samedi 31 décembre 2011

Caractère consistant




(Volé au blog de la librairie Arkham)

Bonne année !

Le Cru et le Kanzi



Les élèves de Terminale ont une obsession qui est de nier toute différence entre les bêtes et le Genre humain. Cela ne me choque pas vraiment (à vrai dire, ce serait plutôt les anti-Darwiniens qui m'ennuient plus) mais ce thème revient tout le temps, quel que soit le sujet. La question du langage ou de propositions universelles ne les convainc pas souvent.

Mais j'arrivais quand même toujours à leur faire admettre une seule propriété spécifique, admise depuis le Mythe de Prométhée, qui est la technique du Feu.

Bon, cela ne va plus marcher non plus : Kanzi (31 ans) le Bonobo (c'est toujours avec des Bonobos, non ?) aurait réussi à apprendre dans l'Iowa à faire du feu (avec l'aide d'allumettes) et à cuire de la nourriture à force de regarder un documentaire des centaines de fois.


Kanzi, le "Prométhée des Primates", est déjà une star de la primatologie. Il arrive à combiner beaucoup de signes et aurait déjà réussi à gagner au jeu vidéo de Pac-Man.

vendredi 30 décembre 2011

[JDR] En relisant... Casus Belli (20)

Casus Belli n°20, avril 1984.

Une autre couverture de Didier Guiserix qui reste comme un archétype du Casus de cette période, avec ses soldats napoléoniens de 1807, à la veille de la bataille de Friedland, se mélangeant avec des aventuriers qui fuient des gobelins et tiennent un pistolet laser (un peu comme le Dragon sur un char d'assaut du n°10).

L'édito est la première apparition du Lapin blanc d'Alice pour représenter le retard récurrent du bimestriel.



  • Les Nouvelles du Front : Il y a peu de nouveautés pour les jeux de rôle.

    On annonce en français l'écran de Légendes celtiques chez Jeux Descartes, la traduction à venir de James Bond RPG, des traductions de scénarios pour Tunnels & Trolls, des extensions pour l'Ultime Epreuve (qui n'aura jamais droit qu'à un seul scénario dans Casus Belli n°22, "Les Jeux de Lyn" et quelques sortilèges dans le n°25), la préparation du jeu sur la série de romans La Compagnie des Glaces (voir Casus Belli n°33, 1985).

    En anglais, on annonce le jeu Elfquest chez Chaosium, Powers & Perils chez Avalon Hill et l'arrivée du Middle-Earth Role-Playing chez I.C.E.

    J'en profite pour mettre aussi cette pub moche pour la traduction française de Basic D&D avec son étrange jeu de mots en référence à Paris Match. On voit qu'ils ne doivent pas se servir de publicitaires professionnels.

    En passant, Guiserix survole quelques magazines, dont le Runes n°6 qui avait descendu en flammes son nouveau jeu Mega en demandant même s'il avait été testé avant parution (les critiques de Rune étaient souvent plus incisives que celles de Casus, comme celle contre Empire Galactique), et le rédacteur semble le prendre avec sérénité (de fait, il continue ensuite de collaborer avec l'équipe de Runes).

    Un sondage sur le numéro 19 plébiscite surtout le scénarios de D&D et Appel de Cthulhu, mettant "Le Visiteur" derrière.





  • Les Inspirations (qui à l'époque doivent encore être écrites entièrement par Didier Guiserix) parlent d'un seul roman de SF Millénium de John Varley (où les humains du futur enlèvent des Terriens de notre époque pour repeupler leur monde mourant) et cinq bandes dessinées, le Sortilège du Bois des Brumes de Bourgeon, la Ballade du Bout du Monde de Makyo, le deuxième tome de Rork d'Andreas, le 11e volume de Valérian & Laureline (Les Spectres d'Inverloch) et le 9e volume des Naufragés du Temps (Terra) de Paul Gillon (tiens, les héros se sont éveillés au XXXe siècle et s'appellent "Cavallieri & Valérie Haurèle" - je n'avais jamais remarqué la ressemblance avec Valérian & Laureline, même si le modèle principal doit être Buck Rogers ou The Sleeper).

