jeudi 23 juillet 2009

A quoi bon la raison ?



Il est difficile d'évaluer dans quelle mesure l'élection d'Obama a vraiment soigné les plaies du racisme américain, où la Démocratie hégémonique de notre monde a été fondée sur le présupposé d'une inégalité de droit entre êtres humains. D'un côté, la majorité de la population - en dehors peut-être du Sud où le progrès est plus relatif - est nettement moins raciste que par le passé (la présidence de Bush l'illustrait déjà) et personne ne niera que c'est un événement qui n'aurait pas été possible autrement. Certes Obama n'a eu que 47% dans l'électorat blanc global mais en un sens, c'est beaucoup.

Mais de l'autre, on a l'impression (si on me pardonne de parodier un jargon psychanalytique comme une métaphore commode) d'un retour hystérique encore plus violent de ce refoulé raciste au moment même de son apparent dépassement.

Tout est codé et le racisme est déplacé : les théories du complot accusent Obama d'être un "crypto-musulman" (juste au moment où les USA découvrent soudain l'existence de l'Islam) ou d'être en fait l'ami du mouvement terroriste d'extrême gauche des Weathermen. Et il y a maintenant tout ce mouvement ultra-conservateur qu'on appelle maintenant les "Birthers" qui s'obsèdent sur le Birth Certificate, sur le fait qu'Obama aurait forcément menti et ne serait même pas né à Honolulu, Hawaii, dans un Etat américain.

Même si ce taré d'Alan Keyes (qu'Obama a battu au Sénatoriales de 2004, et qui vient de quitter le Parti républicain parce qu'il le jugeait trop centriste) défend le "Birtherisme", l'attaque indirecte via un point pseudoformel de droit est claire.

Le "Birtherism" est essentiellment une forme de rationalisation insensée du dépit : ils ne peuvent pas accepter que leur Président soit Obama donc Obama doit de jure ne pas l'être (certes, notre méfiance collective un peu plus fondée sur les résultats de Floride en 2000 ou de l'Ohio en 2004 était peut-être une sorte de miroir du même processus de délégitimation).

L'article 2 de la Constitution demande que le Président soit un "natural born American".

Personne - autant que je sache - ne nie que sa mère était citoyenne américaine (même si le juriste Volokh fait remarquer qu'elle n'avait encore que 18 ans et ne pouvait donc pas avoir le nombre requis de présence continue sur le territoire américain) mais la notion de "natural born American" semble impliquer plus que le droit du sang dans le code de la nationalité où il faut naître dans un Etat américain ou du moins sur un Territoire.

Hawaii est devenu un Etat en 1959 et Obama est né en 1961 (les paranoïaques ne vont pas jusqu'à nier son année de naissance), mais de toute façon dans la plupart des interprétations les Territoires comptent comme des Etats (comme pour Barry Goldwater, né en 1909 dans le Territoire de l'Arizona, qui ne devint un Etat qu'en 1912).

Le problème se complique aussi un peu lorsque certains prétendent que, le père d'Obama étant sujet britannique (le Kenya ne devient indépendant qu'en 1963), le code britannique de la citoyenneté en faisait un Britannique et non un Américain (une autre théorie débile du complot qui pense qu'Obama doit être le fils de Malcolm X ou de je ne sais qui de plus connu que son père kényan irait à l'encontre de cela - les paranoïaques ne peuvent pas consentir à ce qu'Obama puisse être ce qu'il est, il doit forcément être lié à quelque chose d'Autre et d'inquiétant).

Un des aspects ironiques est que malgré leur "Nativisme" anti-immigrés mexicains, les Républicains étaient récemment tentés d'amender la règle dans l'espoir de présenter à la Présidentielle Arnold Schwarzenegger (né en Autriche). Et d'ailleurs John McCain avait probablement moins de prétention à être né sur un Territoire américain qu'Obama.

Mais ce qui est le plus désespérant dans toute cette histoire est qu'elle rappelle la vanité de toute rationalité, des arguments ou même de la vérité.

