Perceforest (écrit en français vers 1340) représente le désir médiéval d'une "continuation" ou continuité entre les mondes imaginaires des chansons : relier le Roman d'Alexandre (qui s'était développé indépendamment de la réalité historique) et la Matière de Bretagne du Roi Arthur, du pseudo-grec et du pseudo-celtique. Dans cette version, après l'arrivée des Troyens comme Corineus en Bretagne (ce que racontent les versions du Brut) c'est Alexandre qui y a apporté les premières bases de la civilisation et même la première forme de Chevalerie (car le roi macédonien du IVe siècle avant JC est bien sûr devenu bien plus proche d'un roi médiéval du XIVe). C'est un univers anachronique où les idéaux chevaleresques apparaissent en pleine Antiquité hellénistique et où des Princes colons grecs sont les ancêtres des Pendragons (les Troyens exilés, Alexandre et l'Empire romain existant souvent à des périodes très proches dans ce genre de légende).
Le Dr. Mark Shirley est un universitaire britannique (un biologiste spécialiste d'épidémiologie et de zoologie à l'Université de Newcastle) et il a déjà écrit de nombreux suppléments pour Ars Magica et pour Runequest/Mythras (Mythic Constantinople mais aussi des règles de factions). M. Shirley a eu l'idée géniale de reprendre ce long roman Perceforest devenu assez illisible pour créer un univers médiéval fictif qui ne soit ni simplement Arthurien ni complètement étranger à cet univers, un "décalage" dans la Geste habituelle, un Prequel qui offre plus de liberté. Cela mêle le Merveilleux de Pendragon avec un cadre pré-chrétien encore plus magique. Ce cadre est celui des Terres sauvages comme l'indique le nom du Roi "Perce-forêt". Il fait penser au cliché jeu-de-rôle d'un univers avec peu de "points de lumière" qui doivent lutter contre l'arrière-fond archaïque et la prolifération chaotique de la Nature (Shirley parle même de la Forêt - on pourrait dire La Selve pour faire plus archaïque - comme une sorte d'entité lovecraftienne). Les Chevaliers ne doivent pas lutter contre la "Gaste Terre" (Wasteland) chère aux interprétations ritualistes de Jessie Weston mais au contraire contre la Jungle et le retour à l'état sauvage (même s'il y a quand même un Great Waste du côté du Moray écossais). Et on a donc des origines inversées du Roi Pêcheur mais sans tout le christianisme de Joseph d'Arimathie. Il doit aussi y avoir un peu d'influence de la Lyonesse syncrétique inventée par Jack Vance et Shirley y a mis aussi certains personnages de l'oeuvre élizabethaine Faerie Queen (aux allégories pourtant bien plus chrétiennes). Là où on perd en revanche en exotisme est que de nombreux noms sont francisés puisque Perceforest est un roman dans notre langue.Perceforest a été traduit en français par Arasmo, Pierre Gehenne, & Arnaud Lecointre de d100. Voir l'article sur le Grog.
Le Roi Perceforest de Loegria a vaincu l'enchanteur maléfique Darnant qui régnait sur la Forêt ainsi que ses frères dans le Mauvais Lignage de Darnant, notamment Dragon et Malebranche. La Fée Gloriande est la mère des enfants de Darnant mais a pris parti pour Perceforêt (c'est même elle qui lui a donné son nom). Perceforest est tombé dans une sombre mélancolie depuis la nouvelle de la mort de son suzerain le Roi Alexandre et c'est son épouse la Reine Ydorus qui tient la Régence. Sébille, la Damoiselle du Lac, est une autre Fée qui a eu un enfant avec Alexandre, Vestige de la Joye. Le roi d'Albanie, Gadifer est aussi affligé d'un mal profond depuis une étrange blessure par un sanglier dans la Forêt et la Régente est la Reine Lydoire qui est aussi une Reine-Fée. Avec ce nouveau déclin des deux Rois, leurs chevaliers (comme les douze preux des Chevaliers de la Rose Blanche, les Chevaliers Cornus de Cornubie, les douze champions du Château des Pucelles, les Chevaliers Verts, ou bien les Dames Paladines de Verulam, comme Britomart) doivent défendre la Loegria et l'Albanie contre les maléfices, les brigands et la Forêt. Bientôt va apparaître dans le futur du jeu un nouvel ordre, ancêtre de la Table Ronde, le Franc Palais.
La population de Bretagne suit une version un peu générique (à la reconstruction wiccane) de religion quasi-celtique avec 7 Divinités, qui correspondent aussi à 7 jours de la semaine. Il y a la Triple Déesse (la Vierge aux Fleurs, la Mère de l'Eté, la Vieille de l'Hiver) et quatre dieux : le "Roi des Cieux", "Le Dieu Cornu" (ou Roi-Chêne de l'Automne, tué face au Roi-Houx), le Frère-des-épées (le guerrier, souillé par l'aspect chthonien de la Forêt) et enfin le Seigneur (dieu des Cités). Cela ne m'apparaîtrait pas hors sujet d'y mettre aussi un peu de dieux classiques comme Apollon si on veut : même les Médiévaux en avaient encore entendu parler. C'est le Frère des épées qui a donné l'Espée Perrine, qui tua le Roi Lambor de la Gaste Terre Sauvage et l'épée est aujourd'hui gardée par sa veuve, la Reine Morgaude.
L'univers de Perceforest a une autre différence avec Pendragon : on peut jouer des Bêtes anthropomorphes (souvent issus d'Humains marqués par la Forêt). Il est aussi possible de jouer des roturiers (même si cela paraît peut épique). Les règles comprennent un système pour jouer le Domaine (le "Vill"), qui est aussi influencé par les règles d'Ars Magica pour créer son Alliance (Covenant).
A la place des Passions de Pendragon, les PJ se donnent un des 7 Sentiers et des "Voeux" de chevaliers : Franchise (qu'on peut traduire plus comme "générosité" ou noblesse, l'Homme Cornu), la Gloire (le Frère des épées), la Justice (le Seigneur), l'Amour (la Vierge aux Fleurs), la Majesté (le Roi des Cieux), la Compassion et la prudence (la Mère de l'été) et la Sagesse et la discrétion (Vieille de l'Hiver).
Je suis très intrigué : cela capte l'atmosphère si merveilleuse des légendes arthuriennes et en même temps c'est dépaysant. Je dois reconnaître que l'absence de tout Christianisme peut être attirante si on en a assez du mélange de la lettre chrétienne et de légendes païennes que Stafford a essayé d'équilibrer.
2 commentaires:
Merci pour ce billet; cela semble effectivement intéressant ! Quand tu dis que Perceforest (le roman) est devenu illisible, ça part d'une expérience personnelle ? Je suis curieux, car je n'ai jamais pu me procurer l'édition de Roussineau, tout de même assez chère.
Non, effectivement, je ne l'ai pas lu mais je crains que ce soit très répétitif.
Il y a une édition Perceforest Reader (par Nigel Bryant, seulement 128 pages, 2012). Bryant a aussi fait une version un peu moins "abrégée" de 640 pages (Perceforest: Prehistory of King Arthur's Britain, 2011) mais elle est hors de prix aussi.
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