    Guiserix a un style graphique parfois proche de Mézières et le jeu MEGA est quasiment un Valerian JDR NON-Officiel.





  • Ludotique
    J'ai du mal à imaginer la lenteur des ordinateurs de l'époque quand ils disent que l'Apple II+ met 5 minutes pour traiter chaque tour pour le jeu de gestion médiéval-fantastique Lordlings of Yore.

    Ils disent plutôt du bien du jeu de labyrinthe 3D Advanced Dungeons & Dragons: Treasure of Tarmin de 1983 sur la console Mattel Aquarius, tout en précisant bien que cela n'a pas grand chose à voir avec AD&D. Le personnage y arrive nu dans le labyrinthe et doit se battre avec ce qu'il rencontre pour accumuler armes, nourritures et protections pour espérer vaincre à la fin le Minotaure qui garde "le trésor de Tarmin" au niveau -255.





  • Peut-être à cause du numéro du 1er Avril ou bien parce que Guiserix cherche encore du matériel neuf pour le magazine, les pages suivantes sont une série de gags imitant des revues plus "féminines", avec la page du "Courrier des Coeurs" de Madame Casusse (Sonja la Rousse demande que faire si elle tombe amoureuse d'un Paladin), les pages "Astrologie" du Sage Zormilius (les Taureaux doivent éviter les Labyrinthes), la fiche Cuisine d'Annabella Belli (Limon Vert à la sauce Belli). Il y a aussi ensuite une petite solo-quête de deux pages "Un Eternel Amour" à l'ambiance de roman à l'eau de rose où la Princesse doit séduire le Prince Rodolphe et éviter qu'il n'aille voir sa rivale Katerine. Tout cela a peut-être été suscité par les HeartQuests évoquées dans le numéro précédent.





  • Jeu en encart Objectif CCT 001 est un jeu de science-fiction par Jean-Charles Rodriguez (qui participe aussi à Empire Galactique par la suite). sur une station en forme de d20 en rotation autour de la planète Casusbelli. Un joueur joue les défenseurs de la station et les autres des groupes de 3 pirates qui doivent envahir la station. A part l'aspect géométrique de l'icosaèdre, cela me paraît être wargame tactique peu exaltant, mais je suis mauvais juge.





  • Devine qui vient dîner ce soir... Deux créatures : le Clavore (qui vit dans les serrures et se nourrit de clefs, bof) et le Sertrompillon (une chimère d'éléphant qui peut projeter sa tête, charger avec ses défenses et a plusieurs queues à têtes de serpents, re-bof). Les dessins des notes du sage Zormilius sont de qui, au fait ? Ils ne sont pas signés. Cela ressemblerait un peu au style de Tignous mais j'imagine que c'est Rolland Barthelemy, comme c'est lui qui est cité dans l'Ours au début.





  • Design: La maîtrise des événements par un certain "Hong".
    Ce sont deux pages de conseils au Meneur de jeu qui me semblent aujourd'hui plus intéressants que dans mon souvenir de l'époque.

    Hong distingue cinq grands types d'événement dans l'écriture d'un scénario de jeu de rôle. L'événement irrévocable arrivera quoi que fassent les joueurs et il faut en réduire le nombre pour éviter que les joueurs s'ennuient (sauf éventuellement dans le jeu d'Horreur qui peut être plus dirigiste). L'événement aléatoire sert de "divertissement" ou d'à côté pour cacher les événements vraiment importants du scénario. L'événement-barrière est une épreuve à passer (monstre, énigme, jet sous la compétence Bibliothèque), comme condition nécessaire pour accéder aux autres événements. L'événement à dénouement multiple est au contraire celui qui peut conduire à des résolutions très différentes (et dont on ne peut pas nécessairement prévoir toutes les ramifications). Les événements conditionnés s'enchaînent dans une relation logique. Il est nécessaire d'avoir assez de renseignements sur la personnalité des PNJ pour prévoir ce qu'ils feront dans les événements conditionnés et à dénouement multiple.

