mardi 18 février 2025

Voyages dans le temps dans Spirou (2)

Il ne faut pas chercher une cohérence dans l'univers de Spirou sur ses bientôt 88 ans. En avril 1938, quand Rob-Vel le crée, c'est une histoire complètement nonsense et presque post-moderne par anticipation où il est un personnage de bd devenu réel quand Rob-Vel jette de "l'eau de vie" sur le dessin. Ses premières histoires sont des gags d'une page de Rob-Vel où l'espiègle Spirou est vraiment un groom dans l'hôtel Moustique et ensuite le personnage est repris par le Belge Jijé (Joseph Gillain 1914-1980) qui faisait déjà des histoires plus réalistes avec le personnage d'enquêteur Jean Valhardi. Mais on remarque que dès le début, Spirou peut avoir une conscience qu'il est un personnage de BD et que c'est ainsi qu'il va devenir par la suite un rédacteur du périodique qui porte son nom, via Fantasio.

A partir du retour de Spirou à la Libération en 1944, Jijé relance une histoire plus fantastique où il introduit en effet dans la bd Fantasio en vieux camarade de Spirou. Fantasio est un personnage qui était auparavant uniquement un des rédacteurs imaginaires de l'hebdomadaire, un nom de plume pour le rédacteur en chef Jean Doisy (alias "le Fureteur", parfois représenté en furet) mais aussi une marionnette qui répondait à Spirou dans une adaptation théâtrale. Fantasio prend alors l'apparence du personnage de comic américain Dagwood Bumstead (dans Blondie) mais il jure alors comme Captain Hadock (créé en 1941). Hadock rendait Tintin plus humain et lui vole la vedette et il arrive un peu le même destin au faire-valoir comique qu'est Fantasio. Au début, Fantasio est bien plus grand et semble plus âgé ou plus bourgeois que le très jeune Spirou. Cette différence disparaîtra plus tard mais Fantasio restera toujours plus irascible et nerveux que Spirou.

Le voisin d'immeuble de Fantasio, le professeur Aristide Cosinus (Tryphon Tournesol ?) leur propose alors d'essayer son invention qui "capte des ondes du passé" et leur permet d'interagir avec des émanations complètement réalistes en 3D. Ce n'est donc pas censé être strictement une machine à voyager dans le passé mais cela revient à peu près au même puisque ces réalités peuvent même toucher ou saisir Spirou, Fantasio et Spip. 


Ils vont aller visiter successivement des aurochs préhistoriques, les Gaulois (ou plus exactement des Belges nerviens), Napoléon, Jules César, le Moyen-Âge, avant que Cosinus réussisse enfin à les ramener. 

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Par coïncidence, cet irréductible chef nervien de 1944 (c'est peut-être le chef Boduoguat ?) ressemble beaucoup à Asterix créé 15 ans après : braies rouges, débardeur noir aux bras nus, casque ailé (ce qui, on le sait, est plus scandinave que celtique), longues moustaches, glaive sur le côté. Il ne manque que la gourde de potion magique. Albert Uderzo avait-il un souvenir inconscient de cette aventure de Spirou s'il a pu la lire en album (il travaille à Bruxelles en 1950 et Goscinny aussi devient ami de Jijé lors du séjour américain du studio de Marcinelle de 1948-1950)  ? Une autre coïncidence est que le chef nervien fait directement une analogie entre l'invasion romaine et l'Occupation en demandant si Spirou appartient à une "Cinquième Colonne" des Romains. 


Au retour de Spirou au présent (nous sommes en 1945), il est épuisé et rêve que le Professeur Cosinus le renvoie cette fois dans un futur qui ressemble à la froideur métallique de Metropolis

Spirou montre sa carte d'identité qui dit qu'il est né en 1938 à Marcinelle. Un savant lui dit que le calendrier a repris après la grande catastrophe de 1950. Cette date de 1950, seulement 5 ans dans le futur, rappelle que dans la réalité Jijé (qui avait été arrêté brièvement à la Libération pour avoir continué de travailler pendant la Guerre mais avait été libéré grâce aux faits de Résistance de Jean Doisy) devait vraiment être très inquiet : l'exil américain venait du fait qu'il pensait à l'imminence d'une nouvelle guerre et ne voulait pas revivre ces expériences. 

Dans le futur (qui semble situé seulement deux décennies dans l'avenir), Spirou retrouve Fantasio (devenu le professeur Zio, qui a perdu sa forme longiligne), Tif et Tondu (première version, celle du dessinateur Dineur) et tout son journal, qui s'appelle maintenant "Spirspip". Il rencontre même son propre dessinateur Jijé devenu vieux. Le magazine s'est choisi une nouvelle mascotte, un second groom qui est brun et non plus roux et porte un chapeau bien plus long comme un haut-de-forme ou une toque. Le symbole du siège du magazine Spirspip fait penser au globe géant au sommet du Daily Planet de Superman mais j'imagine que c'est une coïncidence car il est peu probable que Jijé (qui adapta certes certains strips de Superman) ait vu ces dessins en 1944.

On a ici une rencontre historique entre Spirou et son homologue du futur Spirspip (le vieil homme qu'on voit à côté est Jean Doisy le Fureteur et il y a un rare gag politique quand celui-ci, connu pour représenter l'aile scout communiste du magazine, se moque de ce "bourgeois" de Fantasio). Pour un amateur de comics, cela ne peut pas ne pas faire penser aux rencontres entre personnages de l'Âge d'Or (Earth-2) et de l'Âge d'Argent (Earth-1) dans les comics DC à partir de 1961 (d'ailleurs Superman est traduit dans Spirou à cette période sous le nom de "Marc Costa, l'Hercule Moderne").  


Spirou est Spirspip sont appelés pour lutter contre un bombardement aérien des Martiens. Spirou est scandalisé que la Terre ne connaisse toujours pas la paix et on lui explique que la Terre s'est certes unie mais seulement contre l'ennemi commun des Martiens. Pendant la bataille aérienne, Spirou tombe et se réveille. Ce n'était qu'un rêve et l'histoire reprend aussitôt de manière plus "réaliste" avec un gang de kidnappeurs. 

La première partie avait été un voyage vers le passé mais la seconde est plus fantaisiste et réduite à un rêve de Spirou. En tout cas, dans le Multivers Spirou, il y a bien une Terre possible où le monde a été ravagé par la Troisième Guerre mondiale dès 1950 et on sent dans cette histoire de début 1945 (alors que le Reich n'est même pas encore tombé) que l'exubérance de la Libération n'a pas duré très longtemps. 

Ces histoires de Jijé ne sont sans doute plus "canoniques" (pour autant que ce terme a un sens dans la BD franco-belge qui n'applique pas le "principe de continuité") comme tout l'univers de Spirou eut une sorte de reboot avec l'arrivée d'André Franquin (Dupuis laisse toute la période des dix premières années Robvel-Jijé dans des archives uniquement pour collectionneurs, et même les premiers épisodes de Franquin, qui n'ont pas tous très bien vieilli, ne sont que dans des hors-série). 

Mais si Franquin aime bien mettre un peu de SF loufoque ou des dinosaures, il ne va pas réutiliser (autant que je me souvienne) le voyage dans le temps. 

(à suivre)

lundi 17 février 2025

Voyages dans le temps dans Spirou (1)


Avant de parler des aventures de Spirou, il faut commencer par une autre série chez Dupuis qui était plus de la science fiction.

Yoko Tsuno par Roger Leloup est surtout connue par ses voyages dans l'espace (vers la planète Vinéa et ses colonies : tomes 1, 3, 6, 8, 10, 13, 18, 27, 30) mais il y a eu presque autant de voyages dans le temps (tomes 11, 17, 20, 22-23, 26, 29, 31). Quand on pense à voyage temporel en BD franco-belge "classique", on pense d'habitude surtout à Valerian & Laureline, Blake & Mortimer, les Naufragés du Temps, Time is Money, Bob Morane..., mais Yoko Tsuno eut aussi sa série de paradoxes temporels.


 

Dans l'album n°11 La spirale du temps (1980), Yoko est chez ses cousins japonais installés en Indonésie, à Borneo quand arrive soudain Monya, une voyageuse du XXXIXe siècle où la Terre a été détruite par une bombe à antimatière. Le véhicule temporel, le Translateur, a été construit par son défunt père et il ne peut pas être utilisé par n'importe quel passager, il faut une ceinture adaptée à sa biologie. Monya a voyagé vers le passé pour empêcher l'invention de cette arme destructrice et on apprend donc que le passé est tout à fait malléable dans le Yokoverse (on est 4 ans avant Terminator). L'inventeur de l'arme leur révèle que sa bombe hérite d'une technologie extraterrestre sur cette île indonésienne, technologie sur laquelle avait déjà travaillé l'oncle maternel de Yoko Tsuno 35 ans avant, pendant la 2e Guerre mondiale, l'officier japonais Toshio Ishida. Mona et Yoko repartent alors en 1943 et convainquent son oncle de les aider. Ils détruisent la source mystérieuse d'antimatière et changent donc le passé. Monya explique qu'elle ne peut plus revenir dans le futur car il y a déjà une "autre" Monya là-bas modifiée par le paradoxe temporel. Elle a sauvé son père rétroactivement mais ce n'est pas "son" père et elle ne pourra pas le revoir. Elle restera donc vivre en Indonésie, avec les cousins de Yoko et avec son Translateur comme une exilée temporelle. 

