Un des problèmes des éditions DC est ce qu'on pourrait appeler en reprenant un terme économique, le "Stop & Go".
Alors que c'est la plus ancienne maison d'édition de comics depuis 1935 (oui, le nom DC n'apparaît qu'en 1937) et celle qui a créé le "principe de continuité" entre ses titres en 1940, ils ont pris l'habitude au XXIe siècle de relancer périodiquement (rebooter) tout leur univers. Cela leur donne souvent un boost au redémarrage (Go!) et cela s'essouffle et finit par faire perdre la confiance dans l'idée même de continuité (Stop!). La continuité a toujours été en réalité plus artificielle, vaine et lacunaire que les geeks ne l'admettent, même chez leur rival plus cohérent Marvel, mais elle devient encore plus paradoxale quand elle ne cesse d'être interrompue.
Rappel rapide des Crises précédentes
En 1956, DC a relancé une première fois ses personnages et ce fut l'Âge d'Argent, la création du "Multivers" avec la distinction entre Terre-1 (l'univers qui venait d'être recréé) et Terre-2 (l'univers des personnages des années 1940), avec un succès indéniable.
Puis en 1985, ils relancèrent avec la Crise des Terres Infinies leur univers en fusionnant les Terres et en disant que le Multivers n'existait plus. Ils avaient cependant des contradictions causées par le fait qu'ils avaient redémarré certaines séries ab ovo (notamment Superman, Wonder Woman ou Hawkman) mais pas toutes (notamment pas certaines séries qui marchaient bien à l'époque comme Titans, Legion ou Green Lantern - Batman n'est jamais relancé entièrement en dehors de quelques différences sur l'histoire de ses assistants les Robins).
Ils durent ensuite faire d'autres reboots "partiels" face aux contradictions qui s'accumulaient (le Multivers si refoulé ne tarda pas à revenir avec Infinite Crisis (2005) puis Final Crisis (2008), et la Légion des Super-héros commença sa descente aux enfers avec Crisis in Time et ensuite au moins 3 reboots...).
Ils en tirèrent la leçon et firent une tabula rasa plus radicale de tous les titres à la fois en 2011 (The New 52). Cette nouvelle continuité était parfois assez révolutionnaire (comme dans l'idée que Superman vivait désormais avec Wonder Woman et n'avait jamais été amoureux de Lois Lane).
En 2016, ils relancèrent à nouveau tout leur Multivers pour abolir certaines de ces idées et revenir à plusieurs concepts d'avant 2011 (Superman est à nouveau avec Lois Lane et ils ont un fils, Jonathan, qui est vite devenu adulte par un paradoxe relativiste). Mais les lecteurs occasionnels avaient parfois des doutes sur ce qui restait vrai ou pas entre les versions.
All-In & Absolute
La période actuelle depuis 2021 (au titre si antinomique, Infinite Frontier) -2023 ("Dawn of DC" et ensuite "DC All In") est dirigée principalement par les scénaristes Joshuah Williamson et Scott Snyder. Ce redémarrage, si je comprends bien, prétend dépasser les contradictions en les acceptant toutes (plus ou moins) comme vraies simultanément : les personnages se souviendraient des histoires qui ont pu être abolies, y compris celles de la période de 2011-2015. Cela semble être une facilité peu cohérente mais se moquer ainsi du principe de continuité est peut-être la manière la plus franche d'admettre qu'ils n'arrivaient jamais à colmater les brèches des Crises entre les différentes "réalités fictionnelles".
Et en même temps qu'ils relançaient "leur Multivers", ils ont aussi lancé un autre départ radical, l'univers Absolute. Il permet d'essayer de nouveaux concepts et le contexte politique y apparaît clairement. Superman est issu de rebelles du prolétariat en lutte contre la technocratie extractiviste kryptonienne qui refusait d'écouter les avertissements écologiques (le symbole de Superman est celui de la caste opprimée dans cette dystopie). Batman n'a jamais été riche et il est donc une version low-tech, sans financement. Wonder Woman a été élevée par Circé aux Enfers comme une rebelle contre les Olympiens (mais elle peut un peu évoquer la version d'Azzarello de New 52 où elle était une fille de Zeus tentant de sauver d'autres rejetons face à des dieux cruels). Mais pour Wonder Woman, on peut se demander si ce n'est pas la version principale actuelle qui est la plus politique (dans les épisodes de Tom King, elle lutte contre le gouvernement américain qui discrimine contre les femmes et les immigrés).
Cet univers Absolute fait un peu pour DC ce que l'imprint "Ultimate" (Terre-1610) avait fait pour Marvel au début du XXIe siècle (même si on échappe au cynisme de Mark Millar et qu'on le retourne même dans un contexte politique différent : Millar avait fait de son Captain America un chauvin caricatural, Jason Aaron fait de Superman un gauchiste, encore plus que la version populiste de Grant Morrison en 2011).
Un an après le début, si on regarde les ventes de cette rentrée 2025, les titres de l'univers Absolute sont les seuls chez DC en dehors de Batman à continuer à avoir un succès pour rivaliser avec Marvel (qui a simultanément relancé eux aussi Ultimate avec une nouvelle version, Terre-6160).
Les auteurs de DC ont l'intention de faire se rencontrer les personnages de leur nouvelle continuité principale avec ceux de l'univers Absolute mais le succès massif de ces derniers fait qu'ils font pour l'instant de l'ombre à leurs archétypes du Multivers traditionnels All In (même si on n'a pas les chiffres précis).
2 commentaires:
Et le crossover Batman-Deadpool?
Oui, c'est à la fois en succès pour Marvel et pour Batman mais cela confirme que pour DC seuls Batman et Absolute marchent vraiment.
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