    Les scénarios peuvent soit avoir peu de structure (par exemple une succession d'événements aléatoires), soit au contraire reposer avant tout sur l'enchaînement d'événements conditionnés. Entre les deux extrêmes du hasard et de la nécessité, ceux qui assurent le plus de liberté au joueur sont les événements à dénouements multiples mais il faut que le Meneur de jeu trouve un moyen pour ramener quand même vers une forme de dénouement satisfaisant.

    Hong oppose aussi le module préparé qui tiendrait plutôt de l'histoire dirigée par le Meneur de jeu, et la vraie campagne (on dirait aujourd'hui plutôt "Campagne Bac-à-sable" aujourd'hui pour la distinguer de campagne qui sont un enchaînement de module) qui dépendrait la plus totalement des choix des joueurs mais qui risque alors d'arriver plus souvent à des impasses dans l'enchaînement des événements.





  • Rune du Chaos : contrairement à ce que j'avais écrit dans le résumé du n°19, Denis Gerfaud revient une 5e fois pour décrire l'univers de Glorantha, avec ici une explication du Chaos. C'est un texte lumineux sur la cosmologie de Glorantha et la différence entre le Chaos cosmique chez Greg Stafford et le Chaos à la Three Hearts, Three Lions de Poul Anderson qu'utilise D&D (et où les Elfes & Fées sont "Chaotiques-Bonnes", troisième force intermédiaire entre la Loi divine et la Rébellion satanique). L'explication est devenu un peu inutile maintenant que la version Warhammer du Chaos a popularisé une image très semblable. Au passage, Gerfaud en profite pour expliquer une partie du Monomythe du Grand Compromis.





  • Gazette Galactique : La rubrique sur Mega est réduite à une seule page d'errata, comme si Guiserix craignait qu'on accuse son jeu de dévorer le magazine.

    La critique de Mega dans le magazine Runes n°6 avait ainsi dit que la règle de destruction des obstacles impliquait que n'importe qui pouvait briser un mur de pierres à mains nues et Guiserix rajoute donc une simple précision ad hoc : les dégâts prévus présupposent qu'on ait des instruments adéquats.





  • Dragon Quest est une présentation et un éloge de ce jeu d'Eric Goldberg et Gerard Klug chez SPI par Jean-Pierre Demange.


    Demange était membre du Graoully Ludique, le club de la MJC de Metz, et il était connu dans le microcosme comme LE prosélyte enthousiaste de DragonQuest. Il avait déjà publié le même genre de panégyrique de son jeu-fétiche dans Runes n°2 ("Dragonquest: un jeu de rôle qui mérite d'être mieux connu", 1983) mais cette seconde version est rédigée dans un style plus fluide. Je présume que ce Jean-Pierre Demange est la même personne que le psychiatre homonyme qui a soutenu une Thèse de médecine en 1989 à l'université Nancy I intitulée Du jeu de rôle au psychodrame ludique.

    DragonQuest est un jeu qui est arrivé un peu tard en 1980.

    On distingue parfois (je crois avoir lu cela la première fois dans un article de Patrice Mermoud) les jeux de première génération de 1975 (comme D&D ou Chivalry & Sorcery, des wargames tactiques avec classes de personnage) et les jeux de deuxième génération (comme Traveller, 1977, ou RuneQuest, 1978, avec un système unifié de résolution et abandon des classes de personnages rigides).

    DragonQuest, pourtant publié après RQ, semblait occuper une place intermédiaire. Comme SPI était avant tout une compagnie de wargame, DragonQuest se voulait encore plus "tactique" que D&D et il utilisait des hexagones et des manoeuvres pour les combats. Mais en même temps, le jeu avait multiplié une douzaine de "classes" en les transformant en des Compétences ordinaires (Skills, Demange traduit "Talent") qui montraient bien qu'on n'était pas limité qu'à la vie dans le Donjon.

    En dehors des compétences d'armement, il y a Alchimiste, Assassin, Astrologue, Cavalier, Dresseur, Courtisane (Demange traduit "Courtisan" et c'est en effet ambigu en anglais entre faire la cour et être bien en Cour, mais dans la description du Talent, il semble clair qu'on pense un peu plus à une Geisha courtoise qu'à un "discret gentilhomme de cour" de Baltasar Gracián), Guérisseur, Mécanicien, Marchand, Expert militaire, Navigateur, Ranger, Espion-Voleur et Troubadour - tiens, pas de "Sage").

