La modernité peut à la rigueur concevoir encore un concept du divin (comme disait Lovejoy, on pourrait en donner 33 définitions), par exemple comme "Ordre Juste du monde" ou comme "Finalité du Cosmos". Mais ce qui est le plus mort est plus le Diable que Dieu (même si on connaît la plaisanterie de Baudelaire selon laquelle sa plus grande tromperie ou malice est de nous persuader de son inexistence).
Cosma Shalizi propose pour le 1er avril un argument théologique qui revienne à un déplacement du terme de διάβολος (le calomniateur) : un Dieu créateur doit créer le Diable non comme antithèse mais comme médiation neutre arbitrale entre lui et le reste de la Création, sans quoi toute relation à la Création serait injuste puisqu'il serait toujours à la fois Juge et Partie.
Ou comme il le résume : si toute la Création n'a pour seule fin que l'Amour (librement accordé) envers son Créateur, le Bien se diffusant dans l'Être, il faut bien un arbitre neutre dénué de tout Amour pour son Créateur pour pouvoir être "un spectateur équitable et impartial", un regard désintéressé entre créateur et créatures. On aurait mal compris cette "aphilie" pour de l'hubris ou de la Révolte prométhéenne.
En ce cas, la vieille expression "advocatus diaboli" des procès de canonisation reprendrait un sens nouveau où "diabolus est advocatus" : la fonction de l'Adversaire, הַשָׂטָן, serait, comme dans le premier texte dans le Livre de Job où il acquiert son titre, non pas l'Ennemi, mais plutôt une sorte de charge ou de fonction critique de magistrat à l'intérieur du Conflit des facultés divines. Il serait là comme médiation entre sa Justice et sa Compassion, par exemple. Il serait plus une sorte de procureur impartial comme "Accusateur" que "Calomniateur" ou "Tentateur" maléfique, même si on le réduit nécessairement à un bouc-émissaire, sans doute par pur ressentiment.
Dans le sens inverse bien sûr, le concept de ce Magistrat neutre mais créé est tellement contradictoire qu'il revient à nouveau à dire que le concept de Dieu serait incompréhensible et donc fort peu éclairant.
2 commentaires:
Il me semble avoir une fois lu (je crois que c'était chez Steiner) que dans les premiers moments du christianisme il y avait des Églises qui pratiquaient un culte de Judas parce qu'il était la condition sine qua non du rachat de nos péchés. Peut-être devrions nous également en faire de même avec Lucifer, au cas où Shalizi aurait raison.
Oui, Borgès a aussi une histoire où Judas est adoré comme un instrument du salut. C'est pourquoi Judas dans une version n'est pas condamné pour avoir trahi mais pour s'être suicidé ensuite, ce qui prouvait qu'il avait désespéré du Pardon divin.
Il y a aussi des sectes comme les Yézidis qui disaient que Satan avait été pardonné par Dieu et était devenu son Lieutenant.
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