samedi 16 avril 2011

[Alphabet d'Avril] O comme Ozymandias



Ce blog a déjà trop parlé de Watchmen, pardon.

Le nom même d'Ozymandias pose un problème. Il est un mégalomane narcissique, mélange autiste de génie et d'infantilisme. Il veut montrer sa culture et est obsédé par ces signes égyptiens, symboles d'un changement futile du monde contre la mortalité (il y a toujours beaucoup d'égyptomanie dans les comics).

Mais l'Homme le plus intelligent sur Terre serait quand même assez fin pour savoir que son choix du nom grec de Ramsès II serait déjà un signe d'échec puisque le plus célèbre sonnet de Percy Shelley porte justement sur la Vanité des actions humaines qui ne laisseront que ruines effacées par le Temps. Ozymandias, qui s'identifie tant au demi-dieu Alexandre de Macédoine qui veut unifier l'Humanité (comme l'Intellect agent d'Aristote unifie leur partie rationnelle), a donc déjà un nom trop ironique : son choix qui se veut héroïque face à ce noeud gordien est déjà condamné par son pseudonyme, qui annonce le journal. Alexandre/Achille cherche l'Immortalité de l'héroïsme dans ses actions mais Ozymandias rappelle la finitude et le thème de l'Ecclésiaste : il n'y a aucune vraie Immoralité sublunaire, tout cela ne laisse que sable sous le vent.

I met a traveller from an antique land
Who said: Two vast and trunkless legs of stone
Stand in the desert. Near them, on the sand,
Half sunk, a shattered visage lies, whose frown
And wrinkled lip, and sneer of cold command
Tell that its sculptor well those passions read
Which yet survive, stamped on these lifeless things,
The hand that mocked them and the heart that fed.
And on the pedestal these words appear:
"My name is Ozymandias, king of kings:
Look on my works, ye Mighty, and despair!"
Nothing beside remains. Round the decay
Of that colossal wreck, boundless and bare
The lone and level sands stretch far away.

Mais j'imagine qu'Alan Moore ne s'est pas dit que cela serait trop évident ou lourd. Du point de vue du Geek, l'allusion à Ozymandias rappelle surtout la dernière page d'Avengers 57 (1968) par Roy Thomas (et on sait bien que c'est sans doute là que l'autodidacte encyclopédique qu'est Moore a dû en entendre parler la première fois) :


Depuis cette page célèbre, Ozymandias n'était donc plus seulement le symbole de la Vanité de toute chose mais le fantôme de la culture élevée récupérée ou recyclée dans la culture populaire, la contrebande de la poésie dans le dessin pour enfants. Ozymandias est signe, comme un hiéroglyphe égyptien qui renverrait à tout ce que la bande-dessinée pourrait ou aurait pu être. Un des thèmes "post-modernes" des bd de Moore est à la fois ce retour régressif sur son passé (mais sans "dénonciation") et sur le potentiel caché, d'où la métaphore du genre du Pirate qui remplace le Superhéros.

Le vrai nom d'Ozymandias est Adrian Veidt, allusion à l'acteur d'origine allemande Conrad Veidt. Conrad Veidt est le symbole du juste, qui se déclare même juif par solidarité et fuit l'Allemagne en 1933. Conrad ne put ensuite plus jouer que des rôles de Méchants à Hollywood mais c'est son rôle d'anti-héros de l'Homme qui Rit qui va inspirer directement le Joker dans Batman.

Adrian Veidt, né en 1939 dans la bd (il est plus jeune dans le film), est fils de riches industriels d'origine allemande et comme Wittgenstein, il a renoncé à tout son héritage pour pouvoir se construire lui-même.

Le film si littéral et parfois si à côté de la plaque de Snyder a, parmi ses défauts, un portrait trop peu nuancé d'Ozymandias en "Aryen-Gay" warholien, mais l'acteur Matthew Goode a eu une idée intéressante en imaginant qu'Adrian Veidt aurait renoncé à l'héritage parce que ses parents auraient continué à s'enrichir en contact avec l'Allemagne nazie. Adrian Veidt veut être la bonne conscience de gauche, il est végétarien et a dû soutenir les vaines campagnes démocrates contre Richard Nixon, tout cela pour finalement se préparer intellectuellement à un massacre de masse (dont il prétend s'absoudre par une méditation).