On retrouve Monya dans l'album n°17 Le matin du monde (1988). Monya était allée dans le passé et elle avait volé une statuette de Bali en l'an 1520 (avant une éruption volcanique qui devait détruire cet endroit) mais une jeune danseuse balinaise a été accusée du vol et doit être sacrifiée aux ptéranodons qui vivent encore dans cette région. Yoko et Monya repartent sauver la jeune fille et l'amènent à Bornéo où elle causera le bas-relief d'une danseuse que regardait Yoko dans le n°11 avant même de rencontrer Monya (ce qui prouverait alors qu'elle n'a pas changé le passé mais qu'elle l'a causé tel qu'il est, contrairement à l'album précédent). Cela commence une double tradition : (1) Yoko a tendance à voyager pour sauver (un peu arbitrairement) une femme du passé (certes, ici, elle était en danger à cause d'un voyage précédent), (2) son voyage vers le passé est souvent provoqué par une anomalie dans un document ou une oeuvre artistique au présent.

Dans l'album n°20 L'astrologue de Bruges (1994), on quitte l'Asie pour l'Europe et même pour la Belgique (ce qui est rare dans Yoko Tsuno qui a ses aventures en Allemagne, Ecosse ou Asie). Yoko a été invitée à Bruges par un certain Jan Van Laet qui lui montre un tableau la représentant au XVIe siècle. Van Laet et son complice Torcello ont obtenu un philtre d'immortalité depuis le XVIe siècle et ils avaient déjà rencontré Yoko à cette époque  ont alors tué l'alchimiste Zacharius. Yoko repart dans le passé avec Monya, Pol et Vic. C'est la première fois qu'ils vont ramener quelqu'un et non pas seulement un objet, car Pol tombe amoureux d'une paysanne du XVIe, Mieke, qui devient sa compagne au XXe siècle.

Dans les albums n°22 La jonque céleste (1998) et n°23 La pagode des brumes (2001), on revient en Asie, en Chine. Yoko et sa fille adoptive Ziu Lu / Chén Lù ("Rosée du Matin", adoptée depuis l'album n°16) trouvent la tombe d'une très jeune princesse chinoise, Sin-Yi  gardée par une femme, le Dr Lin-Po. Sin-Yi. La jeune Sin-Yi serait morte très jeune, en 1021 à peu au même âge que celui qu'a sa fille Rosée du matin. Elle était promise comme future épouse de l'Empereur Zhenzong (968-1022), 3e Empereur de la Dynastie Song. Yoko et Monya retournent dans le passé pour sauver Sin-Yi. On découvre qu'il n'y a pas de paradoxe : le tombeau qu'elles avaient vu dans le présent était un faux fabriqué par Yoko et elle ramène Sin-Yi au XXe-XXIe siècle. Mais dans l'album suivant, Sin-Yi demande d'aller aussi sauver sa servante Mei-Ling à laquelle elle était attachée. Yoko revient à nouveau en Chine au XIe siècle et retrouve les origines d'une légende que sa grand-mère chinoise lui avait racontée sur le dragon de cette pagode (Yoko est en effet sino-japonaise). Les origines du dragon sont en fait extraterrestres et c'est un vaisseau robot (comme beaucoup d'autres véhicules vivants dans le Yokoverse). 

Dans l'album n°26, Le Maléfice de l'améthyste (2012), Yoko et sa nouvelle amie la jeune pilote Emilia MacKinley (russo-écossaise, rencontrée depuis le tome 24) vont en Ecosse où Emilia hérite des biens de son arrière grande-tante décédée, Gloria qu'elle aurait sauvée 80 ans avant. Elle rencontre le vieux Malcolm qui dit avoir voyagé dans le futur depuis 1934 pour trouver un médicament pour sauver cette même Gloria. Mais il a sauté 33 ans, est arrivé en 1977, deux ans après la mort de Gloria, et a mis ensuite à nouveau 45 ans pour reconstruire une machine à voyager dans le temps qu'il ne peut plus utiliser lui-même en raison de son grand âge. Yoko et Emilia acceptent de repartir en arrière, en 1934 et découvrent des secrets concernant la maladie de Gloria, une pierre d'améthyste et l'histoire de la Russie. Le "Malcolm" qu'elles avaient rencontré était en fait son assistant, Ralph, qui se faisait passer pour lui pour voler le trésor. Elles ramènent avec elle une nouvelle femme du passé, Bonnie (cousine d'Emilia), et plusieurs trésors qui permettent à Yoko et son cercle d'obtenir leur indépendance financière. C'est la première fois que Yoko Tsuno voyage dans le temps avec un véhicule qui n'est pas le Translateur de Monya. Cette machine de Malcolm (qui ressemble à d'énormes bobines de Tesla) est bien plus encombrante et plus dangereuse. 


 

Dans l'album n°29 Anges & Faucons (2019), Emilia reprend à nouveau la machine de Malcolm pour retourner en 1935 et sauver deux enfants, Peter et Julia, qui doivent mourir dans un accident ferroviaire cette année-là d'après une indication d'une tombe dans le cimetière local. L'idée des voyages uniquement pour sauver des enfants reste une obsession de cette série et cela a un peu gâché la cohérence : si le passé est malléable, pourquoi utiliser le voyage uniquement pour sauver une poignée d'individus choisis arbitrairement parce qu'ils ont suscité la sympathie de Yoko ? En passant, cet album illustre bien la méthode poétique d'écriture de scénario de Roger Leloup. Autant les graphismes des véhicules sont précis comme de l'ingénieurie ou de la Hard SF, autant les scénarios sont faits de libres associations métaphoriques ou thématiques (ici, entre ailes d'anges et figures de dieu Horus), plus oniriques ou elliptiques que des relations causales claires. 

Dans l'album n°31 L'Aigle des Highlands (2024), Roger Leloup noue ensemble de nombreux personnages de son univers : Monya et son translateur (plus vue depuis le n°23), la colonie celtique cachée, Vinéa et le domaine écossais. Les moines de l'abbaye locale aurait détruit un "aigle" au XIIIe et Yoko découvre, grâce à la Déesse Brigit (en fait une IA) que c'était un robot de Vinéa. Elle repart au XIIIe siècle grâce à Monya pour sauver cet "aigle". Pour une fois, elle ramène non pas une jeune fille (comme Sin-Yi, Mieke ou Bonnie) mais un petit garçon, Sébastien (la maison de Yoko commence à ressembler à un orphelinat).

Yoko n'a à ma connaissance jamais voyagé vers "le futur" (sauf pour revenir à son époque). Cela donne la chronologie suivante des voyages de Yoko (deux au XIe, un au XIIIe, deux au XVIe et trois au XXe) : 

XIe 1021 Yoko part en Chine pour sauver Sin-Yi et la ramène. 

Elle revient ensuite peu de temps après pour tenter en vain de ramener aussi Mei-Ling et rencontre un robot. 

XIIIe Yoko sauve un autre robot vinéen. 

XVIe siècle : Yoko sauve une Balinaise d'un sacrifice. Elle lutte contre un alchimiste à Bruges avec tous ses amis, elle ramène Mieke. 

XXe : 1934 Macolm invente une machine à voyager dans le temps 900 ans avant le père de Monya. Yoko et Emilia aident la famille de cette dernière. Elles ramènent Bonnie (qui a donc dû naître vers 1918 à peu près ?).

1935 Yoko et Emilia modifient des détails du passé.

1943 Yoko rencontre son vieil oncle en pleine Guerre en Indonésie et lutte contre une intelligence extraterrestre faite d'énergie.

dimanche 9 février 2025

Utiliser Inglehart-Welzel pour une cosmogonie imaginaire

Le schéma d'Inglehart & Welzel est un tableau qui interroge différents pays à travers le monde pour les positions moyennes sur deux axes : un axe vertical sur des valeurs plutôt "religieuses", tradition / point de vue plus séculier ou rationnel et un axe horizontal qui est plus sur la place de l'individu, survivre / s'épanouir ("expression de soi"). Donc en gros : Raison et Auto-réalisation.

Je ne sais pas du tout ce que cela vaut scientifiquement et il y a toujours un risque à essentialiser ou hypostasier des sociétés en un Volksgeist avec ce genre de tableau de résultats à une date donnée. Les données d'un pays changent à travers le temps mais ce qui change moins est le rapport ou le voisinage entre les pays qui sont regroupés en des "zones" de valeurs. 

