On appelle "Maison Bleue" (ou plus littéralement "La Maison aux Tuiles Bleues") la demeure du Président de la République coréenne "entre la montagne du Dragon Bleu et du Tigre Blanc".
Le suicide spectaculaire de l'ancien Président Roh Moo-hyun samedi 23 mai (il s'est jeté d'une falaise près de chez lui) permet de revoir la politique de la Corée du Sud, ce pays asiatique démocratique si pluraliste et occidentalisé qui a connu à la fois des décennies de régime autoritaire pro-américain (1948-1987) et de vraies alternances plus nettes qu'au Japon voisin (notamment pendant la décennie 1997-2007).
- La Corée du Sud a 48 millions d'habitants, soit un peu plus que l'Espagne ou l'Ukraine. Le gouvernement est vraiment redevenu démocratique depuis le début de la VIe République en 1987, il y a 22 ans.
Le pays fut occupé par les Japonais de 1905 à 1945 mais la Libération par les armées soviétiques et américaines conduisit à la création des deux Corées en 1948. - La Première République (1948-1960) est le règne autoritaire du Président Syngman Rhee (1875 – 1965), qui utilisa la Guerre contre la Corée du Nord et la lutte contre le communisme pour réprimer toute opposition.
- Le Président Rhee fut finalement renversé pendant la brève Seconde République (1960-1961) et Rhee fut exilé pour corruption. Mais devant les émeutes des mouvements de gauche, l'armée coréenne en profita pour faire un coup d'Etat et le Général Park Chung-hee (1917-1979) prit le pouvoir. Il légitima finalement son autorité par des "élections" et proclama la Troisième République en 1967, puis peu de temps après, il déclara l'Etat d'Urgence et il accrut ses pouvoirs dans une nouvelle Constitution avec la Quatrième République (1972-1979), enfermant ses opposants et truquant les élections.
- Après 18 ans de dictature avec un semblant d'élections démocratiques, le Général Park fut assassiné en 1979 par un de ses proches, le chef des Services secrets (qui aurait voulu faire cesser la campagne de répression et fut ensuite pendu). On crut à un début de révolution mais les manifestations furent réprimées par l'Armée coréenne et le Général Chun Doo-hwan devint le troisième dictateur de Corée après le Président Rhee et le Général Park, proclamant la Cinquième République en 1980.
- Mais finalement après 7 ans de règne mouvementé et violent, son successeur le Général Roh Tae-woo commença la transition démocratique avec la Sixième République. Il gagna les élections face à une opposition morcelée et en 1992, un ancien opposant civil modéré Kim Young-sam s'allia avec la droite et l'Armée et gagna les élections, premier civil élu depuis le coup d'Etat de 1961. Le Parti de Kim Young-sam devint le Grand Parti National, principale formation conservatrice, alliance de l'ancien "Parti Républicain Démocratique" (qui n'était ni l'un ni l'autre en soutenant la dictature militaire) et de certains opposants "centristes" (la fille du Général Park, Park Geun-hye est toujours l'une des principales figures de la droite coréenne, même si elle est marginalisée aujourd'hui).
- La vraie rupture n'eut donc lieu qu'en 1997 avec la victoire de Kim Dae-jung (né en 1925 - ne pas confondre avec Kim Young-sam). Kim Dae-jung - qui descendait de l'ancienne aristocratie royale tout comme Syngman Rhee - fut un opposant constant à la dictature du Général Park, se présentant souvent contre lui et passant des années en prison. L'opposant catholique (Prix Nobel de la Paix en l'an 2000) finit par l'emporter dans une élection à un seul tour où la majorité conservatrice s'était divisée. L'opposition était aussi régionale car il représentait le sud-est relativement pauvre alors que tous les Présidents précédents venaient du sud-ouest relativement plus riche autour de la grande ville industrielle de Pusan.
Roh était un auto-didacte de famille modeste du côté du port de Pusan et il fut élevé dans le catholicisme, comme Kim Dae-jung. Il était devenu avocat et avait défendu des opposants sous les dernières années du régime du Général Park. Il commença en politique plus près du modéré Kim Young-sam que de l'opposant Kim Dae-jung mais finit par critiquer l'alliance de Kim Young-sam avec les anciens dignitaires de l'armée.
