Ce dessin animé thaïlandais de Veerapatra Jinanavin, Nạkrb mn trā: Tảnān pæd dwng cạnthr̒ était diffusé aujourd'hui dans le cadre du Festival des Utopiales à Nantes. Ce n'est que la première partie d'un cycle qui adapte en version futuriste avec des Méchas le Ramakien (la version thaï du Rāmāyaṇa). Le film est une animation qui évoque un mélange entre la Guerre des Clones de Gennady Tartakovsky (et au-delà tout Star Wars) et le Shōnen à la Saint Seya. Le plus remarquable est la rapidité des rythmes des mouvements : les Méchas sont des primates anthropoïdes (les "vānara" du Rāmāyaṇa) qui sautillent et rebondissent avec plus d'agilité que les Méchas habituels.
Je n'ai plus l'âge des combats de catch des Shōnen (où on passe son temps à hurler qu'on va avoir plus d'énergie que l'autre) mais ce dessin animé est intéressant dans son usage de la mythologie hindoue. Le Ramakien est une adaptation thaïlandaise qui a des différences locales et notamment plus d'influences du Shivaïsme tamoul du sud de l'Inde par rapport à la version classique.
1 Le Prince Rāma n'est pas explicitement dit être le 7e avatar de Viṣṇu mais de "Narai" (Nārāyaṇa en sanskrit, le "Refuge Humain" ou la "Source"). Rāma est l'héritier exilé du Roi de la planète Ayodhya (appelée "Ayutthaya" en thaïlandais).
2 Le roi d'Ayodhya, son père, n'est pas nommé dans le film (en sanskrit, c'est Daśaratha). Il n'y a aucune mention de son frère Phra Phrot (en sanskrit Bharata) ou de sa mère Kaikeyī et toute l'histoire de l'exil de Ram est retirée : au lieu d'être écarté suite aux intrigues de Kaikeyī, il est injustement accusé d'avoir conspiré contre son père et il est plusieurs fois insinué que ce dernier est un tyran injuste.
3 Seul le frère de Rama, Lakṣmaṇa, est utilisé dans la famille. Au lieu d'être le fidèle avatar de Śeṣa, il y est un comic relief, efféminé, narcissique mais loyal. Il est décrit comme incapable de se battre, malgré toute sa bonne volonté, mais comme incarnant une puissance infinie de régénération.
4 Sītā (avatar de Śrī Lakṣmī) est la plus changée : elle n'est pas enlevée seulement pour sa beauté pour être l'épouse de Rāvaṇa (en thaïlandais Thotsakantha) mais parce qu'elle est elle-même l'ambroisie d'immortalité, incarnation de la Śakti ultime de l'univers. D'habitude, Ravana a l'immortalité avant même d'avoir enlevé Sītā. Je n'ai pas vu trace de la légende du Ramakien, où contrairement au Ramayana, Sītā est en fait la fille secrète de Thotsakantha, abandonnée suite à un oracle qui disait qu'elle causerait sa perte.
5 Au lieu de demander l'aide des vānara seulement après l'enlèvement de Sita, Vanara est ici le nom de la planète dont la population sert de soldats-Méchas pour la planète suzeraine d'Ayodhya depuis le début.Dans une réduction remarquable du manichéisme, il est impliqué que le Roi d'Ayodhya a exploité les Vanaras sans compassion en les envoyant se faire tuer pour sa gloire. Les Vanaras ont donc une amertume contre les Princes d'Ayodhya avant même l'épopée. Cela explique que dans cet épisode, Ayodhya va se retrouver face à une révolte de Vanara que va utiliser aussi l'empire de Thotsakan.
6 Le vrai héros de l'histoire n'est plus du tout le Prince Rāma, qui reste presque toujours dans une position seulement défensive, mais un humain, "Vāyu" qui va être appelé à piloter l'armure de Hanumān le Singe Blanc (dans la légende, c'est "Phra Phai", Vāyu, le dieu du vent, qui est le père de Hanumān).
7 Le roi de Vanara est Pali (en thaïlandais "Phālī", en sanskrit "Vālī" ou "Bālī"), fils d'Indra. Il servait la planète Ayodhya mais s'est rebellé et ne cesse de décrire son frère Sukreep (Sugriva), fils de Phra Xāthity (Surya le dieu soleil, qui est ici le nom d'un type de Mecha), comme un traître à la cause de Vanara parce que celui-ci est resté fidèle à Ayodhya. La puissance de Pali repose sur le vampirisme, l'exploitation énergétique qui lui permet d'absorber l'énergie des autres et de sacrifier ses soldats pour s'alimenter. Toute l'intrigue à la Star Wars est que le seul moyen pour le Général Sukreep de vaincre Pālī est d'abord de s'infiltrer dans son vaisseau amiral pour détruire la source de ce pouvoir qu'il vampirise.
8 L'autre personnage central est "Vela" (ou Weela ?), qui n'est autre que Nila le Singe Noir, le pendant de Hanumān le Singe Blanc. Dans le Ramakien, Nila est le fils de Phra Kan Chai Si (qui est "Kālá" le Noir, dieu du Temps et de la Mort, qui peut être aussi vu comme un aspect de Viṣṇu - dans le Bhagavad-Gītā - ou au contraire ici plutôt de Śiva/Rudra) et dans le dessin animé Vela accepte de devenir le "Héraut" de Kala (il n'y a pas d'histoire de conflits entre plusieurs royaumes singes où le père adoptif de Nila servirait Pālī). Alors que dans le mythe, Hanumān est dévoué à Rāma et Nila insubordonné (au moins au début), ici "Vayu" est indiscipliné mais généreux alors que Vela est discipliné mais froid, rigide et impitoyable. Le premier est ici un trickster plein d'énergie, l'autre un ascète sérieux. La dualité entre les deux héros-singes semble donc être une dualité interne au dieu Shiva, dieu de l'énergie, de l'exubérance, de l'effort et de la destruction et il est clair que c'est Vayu/Hanumān qui reste dans son insouciance joyeuse plus proche des vertus de son seigneur Rāma / Viṣṇu. Au début de l'histoire, le général Sukreep a confié à ce Nila la mission d'infiltrer comme agent double l'armée de son frère maléfique Pālī et celui-ci lui fait confiance (un peu comme le sage géant rakshasha Phipek (Vibhīṣaṇa) est envoyé par Shiva pour espionner son frère Thotsakantha ; cette épopée accorde plus de place à l'information et à l'espionnage que dans les batailles frontales classiques).
9 Je n'ai pas identifié qui est censée être Bus̄ʹbā ("Fleur" en thaïlandais), la fille dans le triangle amoureux Vayu / Vela. L'histoire où Vela choisit de sacrifier son amour pour Bus̄ʹbā pour sauver Vayu et mieux servir Rama n'est pas du tout crédible (pourquoi Bus̄ʹbā serait-elle moins efficace ?). Mais cela sert à créer le conflit pour le prochain film : Hanumān et Nila servent tous les deux Rama tout en s'en voulant l'un et l'autre. Busba pourrait-elle être une allusion à Trijaṭā, la sage démone fille de Vibhīṣaṇa qui rejoint la cause de Rama et dans certaines versions devient l'épouse de Hanuman ?
10 L'histoire des Huit Lunes de Vanara dans le titre de cette première partie est peut-être une allusion astrologique mais cet alignement assez ridicule des Huit Lunes sert surtout à évoquer l'arrivée de Kala le destructeur. La seconde partie du cycle sera consacrée à la construction du Pont vers Lanka (qui a l'air de devenir un Pont hyperspatial dans cette version).