et les bidonvilles sont plus dans les racines. 

Les "sociétés" sont sous les ordres de l'Etat mais les plus puissantes ont des droits de vote dans la Gestion des Ressources économiques. Certaines ont des juridictions limitées à des secteurs ou des branches de leur arbre Kioux. Les sociétés sont décrites dans MD Dream Aspect p. 111-121. Il faut ainsi transporter, stocker et répartir l'Orpee ingéré chaque semaine par des milliards de personnes et importé entièrement des Foyers des Inaïs par les méga-corporations ORPEE PARTOUT et SECURITE STOCKAGE. Une des sociétés (Naissance de Héros p. 116) gère les Echos. Il y a aussi un chapitre sur les emplois disponibles dans le livret du supplément Engrenages p. 11-23. 

Le Pilier a une importante croissance territoriale et démographique depuis cent ans. Cette croissance vient de s'arrêter devant la Cité de Yhrne Llemir (p. 105), loin au-delà des Plaines de Vlorë dans la Grande Jungle où Le Fléau (chef de l'Armée du Pilier) a été repoussé. Yhrne Llemir a des pierres modifiées par les échos Artisans de l'étrange qui ont permis des murailles surélevées sur toutes les plateformes et son despote n'est pas plus démocrate que le Pilier. 

mardi 13 février 2024

Pentimento

 

C'est peut-être évident pour tout le monde mais je n'avais pas remarqué avant que le "scandale" du Déjeuner sur l'herbe (1865) n'était pas du tout que la femme soit nue mais que les deux hommes soient habillés (et habillés en tenue contemporaine et non en bergers antiques). Une copie entièrement nue de l'original perdu de Raphaël dont on n'a que cette gravure de Marc-Antoine de Bologne vers 1510 n'aurait provoqué aucune réaction négative si elle n'avait créé ce décalage entre le thème classique et un anachronisme. 




lundi 12 février 2024

Creation of the Gods I Kingdom of Storms



A l'occasion du Nouvel An chinois et du passage à l'Année du Dragon de Bois, les cinémas diffusaient pendant 48 heures le film Creation of the Gods du réalisateur Wuershan qui est la première partie d'une trilogie. Il n'est hélas pas prévu d'autre sortie nationale, ce que je trouve assez peu compréhensible car le film est certes un peu long (2h30) mais on commence à s'habituer à ces durées et il assez facile à suivre malgré les nombreux personnages et quelques allusions peu expliquées. Le Parisien exagère complètement en disant que cela ne peut viser que des spectateurs chinois émigrés.

C'est l'adaptation de l'Investiture des Dieux (封神演義, Fēngshén Yǎnyì), roman mythologique du XVIe siècle qui raconte de manière fantastique la chute de la Dynastie Shāng et l'arrivée de la Dynastie Zhōu vers l'an 1050-1046 avant J.C. Yīn Zhòu (aussi appelé Zhòu Xīn, 1075-1046) est le dernier empereur des Shang et le roman justifie comment les Shang perdent le "Mandat céleste" (tiānxià, 天下) au profit de Jī Fā (姬發, 1076-1043), qui deviendra le futur Empereur Zhōu Wǔ wáng (Wǔ le Roi des Zhōu). Il y a 20 ans en 2004, j'avais fait un bref survol de l'Investiture des Dieux dans la traduction si peu pratique paru chez You Feng.

Le film est une débauche d'effets spéciaux qui vise à concurrencer les trilogies de fantasy occidentales et lorgne parfois plus vers Marvel que vers Lord of the Rings

J'ai pu voir quelques petites différences mais je ne me souviens pas assez du roman pour détailler. Le Méchant Empereur Yīn Zhòu me paraît plus actif et courageux dans cette version au lieu d'être seulement la victime languissante de Dájǐ la démone renarde à neuf queues (húlijīng).



Daji est quasiment le seul personnage féminin de tout ce premier volet. Elle est jouée par une actrice russe d'origine bouriato-mongole Naran (Narana Erdyneeva, née en 1997 - Wuershan est aussi d'origine mongole) et le choix de mise en scène change beaucoup le personnage traditionnel de Daji. Au lieu d'être une manipulatrice froide et cruelle, cette version de Daji en fait plutôt une jeune femme-bête certes sexy mais aux yeux innocents et qui ne semble pas toujours comprendre entièrement ce monde humain dans lequel elle a été plongée. Quand elle tue, cela semble être plus un acte de prédation dénué de toute malveillance (même si elle est quand même consciente de la catastrophe à venir). Elle n'a pas ses soeurs démones pour l'instant. 

