Comme je le disais l'autre jour sur Pasteur, il est un peu inévitable qu'il soit plus attirant de prendre la position de la démystification et de dénoncer les Idoles. C'est même sain et nécessaire au progrès scientifique, si on est conscient du risque d'occuper sa position seulement par réaction dans un champ donné.
Je ne connais que très peu la linguistique (seulement par la vulgarisation philosophiques) et pas du tout la complexité des divers sous-courants en théorie de la syntaxe mais globalement, il est clair qu'elle est dominée depuis un démi-siècle par la révolution chomskyenne.
Au lieu de décrire des propriétés de ces systèmes de langues, Noam Chomsky est parti dans des programmes cherchant des invariants ou des universaux à travers des structures formelles innées du langage humain (le projet d'une "grammaire générative" qui montrerait les grands "paramètres" derrière les grammaires réelles - même si Chomsky n'utilise plus exactement ce terme de "paramètre"). Certains vont jusqu'à dire que c'est Noam Chomsky qui a fait de la linguistique une science, même si ensuite ses propres théories scientifiques peuvent être contestées dans les détails : il en serait le Galilée, et pas un Einstein (Steven Pinker dénonce le risque du gourou qui se prend pour un Aristote ayant créé le programme de la linguistique toute entière).
On sait bien que la linguistique progressera en brûlant ce "père" et il est possible que le modèle soit déjà en une phase de décomposition sur certains éléments, mais les magazines sont souvent impatients de déclarer la mort précoce du nouveau standard. La presse de vulgarisation scientifique est pressée d'annoncer la Chute de la Maison Chomsky (ce n'est pas toujours de l'hostilité politique, plutôt ce désir de néophilie contre la théorie dominante) et le jour où cela arrivera, on risque d'avoir été échaudé par des fausses alertes.
Par exemple, des magazines comme New Scientist parlaient souvent du Pirahã, un langue très isolée d'Amazonie qui semble pour l'instant contredire quelques prédictions communes sur les langues (notamment l'idée que toute langue humaine doit avoir une structure récursive). Le New Yorker de 2007 a un article très cinématographique sur Dan Everett, le spécialiste du Pirahã qui a voulu en tirer un retour des hypothèses relativistes de Sapir-Whorf (qui font d'ailleurs un retour sous une forme "modérée" ou "faible"). Chomsky a dit qu'il n'y voyait pas encore de manière claire une réfutation de ses théories sur la syntaxe.
C'est maintenant le tour d'une nouvelle étude statistique sur l'évolution des langues (Michael Dunn, Simon J. Greenhill, Stephen C. Levinson & Russell D. Gray, Evolved structure of language shows lineage-specific trends in word-order universals) qui est parfois un peu survendue (là, là) comme la fin de la théorie chomskyenne. Et on sent toujours une jubilation non dissimulée dans l'idée que la théorie de contraintes innées mystérieuses relaisserait la place aux contingences historiques de l'évolution culturelle.
Un des auteurs, Russell Gray, a mis une explication plus claire de l'étude (même si la notion d'algorithmes MCMC est mathématiquement trop difficile pour être paraphrasée en langue intuitive). Wired a aussi une explication sobre sur l'ordre des mots.
Liberman (qui est plutôt un spécialiste de phonétique, mais aussi de linguistique "computationnelle") dans Language Log a quelques analyses (avec des réponses d'un des auteurs dans les commentaires).
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