Par exemple, au-delà de l'apparente homogénéité, les USA sont parfois plus proches dans ces résultats d'Etats très conservateurs comme la Pologne, l'Inde à forte majorité hindoue (ou le Myanmar bouddhiste) est assez proche de la plupart des pays à majorité musulmane dans la dernière carte (alors qu'elle était plus proche de pays méditerranéens comme l'Italie ou la Grèce dix ans avant) et les pays d'Europe de l'Est sont regroupé en zone orthodoxe très peu attachés à l'autonomie individuelle mais plus séculiers. 

Par exemple, la première carte a des résultats de 2014, la seconde de 2023, dix ans après et les changements sont parfois étranges. J'ai de gros doutes sur la seconde carte où le Royaume-Uni serait moins traditionaliste que la France.


 

Et l'animation sur 30 ans : 



Mais quoi qu'on pense de ce genre de cartes des cultures pour le monde réel, cela pourrait donner des idées de cartes de mondes imaginaires avec de nouvelles idées de pseudo-cohérence.

mercredi 5 février 2025

La discipline informationnelle

Steve Bannon, l'un des ex-conseillers fascistes de Trump, avait appelé la stratégie suivie "muzzle speed" (littéralement "vitesse à la bouche du canon", stratégie mitraillette ?) : lancer un déluge d'initiatives et de provocations pour paralyser les opposants dans le choc & la terreur, l'indignation vaine et la colère improductive, en un sentiment d'impuissance apprise

Trump (auquel on ne peut retirer une certaine capacité à savoir "bluffer") n'a même pas besoin de réussir son coup d'Etat si les opposants réagissent avec désespoir et croient qu'il est déjà trop tard et que le coup d'Etat a réussi. Comme le dit Ezra Klein, certains opposants au Président le prennent déjà pour ce qu'il feint d'être, un Roi, mais il joue au Despote avec ses Oukases Exécutifs parce qu'il sait qu'il serait trop faible pour faire un vrai Président qui négocierait avec le législatif. 

Il y a encore une opposition et une presse, pas encore de répression directe sauf sur des groupes de boucs-émissaires. On peut encore classer la démocratie comme "déficiente", pas encore "régime hybride". On s'attend plus à un déclin vers la corruption généralisée avec une cruauté sans nom contre les immigrés ou d'autres minorités, pas à des disparitions d'opposants.

Le Coup et la stratégie du bruit permanent doit donc impliquer un changement de discipline qui n'est hélas complètement étranger. Je suis très peu sérieux et attentif et je soigne mes angoisses par la drogue escapiste en me plongeant dans des chronologies de mondes imaginaires au lieu d'écrire des lettres d'insultes au Monde ou de faire un blog de politique. Je m'adonne au "doom-scrolling" stérile depuis à peu près l'élection de Bush, il y a une génération. Cela ne va pas être aisé de décrocher de cette addiction de 25 ans, de mon Brain Rot et du trouble de l'attention qui va avec.  

Il y a une controverse en psychologie en ce moment pour savoir s'il y a vraiment ce qu'on appelle "épuisement du moi", c'est-à-dire si la "volonté" serait comme une ressource qui se viderait quand on l'exerce (les expériences sur le sujet de la volonté entrent dans la crise actuelle de la duplication). 

Mais nous connaissons la solution. Il va falloir apprendre à hiérarchiser les maux réels à court terme pour ne pas dilapider la "ressource" d'une indignation qui va être renouvelée chaque jour. 

Par exemple, nous Européens paniquons sur le Canada ou le Groenland mais je crains qu'il soit beaucoup plus sérieux sur Panama et même sur le nettoyage ethnique et l'annexion de Gaza. De même, le coup du DOGE est spectaculaire et terrifiant mais à court terme, les Purges au FBI sont bien plus directement un danger pour la démocratie. Se retirer des accords de Paris ou de la Commission des droits humains est symboliquement un signal monstrueux, mais c'est moins grave peut-être que les centaines ou milliers de personnes qui vont mourir dans peu de temps à cause de la suspension d'USAID. 

Notre défaut actuel est que nous nous contentons plus de Schadenfreude devant quelques échecs ou gaffes que de vraies stratégies. Le premier régime de Trump avait été de la kleptocratie tempérée par l'incompétence et le second régime est hélas plus efficace, de l'Orbanisme certes tempéré par une folie hubristique. Il n'y a que Trump II qui puisse être pire que Trump I. Mais notre nouvelle récompense quotidienne en Schadenfreude est une compensation bien illusoire.

Certes, avoir choisi la stratégie du chaos se retourne aussi contre eux. Comme le disait Olúfẹ́mi O. Táíwò, vouloir en même temps avec les techbroligarques réduire fortement les revenus et capacités de l'Etat, s'isoler de tous ses alliés tout en voulant lancer une politique d'expansion impérialiste sans précédent depuis le XIXe siècle est bien sûr se tirer une balle dans le pied. 

Le sommet de l'irresponsabilité est de vouloir tout transférer à des machines irresponsables et croire que les prétendues IA vont être suffisantes pour suppléer. "Les IA font de bons serfs mais de terribles maîtres", comme disait Francis Bacon. 

mardi 4 février 2025

Celui qui dans son ciel riait au bruit des clous

(Récit de cauchemar)

J'ai un long clou (ou une longue vis ?) qui est enfoncé profondément dans l'arrière du crâne au niveau de l'occiput, avec la tête du clou qui dépasse encore hors de ma tête.

Ce n'est pas douloureux et je m'y suis déjà habitué, même si c'est gênant comme le sentiment d'une écharde. Je me dis que j'ai eu de la chance que cette percée dans ma tête n'ait pas affecté ma pensée et qu'il faut que je fasse attention de ne pas le toucher ou le bouger ou bien les mouvements du clou à l'intérieur du cerveau vont commencer à l'endommager de manière irréversible. 

Mais je ne résiste pas à triturer machinalement la tête du clou et le bouge un peu. Paniqué, je me demande si cela a dû détruire des millions de neurones déjà. 

Je décide de l'enlever d'un coup sec (je ne ressens aucune douleur) mais je crains alors que le retirer déclenche une hémorragie. Un sang de cartoon jaillit avec un bruit humoristique. 

*

Je me dis alors (toujours dans le rêve) qu'heureusement ce n'était qu'un rêve ou bien mon geste aurait été dangereux, mais que comme dans la réalité, j'ai en fait toujours ce clou depuis longtemps dans le cerveau, le rêve n'a pas pu le retirer. Je vais donc me retrouver toujours avec le même clou, comme avant.

Je me réveille (réellement cette fois) avec quelques instants d'hésitation sur la réalité de cette dernière phase et presque l'envie de vérifier avec ma main s'il y a quelque chose qui sortirait de mon crâne. 


Cela fait très longtemps que je n'ai plus fait cours sur Phineas Gage

On devine aussi l'interprétation freudienne directe sur la castration symbolique.

dimanche 2 février 2025

Fragmentation politique

Selon l'historien du capitalisme récent Quinn Slobodian, une des obsessions des grands idéologues libertaréactionnaires actuels est l'idée de fragmentation

L'ordre étatique ou des accords inter-étatiques du droit international sont vus comme des obstacles pour les capitalistes. Il ne faut pas seulement noyer les Etats mais multiplier une concurrence de nouveaux quasi-Etats ou pseudo-Etats pour contenter le prétendu "anarcho-capitalisme" (qui est aussi dans le cas de certains un "narco-capitalisme"). Les zones spéciales ou enclaves permettraient alors un Etat d'exception permanent, en exceptions contre les Etats. 

Le droit international est l'extension du droit maritime, de la question de la souveraineté et des eaux territoriales. Peter Thiel veut financer des "utopies" randiennes off-shore. avec des "pieds-à-mer" et zones extra-territoriales. Tout ne serait plus qu'archipels, en oubliant toute terre. Le thermo-capitalisme contribue par ailleurs à acidifier et désertifier cette Mer artificialisée. Cette Mer Gaste devient le lieu rêvé de ces piratrolls anti-taxe. La techno-féodalité rêve de stations spatiales, de châteaux-îles et de colonies sans sol. Ces prétendues "arcologies" pseudo-autarciques sont des zones de séparation pour supprimer toute autonomie politique effectives.

Les cryptos servent le même but, non pas seulement la désintermédiation des banques mais aussi une idéologie de destruction d'un ordre étatique par la fin des devises fiduciaires (la devise virtuelle a ainsi remplacé l'ancien fétichisme de la droite pour un retour à une source naturelle métallique). La confiance en des structures communes sera ainsi remplacée par une méfiance généralisée, un état de nature hobbesien ; un monde de personnes morales en contrats privés sans aucun contrat social.

La destruction de l'ordre international à laquelle nous assistons fait donc partie d'un moment de ce processus. Il y a certes eu un conflit parmi tous ces réactionnaires entre les nationalistes (et xénophobes qui veulent étendre leur Etat-Nation) et l'aile minarchiste (démophobes, qui veulent détruire les Etats-Nations au profit d'un Marché dé-nationalisé et dés-étatisé), mais  Slobodan Quinn rétorque que les deux bords se réclamaient en fait de différentes parties de Hayek. Bannon ou Douthat (qui prétendent jouer en ce moment la carte pseudo-tribunitienne de la plèbe contre l'oligarchie) n'auront pas plus de succès que les SA dans leur compétition interne contre les techno-féodaux comme Musk et Thiel.