J'aime bien aussi l'idée que les différents seigneurs ne sont pas que des princes à la Cour mais un corps des "Otages", fils des Quatre Ducs élevés par l'Empereur Yīn Zhòu pour former une Garde d'élite dévouée à sa personne. Cela crée une dynamique nouvelle où le héros Jī Fā a une double allégeance entre son père adoptif l'Empereur et le père dans sa province du Xiqi. 

Une autre différence est de faire de "l'Investiture des Dieux" du titre non pas simplement un événement à la fin de l'histoire (où le sage Jiāng Zǐyá proclame la liste et la déification de divers personnages de l'histoire) mais le MacGuffin depuis le début, le Parchemin divin qui est le vrai enjeu de la guerre entre les démons et les différents Immortels de Kunlun. Les scénaristes ont décidé que ce rouleau pouvait absorber la force vitale pour la donner à l'Empereur légitime mais qu'il était le seul moyen qui pouvait éventuellement rétablir l'ordre du cosmos. 

Une autre intrigue est l'idée de sacrifice du Roi. L'Empereur des Shang Yīn Zhòu prétend être prêt à s'offrir en sacrifice pour sauver le cosmos contre le chaos mais il semble changer d'avis quand le parchemin lui offrirait la puissance du sacrifice d'autres victimes. 

Jiāng Zǐyá, le vieux sage taoïste qui est en un sens le vrai héros du roman, a ici perdu tous ses pouvoirs et notamment ses pouvoirs oraculaires. Il les a sacrifiés pour accepter de revenir sur Terre et d'apporter l'Investiture des dieux. Pour faire des comparaisons occidentales, il apparaît comme une sorte de Gandalf incompétent de cette trilogie (ou pour ceux qui connaissent Dragonlance, il ferait plus penser à Fizban). Il est représenté avec ce ton un peu humoristique chinois que j'aurais du mal à décrire si ce n'est comme ce mélange de sublime et de comic relief des vieux maîtres excentriques, mélange de sagesse et de ridicule (un peu comme Yoda au début de l'Empire contre-attaque). Peut-être que les scénaristes voulaient diminuer sa puissance pour qu'il ne vole pas la vedette à Jī Fā. Il n'a pas son Fouet Divin, il porte l'Investiture des Dieux et a gardé sa sagesse mais il a besoin de ses deux gardes du corps divins Nézhā et Yángjiǎn pour le défendre. 

Nézhā, l'enfant demi-dieu qui vole sur ses roues de feu est l'un des plus célèbres héros de la mythologie chinoise. Yángjiǎn est plus connu sous le nom d'Èrláng Shén, Neveu de l'Empereur de Jade et un des dieux de la guerre avec son Trident. On les voit aussi tous les deux se faire vaincre par le Roi des Singes dans le Voyage vers l'Ouest.

L'adversaire Shēn Gōngbào n'est pas ici un frère du sage Jiāng Zǐyá mais plutôt juste un nécromancien générique (et un peu caricatural avec sa cape noire et ses crânes et son aspect de clown illusionniste). Il sert un Maître plus puissant qui serait peut-être aussi derrière Daji et toutes les catastrophes cosmiques. 

A la fin, la scène avec le monstre de pierre n'est pas un dragon mais un Tāotiè. Le gentil démon "Coup-de-Tonnerre" adopté par la dynastie Zhou et élevé par les Immortels est Léi Zhènzǐ, fils de Léigōng.

Ce premier volume a certaines des scènes les plus célèbres du roman comme la scène à la Thyeste où un père va être forcé de manger son enfant ou celle où le grand devin qui a identifié la démone-renarde sera forcé d'arracher son propre coeur (mais la résolution est assez différente ici et n'inclut pas le sage Jiāng Zǐyá). 

A la fin, la Rébellion (et la Guerre des Immortels) a bien commencé contre l'Empereur Yīn Zhòu et je me demande comment ils vont tenir sur deux films entiers pour tout le reste de la Guerre. Ils vont devoir multiplier de nouveaux ennemis (comme Wén Zhòng au Troisième Oeil ou les frères Mo, les Quatre Géants Gardiens qu'on voit dans le post-générique). Toute la difficulté de ce genre d'épopée est de créer du suspense alors que la chute des Shang est aussi clairement annoncée dans chaque scène.