samedi 17 août 2024

Magnus (version 2017)

Gunther Anders appelait "prometheische Scham" non pas seulement la blessure narcissique que les machines nous dépassent mais aussi un secret désir de devenir machine à notre tour, face au fossé grandissant entre nos capacités et la puissance de nos réalisations techniques. Magnus, Robot Fighter 4000 AD (créé en 1963 par Russ Manning chez l'éditeur Gold Key) est une bd de réaction à cette Humiliation Prométhéenne. La scène se passe dans deux mille ans, au XLIe siècle et l'Humanité est devenue complètement aliénée à ses robots. Magnus est le dernier militant humain à ne pas vouloir dépendre des robots et à lutter activement contre eux. Mais son secret est qu'il n'est pas aussi intolérant qu'il en l'air, il a été éduqué par un robot philanthrope, la Première IA (une sorte de R. Daneel Olivaw), qui a formé Magnus depuis son enfance par souci d'une nouvelle 4e Loi asimovienne de la Robotique, règle de ne pas laisser les Humains dans leur aliénation. [En revanche, je pense que ce n'est qu'une coïncidence s'il a le même nom que le Magnus chez DC qui est le Prométhée-Gepetto créant les androïdes Metal Men en 1962. Manning a dit s'être inspiré de Maximus, un acteur secondaire dans le comic strip réaliste Mary Perkins, On Stage. ]

Magnus est à nouveau, tout comme Superman l'avait été à sa manière, un Tarzan inversé : alors que Lord Greystoke doit sa force au retour à la nature élevé par les ancêtres naturels de l'Humain, Magnus a été élevé par les descendants artificiels de l'Humain mais il doit ses capacité à la résistance au progrès des sciences et des techniques. Russ Manning reprit d'ailleurs l'adaptation en comics de Tarzan chez Gold Key en même temps que Magnus. 

Magnus dans cette première version ne se servait au début quasiment pas de gadgets (en dehors d'un moyen de communication), pas d'autres techniques que de techniques du corps, des Arts martiaux qui lui permettait de casser du métal et qui en faisait le seul humain capable de lutter à la fois contre les robots corrompus (les effets indésirables sont des accidents puisque les IA normales respectent les Trois Lois) mais aussi les autres humains qui tentaient d'utiliser les robots pour soumettre les autres. Selon les scénaristes, Magnus pouvait être un vulgaire Luddite fanatique ou un personnage plus nuancé. 

Cette version s'arrête officiellement en 1977 mais cela faisait déjà longtemps que Manning avait arrêté les histoires. En 1991, Jim Shooter reprend la licence de plusieurs personnages de Gold Key et relance une 2e version du personnage qu'il associe à un nouvel "univers" de superhéros et de sf, l'univers Valiant. Ce Magnus commence à nouveau comme Luddite mais évolue et finit par se révolter contre les autorités humaines : il aide certains robots conscients à créer leur propre communauté autonome séparée. En 1997, Valiant fut racheté par Acclaim et Magnus devint une sorte de cyborg. 

Par la suite, Western/Gold Key avait récupéré les droits de Magnus (ce qui explique qu'il n'existe plus dans l'univers Valiant actuel) et le personnage réapparut d' abord chez Dark Horse (2010) dans des comics chez Dynamite Comics (en même temps que bien d'autres personnages Gold Key, y compris certains qui n'avaient pas été dans l'univers Valiant). 

En 2017 parurent deux versions distinctes chez Dynamite : dans Sovereigns, Magnus devient un dieu-cyborg connecté à toutes les machines et on voit à quel point les reboots américains peuvent subvertir complètement ou inverser le concept de départ (comme si on relançait Asterix en un Alix gallo-romain). 

Mais la même année 2017, le même scénariste Kyle Higgins essaya aussi une autre version (avec le dessinateur d'origine catalane Jorge Fornés si adapté à l'atmosphère du "Film Noir") où "Magnus" est cette fois une femme, Kerri Magnus, psychanalyste pour IA. 



Il n'y eut hélas que 5 numéros (et une VF chez Casterman) mais c'était la version la plus subtile : Magnus soignait les IA dans le Cyberespace (le Cloud-World) au lieu de simplement lutter physiquement contre des robots. Elle est à la fois une Blade Runner (Magnus: Robot Hunter) contre les IA psychopathes mais surtout une thérapeute qui se soucie aussi de ce dont "rêvent ces Androïdes" dans leur Univers virtuel qu'ils préfèrent à notre réalité biologique de wetware. Les IA conscientes ont obtenu une sorte d'indenture limitée où ils sont payés en "temps libre" et le droit à pouvoir partir un jour vers l'autonomie vers leurs communautés virtuelles.


On voit passer le Good Doctor Asimov en journaliste

La série révèle ses origines qui sont à nouveau un hommage à Tarzan : Kerri Magnus est la seule humaine qui peut si facilement demeurer en interface dans le Cyberespace sans avoir son cerveau qui frit parce qu'une IA l'a élevée à l'intérieur de ce monde avant qu'elle ne revienne dans notre monde organique. Ces deux mondes fournissent dans la bd une idée graphique amusante : la réalité est dans le style sombre habituel de Jorge Fornés alors que le Monde du Cloud est dessiné dans un style bien plus coloré et épique, presque kirbyesque

Il est dommage que l'histoire n'ait pas de suite car la fin annonçait une intrigue à venir et cette version me paraît la meilleure avatar de Magnus Robot Fighter

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Aucune publication en France?

Phersv a dit…

Si, traduit en album chez Casterman en 2018.