Sa culpabilité n'est pas seulement un raisonnement utilitariste monstrueux, c'est plutôt qu'il voudrait plus sauver le monde par lui-même que le sauver tout court. Il ne supporte pas que le Dr Manhattan ait atteint la vraie éternité par un simple accident et il veut surtout montrer, par une ruse prométhéenne, que cet homme supérieur vaudrait mieux ici-bas que tout être divin. La conclusion inverse de son plan puéril sera que l'humanité ne devrait plus accepter de déléguer ainsi sa responsabilité à ce tyran si peu lucide sur sa propre volonté de puissance.

4 commentaires:

VfV a dit…

Sans vouloir relancer des débats plus ou moins obsolètes, une question est récemment venue me déranger a propos de Watchmen : est il vraiment légitime de qualifier Ozymandias d'utilitariste ? quelle que soit l'appréciation que l'on ait de ses actions, il semble qu'elles relèvent d'une logique relativement différente de l'éthique traditionnelle, dans la mesure ou l'enjeu direct et certain n'est ni plus ni moins qu'une extermination totale de la vie sur terre. Dans un tel contexte, le péché de Veidt est moins un pragmatisme "la fin justifie les moyens" qu'un plus limite et minimal "il faut bien faire quelque chose pour éviter la fin de tout", l'idée étant que, de même que les lois de la physique cessent de s'appliquer a une certaine échelle, les principes éthiques cessent de valoir face a la singularité de l'Apocalypse nucléaire. L "échec" final de Veidt en est-il vraiment un, si ses crimes ont permis au monde de perdurer fut-ce six mois de plus ?
C'est plus largement tout le problème du cadre des super héros, a savoir qu'il est difficile de mettre en oeuvre des paraboles efficientes, lorsque les enjeux sont a ce point disproportionnés et sur-humains..

Phersv a dit…

Les films d'action dépendent de la qualité de l'antagoniste et c'est vrai que Watchmen reste relativement "dialogique" au sens où la solution d'Ozymandias pourrait en effet avoir des justifications dans ces circonstances extrêmes.

Ma première réaction à la lecture était en effet que le calcul d'Ozymandias aurait été défendable face à l'Armageddon nucléaire (si on laisse de côté que l'idée de l'union sacréé face aux Aliens serait un peu trop naïve). Mais cela reste une déshumanisation et une hubris de la part d'Adrian Veidt.

Un problème de la réception américaine du film en 2009 est que le public croyait y voir une métaphore sur le néo-conservatisme de l'administration Bush (certains ont même cru que Snyder voulait mettre une théorie du complot sur le 11 Septembre et le néo-impérialisme parce qu'on voit les Tours Jumelles) alors que le contexte de la guerre froide et du Reaganisme n'était plus vraiment compris.

Une fois que le plan a été réalisé, on comprend le choix du compromis du Hibou (qui est le plus proche représentant du lecteur) : le mal est fait et ce serait rendre tous ces sacrifices vains que de demander la justice.

VfV a dit…

Merci !
Je ne connaissais pas la réaction du public à l'adaptation de Snyder (mais en même temps, vu le film...) ; c'est un peu la même chose que pour V for Vendetta. Ce qui est drôle c'est que ce genre d'interprétation est vraiment une histoire de projection de préjugés contemporains (j'aurais penché pour une transposition sur la catastrophe écologique, perso).
De manière amusante, j'ai eu la réaction inverse à la vôtre : l'interprétation bienveillante d'Ozymandias ne m'est venue récemment, qu'après une énième lecture !

VfV a dit…

" Mais cela reste une déshumanisation et une hubris de la part d'Adrian Veidt. "
=> ça suppose d'adhérer à l'éthique des vertus, non ? Alan Moore serait donc secrètement aristotélicien ! Je le savais ! ;)