    Mais chaque rang de "Talent" différent peut fournir des bonus différents aux chances de toucher et il n'y a donc pas un seul vrai système de résolution. Demange dit qu'il y a un système unique avec des pourcentages (multiplier une caractéristique par un nombre pour obtenir le score) mais le problème est que le calcul du score du pourcentage pour les talents ne suit pas une formule uniforme. Cela a peut-être influencé Rêve de Dragon qui dérive chaque score d'une caractéristique et d'une multiplication proportionnelle à la compétence.

    Les créateurs de DragonQuest avaient eu (après Chivalry & Sorcery) la bonne idée de diviser plusieurs Collèges de Magie : Enchantements, Magie de l'Esprit, Illusions, Magie des Vrais Noms (comme dans Earthsea d'Ursula Le Guin), Magie des quatre éléments, Magie des Ombres et des étoiles, Nécromancie, Magie Noire et Invocation de Diables & Démons (TSR retirera ce dernier Collège de démonologie dans sa réédition quand ils rachètent SPI).

    On remarque au passage que DragonQuest n'a aucune classe de "Prêtre" et aucune théurgie, et que de ce point de vue c'est un peu l'inverse de RuneQuest où la religion est si centrale : des démons aux noms judéo-chrétiens existent mais le jeu n'est pas prévu pour avoir la moindre Divinité active face à eux. DragonQuest n'a pas d'univers de base spécifié mais c'est un présupposé important sur le monde pseudo-médiéval de Sword & Sorcery : des sorciers et démonologues mais aucun dieu pour contrebalancer. Cela pourrait presque être plus sombre ou cynique que le ton désespéré de Warhammer.

    Les sortilèges coûtent des Points de Fatigue et il y a un risque de "retour de sort" (Backfire) et divers échecs, mais là encore, tout cela était aussi dans Chivalry & Sorcery.

    Il y a 6 caractéristiques primaires (Force, Agilité, Dextérité manuelle, Endurance,
    Aptitude à la magie, Volonté) et on y répartit 80 + 2d10 points (donc une moyenne de 15, sachant que le maximum tourne autour de 25). La Perception est une 7e caractéristique traitée à part. La Fatigue est dérivée à partir de l'Endurance (en très gros, le tableau semble revenir à peu près à 12 + END/2). Les dégâts vont d'abord à la Fatigue avant de passer à l'Endurance, sauf dans les réussites critiques au combat où elles font baisser l'Endurance directement. En plus de races habituelles (Elfes, Nains, Halfling, Orcs), le jeu propose aussi Géant (avec des scores qui peuvent aller jusqu'à +20 en Force et Endurance) et Change-forme (lycanthrope Loup, Tigre, Ours ou Sanglier).

    On tire aussi son signe astrologique et l'événement marquant de la naissance, mais le système n'est pas exactement l'horoscope habituel de notre planète (là aussi, je pense que cela a dû imaginer le système de Rêve de Dragon où on tire "l'heure de naissance" pour que son Signe revienne chaque jour).

    Demange cite un avantage de DragonQuest dans son système d'expérience, qui ne se limite pas à tuer des monstres ou accumuler des trésors. Il a raison mais là encore, Dragonquest ne faisait que suivre Chivalry & Sorcery et d'autres jeux post-D&D de la même période.

    Dragonquest était sans doute sur bien des points supérieur à D&D ou même à C&S mais la complexité du jeu et des raisons contingentes comme le faible nombre de suppléments ou la faillite de SPI ont contribué à laisser le jeu dans une certaine obscurité. Il y a environ 300 joueurs sur cette Association DragonQuest, avec le Wiki d'une grosse campagne de Seagate jouée depuis des décennies en Nouvelle-Zélande.