On l'avait constaté avec la Guerre en Irak : on a beau montrer qu'il n'y avait pas d'armes de destruction massives, chaque réfutation renforce l'idée qu'il y en avait chez une partie de la population qui a décidé d'y croire.

Lorsque Obama a publié son certificat de naissance, les Birthers ont tous réagi comme à l'accoutumé en disant que le simple fait qu'il accepte de répondre à leur injonction prouvait qu'il avait dû faire un faux sous Photoshop (parce que les Républicains sont durablement marqués par leur victoire spectaculaire dans l'affaire Killian / Rather où le document était vraisemblablement un faux - même si son contenu était probablement authentique).

De même, chaque critique de ce mouvement birther ne fait que lui prouver qu'il y a un complot pour dissimuler ce qui est nié, comme le disent D. Weigel et R. Maddow dans ce segment.



La raison est désarmée contre les ressources et subterfuges de la paranoïa.

Argumenter ne sert qu'à la marge peut-être, pour contenir les mèmes toxiques de manière préventive mais non pas pour soigner ceux qui sont déjà contaminés.

3 commentaires:

Tom Roud a dit…

Je me dis que cette polémique sur le certificat de naissance n'est pas forcément une mauvaise chose en fait : elle me semble ridiculiser davantage les "Birthers" qu'autre chose. Qui pourrait voter sérieusement pour des types qui disent qu' Obama est américain "as far as they know" ? (bon la réponse est dans la question en fait)
Le Daily show a été très bon là-dessus :
http://www.thedailyshow.com/watch/wed-july-22-2009/the-born-identity

Phersv a dit…

Je ne sais pas car je trouvais les Swiftboat Veterans & POWs for Truth complètement ridicules et contre-productifs aussi dans leurs attaques contre Kerry en 2004 et pourtant, cela a marché. Ils ont réussi à déstabiliser un héros du Vietnam alors que leur propre candidat avait fui la Guerre.

Le but des ultra-conservateurs n'est même pas une attaque plausible mais seulement d'installer tout un essaim informe de soupçons par la simple force de la répétition dans les clichés publics. Ils savent qu'il est Américain mais ils espèrent rappeler inconsciemment toujours qu'il serait une sorte d'Alien (le xénophobe Lou Dobbs demandant s'il est un "sans papier", undocumented immigrant) parce que "Socialism is UnAmerican".

Si j'étais un conservateur ou "libertarien" (même réfléchi), j'imagine qu'une partie irrationnelle en moi me murmurerait quelque chose du genre "Il y a beaucoup de rumeurs quand même, il n'y a pas de fumée sans feu, etc." On va commencer à répéter les clichés comme des blagues ou monologues des talk shows et ensuite elles deviendront des soupçons durables (un peu comme la mort de Bérégovoy est souvent dans une pénombre cognitive en France où on pense qu'il s'est bien suicidé mais qu'il y a des "anomalies étranges").

Ca n'a pas encore vraiment marché mais je ne veux pas non plus sous-estimer les capacités de divagation en nous.

Tom Roud a dit…

Oui, je comprends la stratégie, mais je me dis que c'est un truc tellement facile à desarçonner qu'il vaut mieux laisser les Républicains s'exciter un maximum dessus, quitte à produire effectivement un certificat de naissance valable, pendant la prochaine campagne, après que Sarah Palin ait sorti le sien (ce sera un bon moment pour rappeler qu'elle a en son temps milité pour l'indépendance de l'Alaska, bonne américaine de naissance qu'elle est).
Tout le temps qu'ils passent à déblatérer sur cette ridicule affaire de certificat de naissance, ils ne le passent pas à attaquer Obama sur ses paroles dans l'affaire du prof. Gates ou sur la réforme de l'assurance maladie, sur lesquels il me semble beaucoup moins facile de riposter sans se mettre à dos les Républicains intelligents qui ont voté pour Obama.