La coalition de Trump réunit (comme le fait remarquer Heather Cox Richardson) à la fois une aile théocratique (paléo-conservatrice dans certaines priorités du projet 2025), une référence ethno-nationaliste qui est le seul élément "populiste" et le soutien des techno-féodaux devenus leaders ploutocrates de tous les libertarés.

Il est difficile de faire la part chez Trump de ce qui relève de simples bluffs de trolls et d'intentions légèrement réalisables. La Realpolitik doit aussi laisser une place à une indétermination psychiatrique. J'avais d'abord cru que les propos d'annexion sur le Groenland n'étaient que des plaisanteries répétitives visant plus la base nationale (la rhétorique de Trump est un rituel de mantra qui n'a plus d'autre but qu'elle-même, comme lorsqu'il faisait l'éloge du cannibalisme à chaque rassemblement pendant la campagne : ses partisans trouvaient cela drôle comme des rimes sans raison). Il y avait aussi le but de détruire l'Atlantisme et les alliances, pour plaire aux clients dictateurs. Mais une fonction de ces formules violentes est aussi plus profondément d'installer un nouvel état de crainte où les puissants peuvent tout se permettre en l'affichant au grand jour. Au lieu de feindre le consensus, on récompense la brutalité unilatérale. L'idéalisme formaliste du droit international est piétiné comme une fiction qui n'a plus d'utilité face à la cupidité rapace des milliardaires.

La révolution reaganienne paraît rétroactivement un entraînement presque timide. Reagan disait que l'Etat était un "problème". Musk a dit que les fonctionnaires sont l'ennemi. Pour une fois, l'alternance n'est pas faite pour prendre possession du gouvernement pour infléchir dans telle direction sa politique. Pour le techno-bro, c'est une OPA hostile et le but est de démanteler, dépecer la concurrence qui prétendait les réguler, pas de l'optimiser.

samedi 1 février 2025

La politique dans Blue Rose


Blue Rose
a l'originalité d'avoir un cadre "utopique" alors que presque tous les jeux de rôle conseillent toujours des cadres de jeu "brisés" (où il faut tenter de résister à des institutions tyranniques, d'arrêter la destruction ou revenir vers un état antérieur). Les critiques se plaignaient aussi que le jeu représentait un fantasme de joueurs "progressistes" projetant leurs idéaux sur le monde fictif mais je ne trouve pas que ce soit une objection si forte car un cadre de jeu rompant avec notre vision du passé historique n'est pas si contraire à la suspension de l'incrédulité que l'existence des dieux ou de la magie. C'est même assez rafraichissant à une époque où les utopies ont déçu, nous ennuient et paraissent peu crédibles que d'oser encore faire un monde utopique. Je reconnais qu'il y a des aspects qui peuvent paraître parfois presque "anachroniques" dans la projection des préoccupations contemporaines de Liberals américains : le Royaume d'Aldis a le pluralisme religieux, une sécurité sociale, un droit d'asile pour les réfugiés persécutés, une reconnaissance de droits LGBT, les relations polyamoureuses (baptisées "mariage en étoiles") sont courantes et semblent fonctionner, etc. 

Mon reproche principal (en dehors du rôle relativement moins important de la mythologie) était la petitesse du monde. 5 pays au total (en comptant Aldis), cela fait trop peu. Dans un jeu où on joue des agents d'un Royaume utopique, il faudrait plus de rivaux et ennemis. 

Rappelons les éléments principaux. 


 

I Aldis 

Aldis avait été occupé jadis par un Etat de Rois-Sorciers qu'on appelle depuis l'Empire des Epines. Les Nocturnes (Night People, équivalents des "orcs") étaient les troupes de cet Empire mais certains rejoignirent au contraire la résistance, luttèrent héroïquement contre les Epines et devinrent les ancêtres des Nocturnes qui sont plus tolérés dans l'Aldis. Il y a aussi des elfes (les Vatas) et des hommes amphibiens (le Peuple de la mer).

Mais l'espèce emblématique est les Rhydans. Les Rhydans sont une minorité de bêtes qui sont non-anthropomorphes (belettes, blaireaux, chats, chevaux, faucons, hiboux, licornes, ours, renards, sangliers...) mais qui acquièrent une intelligence supérieure et des pouvoirs mentaux (qui les relient souvent avec un ou une partenaire humain dans le "Rhy-Lien"). Les Rhydans ont l'air si empathiques qu'ils seraient bien moins corruptibles que les Humains. Ce seraient eux qui ont créé une partie de l'utopie d'Aldis avec le Sceptre de la Rose Bleue et le Cerf d'Or, les deux épreuves de pureté morale que doit passer le nouveau Souverain dans la Monarchie "méritocratique" non-héréditaire (et les critiques grincheux du jeu espéraient subvertir l'idée en se demandant si le secret du monde était qu'Aldis était une dictature invisible de la minorité des Rhydans sur les humains mais ce n'est clairement pas l'esprit).

Dans le "présent" du jeu, cela fait 300 ans que le Royaume de la Rose bleue existe et la souveraine choisie par le Cerf d'Or est la jeune Reine Jaellin, 14e monarque d'Aldis (il n'y eut que le 6e Roi qui fut déchu par le Cerf d'or après son couronnement et après avoir été corrompu par un démon). La Noblesse est censée être méritocratique et non-héréditaire aussi. Les Chevaliers de la Rose Bleue ont souvent des "Rhy-Liens" avec leurs chevaux (comme les "Hérauts de Valdemar" avec leurs "Compagnons" dans les romans de Mercedes Lackey, qui est clairement l'inspiration principale de Blue Rose). 


II Les peuples voisins

En dehors d'Aldis, il y a n'y a que 4 autres Etats : à l'ouest, Rezea (steppes aux herbes géantes avec des nomades liés à leurs chevaux), au nord-est, Kern (royaume maléfique contrôlé par une Liche et depuis la 2e édition par sept lieutenants de la Liche en conflit entre eux), au sud-est, Jarzon (théocratie contrôlée par une inquisition intolérante - si Aldis est Valdemar, Jarzon serait donc proche de Karse et Rezea serait les Plaines de Dhorisha). On y ajoute loin au sud l'archipel de Lartya (société matriarcale - et même légèrement misandre ? - fondée sur des castes rigides). 

Aldis se méfie de Jarzon, est en guerre éternelle contre Kern mais a des rapports commerciaux légèrement meilleurs avec les nomades de Rezea (pour leur acheter des chevaux) et avec la matriarchie maritime de Lartya.

Ce qui nuit à la politique dans ce cadre est que la théocratie Jarzon déteste les païens d'Aldis ou de Rezea mais tout autant les sorciers de Kern et qu'il ne peut pas y avoir beaucoup de suspense sur un risque d'alliance entre les ennemis d'Aldis. 

Certes, la 2e édition a ajouté quelques entités : un méchant sorcier de plus au sud de Jarzon (les Déserts des Ombres) et la forêt de Wyss. Mais ils n'auront pas d'influence majeure.

Il faudrait donc ajouter des pays un peu plus "neutres" qui pourraient basculer entre Aldis et Jarzon, ce qui justifierait que des agents de la Rose bleue puissent intervenir. Lackey a plusieurs Etats voisins de Valdemar qui jouent ce rôle comme Hardorn ou Rethvellan (qui eux aussi avait un objet magique pour sélectionner son monarque, l'Epée qui Chante). On pourrait avoir un Etat tampon plus "ambigu" entre Aldis et Jarzon, par exemple plus "éclairé" que Jarzon mais quand même influencé par la culture jarzonienne sur certains points.

En plus de ce manque au niveau international, il n'y a pas assez de factions internes en Aldis (mais j'imagine qu'il faudrait d'abord que je lise le supplément sur la capitale pour en savoir plus). 

Le Cerf d'Or implique que la Souveraine est presque toujours juste et lucide (même si elle peut quand même ne pas faire l'unanimité dans la Noblesse ou dans le peuple). Les tendances "oligarchiques" de la Noblesse (qui devraient souhaiter créer des dynasties familiales) semblent globalement demeurer assez faibles. Je ne sais pas s'il existe un Parti plus nettement pacifique (il faut se concentrer sur le commerce avec le sud et l'ouest, avec Rezea et Lartya) et un Parti plus militaire (on doit maintenir l'offensive contre les nécromanciens du Kern - une partie de la population d'Aldis est composée d'exilés qui ont dû fuir le Kern). 

