Benson Mates, décédé à 90 ans cette semaine, fut un cas rare de philosophe américain qui se comporta comme un "philosophe britannique", c'est-à-dire un historien érudit de la philosophie classique qui suivait aussi les évolutions contemporaines (d'autres bons exemples seraient Wilfried Sellars, Nicholas Rescher ou Harry Frankfurt).
Son livre The Philosophy of Leibniz: Metaphysics and Language, 1986 contribua à mieux comparer les créations métaphysiques de Leibniz du XVIIe siècle et la sémantique contemporaine (même si cela avait déjà été commencé dès la fin des années 60 par les Oxfordiens David Wiggins, et son épouse Hidé Ishiguro).
Mates fit des études de philosophie et mathématiques (BA Université d'Orégon, 1940) puis il devint cryptanalyste pour l'armée américaine pendant la Guerre. Après un temps à Cornell, il va à l'Université de Berkeley, Californie, et il y restera Professeur pendant quarante ans jusqu'à sa retraite en 1989. Il y étudie avec le sémanticien Alfred Tarski (1901-1983). A cette époque, Mates travaille sur l'histoire de la logique et sur les débuts de la logique modale qui commence à naître avec C.I. Lewis. Il publie sur l'implication diodoréenne et en 1951 un article encore très carnapien où il tente de défendre le concept d'analyticité contre la critique de Quine (qui juge le clivage analytique/synthétique désespérant de vague). Il fait sa thèse sur la logique des anciens Stoïciens (The Logic of the Old Stoa) et une de ses constantes dans toute sa carrière fut l'intérêt pour la philosophie hellénistique, notamment l'ancien Pyrrhonisme.
Il fut sans doute un des rares philosophes contemporains (avec le provocateur Peter Unger) à prendre au sérieux les paradoxes du Scepticisme comme autre chose qu'un simple sujet historique ou qu'une posture à déconstruire comme chez Cavell ou même Barry Stroud.
Le livre sur Leibniz de 1986 est une synthèse claire et vivante, qui montre un enthousiasme pour le génie leibnizien qui est vite partagé par le lecteur. Le livre est tout à fait rigoureux dans son exégèse (Mates participait à la Leibniz-Gesellschaft et aux Studia Leibnitiana depuis longtemps) mais il fait le choix de relire Leibniz comme un interlocuteur direct contre Quine.
Mates est, je crois, un des premiers à redécouvrir (plus encore que la génération de Couturat et Russell) les textes d'analyse "nominaliste" du langage où Leibniz cherche des traductions logico-grammaticales pour éliminer certains types de pressuposés (même si je crois que Fabrizio Mondadori et Wolfgang Lenzen sont allés plus loin dans la formalisation en termes modernes, dans les limites de toute traduction d'un auteur écrivant quatre siècles avant Frege). Il est certain que c'est cette idée de traduction qui avait influencé directement l'un des textes fondateurs de la philosophie analytique, On Denoting de Russell en 1903.
Par exemple, quand Mates traite la question que les Monades se reflètent toutes, en étant toutes discernables, au lieu de s'appuyer simplement sur les textes pour en défendre la cohérence interne, Mates invente un petit modèle mathématique simple pour faire comprendre comment chaque individu pourrait représenter ("exprimer") en un certain sens la totalité des autres individus.
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