Ancien Ministre de Kim Dae-jung, il battit de très peu le candidat de droite en décembre 2002. Il continua la politique d'ouverture vers la Corée du Nord. Il commit plusieurs gaffes (il écrivit sur son propre site qu'il ne se pensait pas qualifié), s'aliéna certains des membres du Parti Démocratique du Millénaire de Kim Dae-jung et faillit même être destitué par la Chambre pour "incompétence" en 2004. Son populisme assez modeste finit par détruire tout son prestige dans un système républicain semi-présidentialiste.
Après des séries de défaites aux élections intermédiaires, Roh proposa une grande coalition avec les Conservateurs du Grand Parti National, ce qui fut refusé mais le rendit encore plus impopulaire dans l'aile gauche de son Parti.
Il put terminer son mandat en 2005 et le candidat de droite, Lee Myung-bak, ancien PDG de Hyundai, maire de Séoul et Presbytérien dévot, succéda au brouillon avocat de Pusan.
Cette année en 2009, une enquête montra que la famille de Roh Moo-hyun, dont sa femme et son fils Roh Geon-ho, auraient reçu environ 8 milliards de Won (5 millions d'euros) d'un homme d'affaires coréen qui a fait fortune dans les chaussures. Roh a reconnu qu'il y avait une affaire réelle, a innocenté ses proches en accusant donc sa famille, tout en niant être personnellement impliqué.
Il s'est donc suicidé ce samedi pour éviter de continuer à répondre à cette enquête. La chute fut d'une trentaine de mètres. On raconte qu'il aurait demandé une cigarette à un garde du corps et que celui-ci n'en avait pas (ce qui explique le geste rituel de tous ceux qui apportent aujourd'hui des cigarettes à la veillée funèbre de l'ancien Président).
Le geste de la mort volontaire semble avoir inversé sa mauvaise image, deux ans après son départ et au moment où le Président Lee a à son tour une assez médiocre réputation et où Roh, dans toute sa médiocrité, représente aussi le retour à la normale démocratique dans un pays aux haines idéologiques et régionales si exacerbées.
Roh Moo-hyun a laissé la lettre suivante, qui ne mentionne pas explicitement sa famille :
"J'ai des dettes envers trop de gens. Le fardeau que je leur ai imposé est trop lourd. Je ne peux pas sonder les innombrables souffrances à venir. Le reste de ma vie ne serait qu'un fardeau pour autrui. Je ne peux plus rien faire en raison de ma mauvaise santé. Je ne peux plus lire de livre et je ne peux plus écrire. Ne soyez pas trop tristes. La vie et la mort ne sont-elles pas des parties de la nature. Ne soyez pas désolés. N'ayez du ressentiment envers personne. C'est le destin. Faites bruler mon corps et ne laissez qu'une petite tombe près de chez moi. J'y ai pensé depuis longtemps.
4 commentaires:
Juste pour signaler un très bon film sur l'assassinat du président Park, The President's Last Bang(그때 그사람들).
Et puis Memories of murder(살인의 추억) qui se passe dans les derniers mois de la cinquième république ; très bien aussi.
Il faudrait vraiment que j'essaye le premier (qu'on dit assez romancé et libre) car je trouve l'affaire vraiment romanesque.
Je me demande quelles étaient les vraies motivations de ce Brutus chef des services secrets, Kim Jaegyu. Il espérait une transition douce, prendre le pouvoir en faisant croire que l'assassinat avait été encore une fois causé par les Nord-Coréens comme la tentative de 1974 ?
Le film n'apprend pas forcément grand chose sur la situation du pays au moment des faits ; c'est pas du tout un film didactique pour des étrangers.
La fille du président Park dont tu parles dans ton article a dénoncé le film et notamment le fait qu'on y montre Park et les membres de son cabinet parler japonais en privé. Quand on connait l'histoire des deux pays...
Zut, Sarko veux toujours faire mieux que les autres, mais il n'y a pas trente étages a l'élysée. Un volontaire pour lui dire, que même un simple 3 étages suffirais à notre bonheur.
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