Une des rares tensions possibles serait aussi l'existence d'un peuple de nomades qui traverse Aldis, les Errants ou Aspaenari ("Roamers", qui auraient aussi des liens avec les mystérieux Vatas elfiques). Ils sont plutôt bien accueillis en Aldis mais les Jarzoni croient à tort que les Errants sont liés aux Ténèbres et il y a des organisations mystérieuses qui font tout pour discréditer les Errants. Une campagne de 2020, Envoys to the Mount, porte justement sur l'histoire des Errants et leurs liens avec les mystérieux sorciers du Désert des Ombres.

mercredi 29 janvier 2025

Marco Polo's Legacy

Acheron Games est un éditeur italien de livres et de jeux, dirigé par Masa Facchini et le scénariste Samuel Marolla. Ils ont déjà publié des jeux de rôle comme Brancalonia (jeu de "fantasy spaghetti"), Lex Arcana (sur un Empire romain d'une Terre parallèle qui utilise la magie), Inferno (sur Dante) et Apocalisse (sur Saint Jean de Patmos). 

Leur nouveau cadre de jeu (qui utilise D&D 5e comme Brancalonia) est Marco Polo's Legacy. On y joue à la fin du XIIIe siècle sur la Route de la Soie entre l'Empire céleste sous la dynastie mongol Yuan et l'Europe, dans un monde où existent toutes les créatures mythiques des différentes cultures. Les PJ y sont des membres d'une société secrète, les gardiens, qui cherchent des trésors dans cette région. Le jeu dit avoir pris soin d'utiliser des consultants chinois. Le foulancement est déjà un énorme succès à plus de 100,000 euros.

Cauchemar : Der Euler der Minerva

Je suis dans le RER et je dois aller enseigner en cours. 

Je passe alors devant la station "Euler" (cette station n'existe pas). Je me dis que j'ai justement dans mon sac le tome des Leibnizens mathematische Schriften: Briefwechsel avec sa correspondance avec Euler (cette correspondance n'existe pas non plus, Euler avait 8 ans quand Leibniz est mort). Je me dis que ce serait dommage de ne pas laisser le volume de correspondance à la station qui porte le nom d'Euler. Je descends du RER et cherche un endroit où exposer bien en évidence la correspondance puis je repars, très heureux de ce que j'ai fait. 

Puis, j'arrive dans mon lieu de travail (qui n'a rien à voir avec le lieu réel) et je me dis que mon acte était absurde et que je ne le comprends plus du tout. Je culpabilise beaucoup et me demande si je suis devenu fou. Je me dis qu'il faut que j'aille récupérer le volume et que je ne vais pas le retrouver car personne ne laisserait ainsi un volume des Leibnizens mathematische Schriften: Briefwechsel sans vouloir le prendre. Je me dis que je risque de ne jamais le retrouver, même d'occasion car il est très rare. Mais je ne peux pas revenir en arrière tout de suite car je dois faire cours. [Je n'ai pas le temps de faire l'Euler-retour.]

La journée passe en une ellipse et je repars à la station "Euler". Il n'y a plus aucune trace du livre et je suis si horrifié que je me réveille avec un sentiment de honte ou de culpabilité.

lundi 27 janvier 2025

La religion dans Blue Rose

Blue Rose (2005, 2e édition 2017) est un jeu de rôle fantastique qui commentait clairement l'évolution théologico-politique / théocratique des USA en amenuisant le rôle de la religion et en insistant sur la possibilité de non-conformité dans le rôle des genres. Cela m'avait fait croire à tort que le jeu rejetait toute mythologie au profit du seul "Cerf d'Or" (la créature féérique qui sélectionne le souverain du pays d'Aldea et rend possible l'Utopie du principal pays d'Aldea). Le pays voisin d'Aldea, la théocratie de Jarzon, était décrit comme intolérant et contrôlé par une église fanatique de la Lumière. 

Mais Aldea a aussi des cultes religieux, même s'ils sont relativement peu "intrusifs" et tolérants. Un aspect important est le choix des associations parfois assez originales dans les "portefolios" des divinités (par exemple, Gaelenir, la divinité de la Connaissance, est aussi celle de la Navigation : le savoir est un océan à explorer, et il est aussi compagnon de Selene, déesse de la Lune, de l'Air, des Ténèbres et de la Mort). 

Je rappelle les listes de panthéons qu'on a déjà vues sur ce blog :  Arcanis (où Larissa fusionne Apollon et Aphrodite), Aventurie (où Athéna a été dissociée en Rondra, guerre, et Hesinde, sagesse), Hellas (où les Olympiens sont systématisés par couples : Apollon est marié avec Athenia et Hephaeston marié avec Hermia), Korantia (où Lasca Veltis fusionne Apollon et Athéna), Kulthea (où Apollon de l'extase musicale est le frère jumeau du Dionysos de l'illusion de la mimésis), Scarn (qui reprenait explicitement le thème grec de la Titanomachie et d'une guerre entre les deux générations des dieux), Théros (où Ephara est une Athéna de la cité dissociée d'une Athéna guerrière) et Tylestel (où Athéna est aussi fusionnée avec Hadès et où Héra est aussi Apollon). 

Aldea distingue les Quatre Primordiaux (des divinités élémentaires principales qui sont considérées comme "Neutres", et aussi associées aux quatre figures du Tarot) et les Sept Divinités de la Lumière (qui sont plus anthropomorphes que les Primordiaux et sont associés aussi à 7 Vertus morales comme courage, tempérance, prudence...). Tous ont à la fois des Aspects masculins ou féminins et sont en même temps "Pères" ou "Mères" sous des formes distinctes. 

Les Quatre Primordiaux

Selene : Air, hiver, Lune, Mort, secrets, l'Epée, la Vieille Sage, la Sorcière, le Père du Gel

Braniel : Eau, printemps, étoiles, musique, abondance, vitalité, la Coupe, le Barde, la Princesse du Printemps. 

Maurenna : Feu, été, agriculture, civilisation, le Bâton, la Reine de l'été, le Maître des récoltes

Anwaren : Terre, automne, montagne, conflit, souveraineté, le Pentacle, le Roi, le Chevalier rouge, Reine des vendanges. Anwaren (la Terre et la Guerre) a aussi engendré et tente de détruire les Sept Exarques des Ombres qui sont les Anti-Dieux associés aux Sept Péchés (et ces 7 Péchés inversent les 7 Vertus).

Les 7 divinités de la Lumière

Felisar : Voyage, charité, compassion. Amant(e) de Selene (Air).

Hiathas : Soleil, beauté, danse, espérance. Amant(e) de Braniel (Eau)

Leonoth : Foyer, chandelles, famille, fidélité. Epoux.se de Maurenna (Feu). Léonoth est devenu le Dieu principal hénothéiste (et seulement masculin) dans la Théocratie de Jarzon, où il dirige la hiérarchie comme paterfamilias.

Aulora : Loi, justice, raison. La Porteuse du Bouclier, le Juge. Compagnon.ne d'Anwaren (Terre). 

Goia : Artisanat, techniques, commerce, prudence. A forgé la Couronne d'Anwaren et l'Epée d'Aulora et serait le 3e élément de leur trouple. 

Gaelenir : Mer, navigation, exploration, connaissance, courage. Le Marin et l'Enseignante. Amant de Selene, Mère des secrets. 

Athne : chance, abondance, vin, tempérance. La Dame de la Vigne. Athne a eu des aventures avec tous les dix autres divinités.

Comme j'aime bien classer tout en interpretatio graeca, voici les équivalences simplifiées :

Athne : Hermès + Dionysos
Aulona : Apollon + Athéna
Felisar : Hermès + Asclepios
Gaelenir : Poseidon + Athéna (!)
Goia : Hephaïstos + Hermès
Hiathas : Apollon (Hélios) + Aphrodite
Leonoth : Hestia + Hera

Le fait que Leonoth corresponde à peu près à Hestia / Vesta (déesse assez mineure de la vie privée chez les Grecs mais déesse du maintien du feu sacré de la Cité chez les Romains) mais soit devenu une des principales divinités, voire Le Dieu Unique, est assez ironique. 

samedi 25 janvier 2025

Des Nymphes aux Elfes

Via la médiéviste paléographe Anna Dorofeeva (Göttingen), l'Abbé saxon du Wessex Adhelm de Malmesbury (639-709) avait fait dans ce manuscrit des Aenigmata cette liste de traduction ou d'équivalences des Nymphes grecques vers les "Aelfinn" anglo-saxons et cela pourrait être une origine des différents types d'Elfes auxquels nous sommes habitués dans les jeux de rôle.

Nymphae : Aelfinni (Elfes)

Oréades : Duun-aelfinni (Elfes des montagnes)

Dryades : Uudu-aelfinni (Elfes des bois)

(H)amadryades : Uaeter-aelfinni (Elfes des eaux)

Maides : Feld-aelfinni (Elfes des champs)

Nai(a)des : Sae-aelfinni (Elfes des mers)

Avait-on jamais parlé d'Elfes des mers avant ce texte ? 

L'auteur fait une erreur sur les Hamadryades qui sont liées aux bois aussi comme les Dryades. 

Les nymphes des eaux douces sont plutôt les Naiades (ce sont les Néréides ou les Haliae qui sont liées à la mer). 

D'autres nymphes des eaux douces comprennent les Crinaea (fontaines), les Eleionomai (marécages), les Hyades (pluie), les Limniades (lacs), les Potaméides (rivières), les Pegaeae ou Pégasides (sources). 

Les dryades sont liées surtout aux chênes ("drus") et il y en d'autres plus liées à d'autres essences : les Anthousai (fleurs), les Daphnaeae (lauriers), les Kissiae (lierre), les Méliades (frênes), les Epiméliades (pommiers). Les Auloniades sont des nymphes des vallées (Eurydice serait une auloniade !), donc plus liées aux Oréades.

Je n'ai pas identifié d'où viennent ces "Maides" que l'auteur relie aux "champs" (de Maia, la mère d'Hermès, lui-même père de Pan ?).  

Ce serait donc peut-être les taxinomies classiques grecques qui auraient ensuite rationalisé les différents génies germaniques. Les nymphes gréco-romaines sont des déesses mineures toujours féminines de la Nature et les elfes sont des dieux mineurs plus liés à Frey (agriculture) ou à la rigueur Freya (fécondité) et donc à la Troisième fonction indo-européenne (les dieux Vanir).

La distinction nain/elfe ne semble pas avoir été si clair. Elle viendrait surtout d'une opposition germanique "elfes noirs = nains = trolls VS elfes de lumière". Cette opposition obscurité / lumière va devenir ensuite deux aspects de la terre : minéral (métal, chtonien) / végétal (plante, Vanir, fertilité) et donc aussi une opposition artifice / nature. En termes plus duméziliens, cela peut se voir comme une division interne à la Troisième Fonction entre Artisans et Jardiniers (voire dans les varna védiques entre Shudra et Vaishya).  

Das Schwarzes Auge utilise comme variante principale des Elfes les "Auelfen" (elfes des prairies) et j'ignore si ce préfixe "au-" renvoie à un folklore germanique préexistant ou seulement à un jeu sur la sonorité. 

Dans la première version de son Legendarium, JRR Tolkien appelait "Gnomes" les Hauts-Elfes (ce qui est devenu les "Noldor"). Il a ensuite abandonné le terme, peut-être parce que les Gnomes étaient durablement associés aux Nains (de jardin). Les Hobbits de Tolkien ne viennent pas seulement de "Rabbit" (les terriers) ou des Snergs mais aussi d'une inversion des Goblins dans The Princess and the Goblin de George MacDonald. Les Goblins de MacDonald (qui sont des mineurs plus petits et mutés, qui creusent sous la terre) ont comme caractéristique un point faible, leurs pieds trop sensibles et les Hobbits ont comme particularité principale des pieds endurcis et protégés sans avoir besoin de porter de chaussures. Tolkien a en revanche retiré un passage d'une version du Hobbit où il était dit que Bilbo Baggins aurait aussi du sang gobelin et/ou elfique.

jeudi 23 janvier 2025

Un scénario pour Géants (WFB 1e édition)

Pour continuer sur le même sujet des systèmes avec des Géants dans Warhammer, voici un scénario pour une bataille épique entre Géants et une armée de Halflings qui se trouve dans le Book of Battalions p. 7-11 pour Warhammer MCFRP (The Mass Combat Fantasy Role-Playing Game, 1983). 

L'armée de Glune le Géant est composé de 27 Géants, en trois bataillons au total à 3000 points. L'armée des Vengeurs de Baragin Hogweed compte aussi trois bataillons, environ 160 Halflings, 80 Gnomes (dont un Sorcier) et un contingent d'Ents, trois bataillons qui dépassent les 3000 points plus largement. 

Pour une plus petite bataille, on pourrait prendre à 1000 points le 3e bataillon des 20 Petits Géants contre seulement un bataillon des Vengeurs. Mais ce serait dommage de ne pas jouer le Premier Bataillon de la famille Wayfoot qui a l'air plus amusant. Pour rééquilibrer, on pourrait juste ajouter deux Treemen (130 points chacun) à un des autres Bataillons (le Bataillon des Gnomes paraît peut-être légèrement plus intéressant avec son Sorcier qui aura des Boules de feu). Le problème avec une centaine d'unités est que je doute que le système d'escarmouche de Warhammer soit si bien adapté mais je n'ai aucune expérience de ce jeu.

La Marche des Géants


 

Bataillon 1 : La famille Wayfoot : 3 Géants (1250 points)

Glune Wayfoot est un Vrai Géant, le chef de famille, particulièrement puissant mais aussi complètement alcoolique malgré son bon score en Volonté. Il porte une armure de maille (Endurance F), un très gros Club Magique qui lui permet de respirer sous l'eau, et deux Balles de Plomb pour jouer aux Quilles. Stunto Wayfoot est son petit-frère et il a bu une potion de miniaturisation qui lui donne des complexes.


MouvMêléeBallisticForceEndBlessInitAtt.QICoolVol.
Glune
74
4
*
F
10
3
*
5
6
9
Stunto
7
33
4E6
24
2
6
8


Hermann Wayfoot, leur cousin, est complètement crétin (Stupidité -1 : Sur 1d6-1 : 1 Il est immobile et perplexe ce tour, il ne se défend même pas ; 2 Il est juste confus et ne pourra pas faire de mouvements complexe). .



MouvMêléeBallisticForceEndBlessInitAtt.
Hermann

8
33*
E
10
3*

Bataillon 2 : les Rocklegs & Spindlelimbs (4 Géants, 750 points)

Crusher Rockleg dirige ce groupe. Il a aussi une cotte de maille comme Glune. Tiny, son frère, a le trait de Stupidité.  

Ils sont accompagnés de deux Géants normaux, Gripper et Pulp Spindlelimb.


MouvMêléeBallisticForceEndBlessInitAtt.QICoolVol.
Crusher
73
3
4
E
6
2
4
5
6
7
Tiny
7
32
*
E8
3
*
1
4
7


MouvMêléeBallisticForceEndBlessInitAtt.
Gripper

7
334E624
Pulp

7334E624

Bataillon 3 : Les Petits Géants des Collines et les Cyclopes (20 Petits Géants, 1000 points)

Le 3e Bataillon a un groupe de 10 Géants des collines dirigé par Pete l'Accueillant et 10 Cyclopes chaotiques dirigés par Rory Hanglightly. Leurs caractéristiques sont identiques.


MouvMêléeArcForceEndBlessInitAtt.
Collines6334D432

***

L'Armée des Vengeurs de Baragin

 


Les Vengeurs de Baragin sont une armée de Halflings alliés à des Gnomes et un groupe d'Ents (pardon, Treemen) et d'Aigles.

Bataillon 1 : Les Halflings (1060 points)

Baragin Hogweed est un Héros halfling qui veut venger la perte de son trou, Bog End, piétiné par les Géants. Il porte l'épée magique Willowbrand qui lui donne un +1 en force, +4 en Init et une Attaque magique de Sommeil (Portée 4'', 2d6 tours). Sa Volonté de 12 lui donne une Résistance à la Magie. Il a 4 en Commandement. Baragin a 4 en Leadership.


MouvMêlArcForceEndBlesInitAtt.QICoolVol.
Baragin
3
6
7
2C
3
8
3
8
9
12

Le premier bataillon est composé de 8 Régiments d'environ 20 Halflings chacun : (1) les Gardes de Halflington (ont des épées, Burdock Ginswill), (2) la Milice de Bog End (n'ont que des dagues, Gaffer Hornbright), (3) la Milice de Cider Lane (Robin Grubfellow), (4) la Milice de Mill Lane (Old Will Hayward), (5) les Jardiniers de Halflington (armés de faux, Spam Grundle), (6) les Frondeurs (Ned Thunkit), (7) les Shériffs de la Marche (Arc + épée, Cringe Whiteflag), (8) les 15 Monteurs de Poneys de Cook Land (Pas de bonus de charge, Tomas Cook). 


MouvMêléeArcForceEndBlessInitAtt.
Gardes3
34
1
A151
Milices3241A1
5
1
Shériffs3341A151
Cavaliers7341A151

Bataillon 2 : les Gnomes (1035 points)

Thor Wibble porte une armure de mailles, un bouclier et une épée magique, Brain Eater qui donne +1 en Force et +7 en Init. Il est résistant à la Magie.


MouvMêlArcForceEndBlesInitAtt.QICoolVol.
Thor
3
5
4
3
D
3
5
2
8
6
10

Il est accompagné de 10 gardes (armure et haches), 20 guerriers de Wala Crag (leader Sven), 30 hommes du clan d'Erik Bloodaxe, 20 arbalétriers de Wal Wally et un Sorcier, Knut. Après avoir recopié leurs caractéristiques, je me rends compte qu'ils sont en fait indiscernables.


MouvMêléeArcForceEndBlessInitAtt.
Guerriers3
4
3
2
B
13
1
Clans3432B1
3
1
Arbalètes343
2B
13
1

Knut Arkwright le Sorcier Gnome (niveau Acolyte) a une Maîtrise de 2 et une Constitution de 8. Il peut lancer Niveau 1 Boule de feu, (portée 24'', 2 Boules de Force 2),  Bénir épée (rend l'épée efficace contre les vampires), Niveau 2 Brouillard mystique (crée un brouillard impénétrable et permanent de 12'' de diamètre), Aura de protection (donne un jet de sauvegarde supplémentaire tant que le jet n'a pas échoué). 


MouvMêlArcForceEndBlesInitAtt.QICoolVol.
Knut
3
4
3
2
B
2
3
1
7
4
8

Le Troisième Bataillon : l'Ost Béni de Sylvecervelle (1090 points)

Sylvecervelle (Treebrain) l'Homme-Arbre est venu soutenir les Halflings avec 6 autres Treants et 4 Aigles. [Pourquoi les Aigles ont-il un score si mauvais en Mouvement ??]


MouvMêléeArcForceEndBlessInitAtt.
7 Treemen
8
8
0
5
F
6
2
4
4 Eagles
2
7
0
4
C
3
5
2


mercredi 22 janvier 2025

STOMP!, Les Géants dans Warhammer (1e édition)

 

J'ai déjà mentionné le jeu STOMP! (Chaosium, 1978) de Tadashi Ehara où un Géant luttait contre un groupe de petits elfes, mais le wargame Warhammer (qui venait de paraître en 1983) avait aussi un système de Rick Priestley (orthographié à l'époque "Priestly") assez amusant pour gérer les Géants. L'article est paru dans White Dwarf n°48, dec. 1983 p. 13-15 sous le même titre "STOMP!" et repris ensuite quasiment tel quel (en dehors des illustrations) dans le premier supplément, Forces of Fantasy (1984), p. 23-25. 

Revoyons les caractéristiques des Géants dans Warhammer 1e ed., vol. 1 Tabletop Battles p. 38). 

MouvMêléeArcForceEndBlessInitAtt.
Montagnes8335E834
Collines6334D432
Cyclopes6334D422
de l'Ouest7334E624
Grand73-5E844
Tempêtes7334D654
Feu9335D553
Gel5335D643

Les Géants causent de la Peur sur les ennemis de taille humaine, sauf Elfes (p. 10 sur un 1/6 l'unité fuit, sur un 2-3 elle peut tirer mais pas charger). Les Géants de l'Ouest chevauchent parfois des Mastodontes qui causent alors de la Terreur au lieu de la Peur (sur 2d6, 2-3 paralysie, 4-7 retraite). 

Les Cyclopes sont sujets à la Furie (sur un 5-6 ils chargent avec +2 au toucher). Ils ont 50% d'avoir de la Magie (1d3 sorts Niveau 1-2). Ils peuvent avoir un "Trait Chaotique" comme les Minotaures et les Trolls (le Citadel Compendium p. 60 dit que les Géants ont 5% d'avoir un Trait chaotique et fournit la table ; voir Realms of Chaos II p. 282-283). 

La version de White Dwarf 48 / Forces of Fantasy est bien plus détaillée. On apprend notamment que les Géants aiment le jeu de Quilles (skittles - mais avec des Nains comme Quilles) et sont particulièrement alcooliques

Illustration de John Blanche

MouvMêléeArcForceEndBlessInitAtt.
01-30Petit6334D432
31-65Géant7334E624
66-00Vrai Géant********

Un Vrai Géant peut être plus individualisé, c'est un Personnage avec des caractéristiques psychologiques (QI, Cool, Vol.). On tire alors chacune de ses caractéristiques sur ce tableau : 

MouvMêlArcForceEndBlesInitAtt.QICoolVol.
17215E61212d6
28324E72313d6+1
38324E82324d6+2
48334E83435d6+3
58335F93446d6+4
69444F10345710

Un Géant avec un QI de 1 a le trait Stupidité (Sur 1d6 : 1 Il est immobile et perplexe ce tour, il ne se défend même pas ; 2 Il est juste confus et ne pourra pas faire de mouvements complexe). 
Un Géant avec un Cool de 2 doit faire un jet de Furie (Frenzy) quand un ennemi s'approche. S'il a 5-6 sur 1d6, il charge sans armure vers son ennemi le plus proche, +4 en Init, +1 Blessures, +2 to Hit. Il faut faire 1 sur 1d6 pour sortir de la Furie.
Un Géant avec une Volonté de 1-2 prend double dégât de la Magie mais avec une Volonté de 10 il est résistant à la Magie. Un Géant avec une Volonté de 3 ou moins est alcoolique avec le trait Alcoolisme +1 (25% d'ivresse, et s'il est au-dessus de 3, il a quand même 10% d'alcoolisme). 

Un Géant peut jeter une balle de bowling à 3d6 pas, ce qui donne 1d6 coups qui touchent à Force 3. Une des règles amusantes est celle du rebond : si la boule est jetée, elle fait une attaque à Force 4, puis rebondit et fait Force 3, Force 2, Force 1. 

Les Géants ont de nombreuses autres attaques qui sont très aléatoires car on peut déterminer au dé comment ils frappent (on est obligé de lancer le d10 quand ils sont ivres) : 
1 Piétiner & Broyer : 1d3 hits Force 3, pas d'armure
2 Ramasser et Etrangler : la cible peut faire une contre-attaque, sinon elle meurt automatiquement. 
3 Ramasser et Jeter : un Hit Force 3 pour le projectile, 1d6 Force 2 pour la cible
4 Ramasser et Manger : Si la cible échoue sa contre-attaque, elle meurt automatiquement, si elle réussit elle retombe sur son régiment. 
5 Ramasser et Mettre dans un Sac
6 Faire des Sauts : 1d12 Hits Force 4 + effet de Terreur. 10% de trébucher. 
7 Lancer un mouvement de bâton : 1d6+2 Hits Force 3
8 Cogner le bâton au sol : 1 Hit automatique Force 6
9 Hurler et brailler : effet de Terreur
10 Donner un coup de tête (mais seulement contre un adversaire aussi grand : 1d3-1 Hits Force 3) ou Jeter une Balle  de bowling. 

Chanceler, Tituber & Trébucher
Un Géant est maladroit. Quand un Géant avance et qu'il est ivre, on lance le dé et il a 1/6 chance de trébucher. On lance 1d20 pour la direction de la chute (avec 12-20 qui correspond à "tombe tout droit"). Cela cause 1d6 coups de Force 2 sur ceux sur lesquels il tombe + 1 chance sur 6 qu'il tombe inanimé. Il met un tour à se redresser. 

Un Géant qui meurt tombe ainsi sur 4-5-6 sur 1d6.


Illustrations non signées. D'après l'Ours du magazine, c'est peut-être Gary Chalk ?

dimanche 12 janvier 2025

Deux jeux FGU traduits en français

Via Imaginos : l'éditeur Le Plumier des Chimères a traduit en français deux jeux de rôle antiques de Fantasy Games Unlimited : le jeu sur la Prohibition Gangster! (1979 - qui existe même en version imprimée) et le jeu où on joue des lièvres & lapins Bunnies & Burrows (1e édition 1976, mais il s'agit ici de la 2e édition, que je crois très légèrement modifiée en dehors des illustrations, 1982).  EDIT : Les deux existent aussi en version imprimée.

C'est un choix original et courageux car les deux jeux semblent avoir un intérêt surtout historique. B&B a aussi eu une 3e édition en 2019 chez Frog God Games et une version GURPS en 1992.

La FGU, Inc originelle avait fait faillite en 1991 mais s'est recréée comme simplement "FGU". Cette FGU, toujours dirigée par Scott Bizar (né en 1940), a gardé sur leur site  en plus de ces deux jeux les droits d'Aftermath!, Bushido, Daredevils, Flashing Blades, Merc, Privateers & Gentlemen, Psi World, Space Opera, Swordbearer (du même auteur que B&B, ce qui explique qu'il y ait une espèce de lagomorphes intelligents), Year of the Phoenix, et surtout, leur plus gros succès, Villains & Vigilantes, le plus célèbre jeu de rôle de superhéros avec Champions. Pourtant, je crois comprendre qu'après le long procès de 2011-2013, les créateurs originels Jeff Dee & Jack Herman ont récupéré les droits pour leur propre édition de V&V

Je suis très fan de Bushido, qui me semble avoir été un des jeux de rôle les plus créatifs (et qui eut même droit à une traduction en français en 1986 par Anne Vétillard chez Hexagonal, en même temps que Flashing Blades).  

Chivalry & Sorcery (1e édition 1977) ou Space Opera étaient des jeux frustrants par leur richesse et leurs règles injouables. Avant que n'arrivent Aquelarre ou Ars Magica, on n'avait rien de mieux que C&S pour une atmosphère médiévale en magie. Space Opera (1980) était moins intéressant que Traveller (1977) si ce n'est peut-être le fait qu'il ait plus d'espèces Aliens dès le livre de base et les cartes en 3D. J'ai souvent dit à tort que Space Opera était plus ouvert sur des professions civiles (comme diplomates ou scientifiques) mais Traveller avait déjà publié le supplément n°4 Citizens of the Imperium en 1979 (qui couvrait les bandits, barbares, belters, bureaucrates, chasseurs, diplomates, médecins, navigateurs, nobles, pilotes, pirates et scientifiques...).

samedi 11 janvier 2025

Deux jeux PnP sur le Silmarilion

War of the Jewels est un jeu à deux joueurs (Morgoth vs les Peuples Libres) mais il exige d'avoir War of the Ring dont il est une modification. Il y a énormément de matériel à imprimer et je pense hélas que je ne le testerai jamais même s'il a l'air d'avoir beaucoup d'atmosphère. 

Plus facile à imprimer : Wrath est un jeu en solo où on joue Morgoth et on doit essayer d'optimiser son score face aux seigneurs elfes. Bien que plus simple que le précédent, il me semble avoir aussi réussi à capter l'atmosphère du Silmarilion (même si certains testeurs trouvaient que Morgoth serait un peu trop faible, mais c'est un biais des jeux en solo dans les premières parties pour qu'on puisse rejouer). Un reproche est qu'on ne distingue pas assez les différents héros (notamment humains, pas de Beren ou Turin).

lundi 6 janvier 2025

Deux voleurs : Robeur & Embleur

(via abie temptoetiam) En vieux français, avant que le verbe "voler" venu de la fauconnerie ne s'étende comme métaphore morte de l'oiseau au fait de dérober (comme le rapace vous ravit la proie en étant un "bon voleur"), on distinguait encore à la Renaissance "rober" (par force) et "embler" (par ruse). 

Le robeur rosse, l'embleur subtilise. 

Rober vient d'une racine germanique "raub". En allemand, le Raubvogel veut dire littéralement "l'oiseau-voleur" (ou le volant-voleur) et c'est le Rapace.  

Rapax en latin est celui qui est prompt à "rapire" et c'est ce verbe rapire (saisir, prendre, capturer) qui signifie voler. Le vice de rapacité est donc aller du cupide vers l'oiseau prédateur avant de venir en français du volatile vers le larron.

Dérober est ambigu entre simplement "rober" et l'influence de "dé-rober" au sens de retirer la robe. "Rob" voulait dire le butin ou ensuite par extension le "vêtement dont on a dépouillé quelqu'un" et par extension le vêtement féminin. La robe a donc une charge violente, c'est ce qui est fait pour être retiré.

Embler n'a aucun rapport avec "cambrioler" qui vient de "camera", la chambre. Et rien à voir non plus avec "ambler" (lever ensemble les deux pattes du même côté pour un quadrupède).

dimanche 5 janvier 2025

Deux Notre Dame romantiques


Victor Hugo
publie Notre Dame de Paris en mars 1831 et l'histoire se déroule en 1481-82, sous Louis XI (1423-1483  - le Quentin Durward, 1823 de Walter Scott s'était déroulé avec le même roi en 1468). Nerval dit dans un poème que la cathédrale de pierre et le roman sont désormais liés pour toujours.


Honoré de Balzac - qui a lu le roman dès la sortie et l'a détesté - sort une nouvelle "Les proscrits" sept mois plus tard, en octobre 1831 et elle se déroule aussi à l'ombre de Notre Dame, sur une île de la Seine, mais cette fois 174 ans avant celle de Hugo, en 1308, sous Philippe le Bel (1268-1314). La  Cathédrale y joue certes un rôle moins central que chez Hugo et l'île de Notre Dame fait plus référence à la rue du Fouarre en face sur la rive gauche.

L'histoire utilise notamment (divulgâche, pardon) le personnage de Dante Alighieri (1265-1321). Dante (qui a déjà écrit sa Vita Nuova vers 1294) a 43 ans. Il a quitté Florence depuis sa mission à Rome en 1301 et n'y reviendra jamais plus, même si on n'a aucune preuve qu'il quitta jamais la péninsule italienne ou qu'il ait visité Paris (ou Oxford) vers 1308 alors qu'il commence à préparer sa Divine Comédie. Le panneau de notre Rue Dante qui fut la médiévale Rue du Fouarre des étudiants avance la date de 1304 qui est jugée peu vraisemblable. Une autre théorie parle éventuellement d'une visite vers 1313 avant qu'il n'ait diffusé l'Enfer. Philippe le Bel et surtout Charles de Valois (corrompu par Corso Donati, le chef des Guelfes noirs) sont intervenus pour soutenir les clans des Guelfes noirs. Dante condamne Charles de Valois dans le Purgatoire, XX, v. 70-78 en disant qu'il tenait la Lance de Judas et perça le ventre de Florence. La France de Philippe le Bel et de la nouvelle Papauté d'Avignon est souvent évoquée de manière négative dans la Divine Comédie et Dante mettra ses espoirs plutôt dans le nouvel Empereur Henri VIII (dont le règne sera si court, 1308-1313).

Le nom du personnage principal, le jeune "Godefroid (Comte) de Gand" est peut-être un mélange (inconscient) des noms de deux philosophes, le maître "réaliste" platonisant Henri de Gand (1217-1293) et son élève et critique plus averroïste Godefroid de Fontaines (v.1250?-1309). 

Le nom de la mère du Comte Godefroid "Mahaut" est un souvenir direct de la Comtesse Mahaut d'Artois (1270-1329), qui contribua à causer la Guerre de Cent Ans.

Le seul enseignant cité dans la nouvelle (théoricien de l'angélologie) est imaginaire, "le docteur Sigier". Ce Sigier n'est pas l'averroïste Siger de Brabant 1240-1284 que rencontre Dante dans le Paradis, X, 135-138, dans une des rares occurrences positives sur Paris et la rue du Fouarre (Vico de li Strami), où Thomas d'Aquin (1225-1274, canonisé en 1323) l'introduit :

essa è la luce etterna di Sigieri,

che, leggendo nel Vico de li Strami,

silogizzò invidïosi veri».

 

Il y a un léger anachronisme puisque le texte de Balzac dit qu'on est censé être en 1308 et qu'on vient d'exécuter en Place de grève la célèbre béguine Marguerite Porete (1250- 1er juin 1310), l'infortunée autrice du Miroir des âmes simples et anéanties et qui seulement demeurent en vouloir et désir d'amour (1295) - et on dit en effet que le concept de "vraie noblesse d'âme" du mysticisme influença non seulement la mystique rhénane de l'Anéantissement de Maître Eckhart mais aussi le poète florentin. 

Théologiens et autres clercs,
Point n'en aurez l'entendement
Eussiez-vous l'esprit clair,
Si vous ne procédez humblement
Et qu'Amour et Foi ensemblement
Vous fassent surmonter Raison,
Elles qui sont maîtresses de la maison.

Le Maître Godefroid de Fontaines avait défendu l'ouvrage de la béguine avant sa condamnation par le pouvoir.

C'est le thème du devenir angélique, du Nihilisme et de la féminité qui intéresse Balzac et son Godefroid trouve en Dante une sorte de Béatrice (1266-1290) - si on accepte l'idée que Virgile ne représente que l'étape de la raison naturelle et Béatrice la raison éclairée par la foi. Ce spectre de la béguine Marguerite Porete en la rue du Fouarre joue peut-être le rôle mystique d'Esmeralda en son livre de pierre chez Hugo.

Mais Balzac, comme souvent dans son oeuvre (et comme William Blake), fait plus référence à la mystique angélique d'Emanuel Swedenborg (1688-1772) qu'à Maître Eckhart (Swedenborg prétend avoir littéralement visité le Paradis et l'Enfer et non pas allégoriquement comme Dante). 

Balzac a suivi des cours de philosophie et se moque parfois de l'éclectisme hégéliano-schellingien de Victor Cousin. Ses personnages des contes philosophiques, de Valentin ou Louis Lambert veulent tous les deux écrire une "Philosophie de la Volonté". Peut-être a-t-il entendu parler de Schopenhauer (1818) mais celui-ci ne fut jamais traduit avant 1877, sa référence est peut-être plutôt le spiritualisme de Maine de Biran ou bien Fichte via Hoenë-Wronski qui l'adapta en 1803

Hugo en 1831 choisit un cadre de crépuscule du gothique pour représenter la fatalité historique, l'abîme du temps. Balzac a jugé le roman hugolien "une fable sans possibilité" et ce qui l'intéresse est un surnaturel assez distinct. Au lieu du fantastique gothique des démons intérieurs de Frollo et l'humour satirique de Villon (1431-1463), de Gringo(i)re (1475-1539) ou de la Cour des Miracles, Balzac choisit le poète qui va inspirer le nom de son cycle romanesque et un contact avec l'invisible qui se voudrait moins ironique que celui de Hugo. C'est l'Ange contre la Gargouille, l'espérance d'un autre monde face à la nef minérale tendant vers l'absence de Providence. 

Mais curieusement, un même néant menace dans les deux cas. Les deux écrivains, encore royalistes en 1831 (même si Balzac restera plus légitimiste que Hugo), choisissent un cadre où le Roi, qu'il soit Philippe IV ou Louis XI, préfigurent une raison d'Etat qui écrase les consciences individuelles (même si le Louis XI de Hugo est moins féodal et déjà plus lié à une souveraineté impersonnelle). Chez les deux, leur justice demeure l'arbitraire de l'exécution d'une innocente, Marguerite et Esmeralda.