    DragonQuest était censé recevoir en 1981 un univers créé par Rudy Kraft, Alusia mais quasiment rien ne fut publié à part une carte et quelques descriptifs brefs. Ce site explore la carte des frontières d'Alusia mais l'ensemble est surtout un Far West sauvage (en dehors de quelques colons dans les "Marches Occidentales" et les "Baronnies Confédérées", comme la Baronnie de Carzala). Il n'y a rien là qu'on ne puisse inventer soi-même et pour certains cette absence d'univers peut être un avantage.






  • La Malédiction est un scénario de Jean-Pierre Demange pour DragonQuest (c'est illustré par "Michel Demuth" mais je pense qu'il ne doit pas s'agir de l'écrivain de science-fiction).

    On commence par un village harcelé par des Gobelins mais on découvre peu à peu de noirs secrets sur les différents habitants, dont un prédicateur qui appelle à la repentance pour sauver le village et un notable qui voudrait laisser son passé derrière lui. C'est non-manichéen et on a plusieurs factions mauvaises en lutte entre elles. Pour un module court, c'est un bon équilibre d'ambiance et ensuite d'un Donjon classique. Jean-Pierre Demange a bien saisi dans les Démons de ce jeu leur côté "lovecraftien". Sa version de Furcas, le "Duc Faucheur", a des aspects plus proches d'un scénario de l'Appel de Cthulhu.





  • La Disparition est un scénario de Martin Latallo prévu pour l'Appel de Cthulhu ou pour le jeu des Pulps Daredevils (il avait déjà fait un scénario pour ce jeu dans le n°16).


    La présentation qui sépare scènes d'Evénements et Informations (comme il le fait à chaque fois depuis le n°17), mais avec l'article de Hong sur la gestion des Evénements, cela semble presque être un exercice pratique. L'ambiance est un peu comme dans Ten Little Niggers d'Agatha Christie. C'est ici un manoir d'un explorateur d'Afrique où les explorateurs sont assassinés les uns après les autres si les aventuriers ne trouvent pas la solution. Malgré tous les clichés pulps coloniaux des années 20, on peut éviter des clichés racistes. Le scénario donne aussi quelques conseils pour éviter une impression de dirigisme mais le MJ devra connaître très bien les enchaînements pour donner une chance aux joueurs d'éviter la marche irrévocable des meurtres.




  • La Lune Vague est un scénario de "Hong" (voir plus haut) pour AD&D (Niveau 5-7), situé dans le monde d'Alarian (CB #13).


    Comme "La Disparition", il semble un peu être un exercice appliqué de l'article sur la gestion des Evénements. Comme l'avoue l'auteur, la présentation du scénario est déroutante. Elle donne toute une série d'Evénements prévus, de bifurcations possibles et plusieurs vies de personnages avant qu'on ne comprenne comment les PJ vont être plongés dans l'intrigue. L'introduction est même tout à la fin. Cela ne peut être qu'une tentative délibérée de déstabiliser le lecteur.

    L'aventure se déroule dans le nord d'Alarian, dans la province de Norven - et le scénario du n°18 "L'Herbe de Lune" ne commençait pas très loin, à Glenor dans la province d'Ystad. L'ambiance de cette Passe de Kraod pourrait aujourd'hui faire penser à celle de Winterfell dans Game of Thrones puisque le Norven garde une Muraille de 20 mètres de haut pour arrêter les Gzars, des géants roux qui montent des Tricératops laineux dans les terres glacées.
    [En passant, je suis tombé via cet agrégateur jeu de rôle sur ce blog qui continue une campagne en Alarian.]


    Mais le vrai centre de l'histoire concerne plusieurs groupes de brigands et assassins (dont la société secrète de la Lune Vague et ses luttes internes), sur lesquels les aventuriers devront enquêter avec subtilité s'ils ne veulent pas se faire tuer (mais ils ont peut-être l'habitude s'ils ont déjà joué "le Rat Noir" dans le n°14). De plus, ils ont un temps limité comme certains événements tragiques arriveront très rapidement s'ils n'ont pas trouvé la solution.

    On a souvent l'habitude en jeu de rôle de démasquer des personnages influents qui sont en réalité de dangereux criminels mais ce scénario a aussi l'inverse, certains criminels apparents qui sont en fait des alliés importants à trouver.

    Le scénario est riche mais le défaut de cette complexité est qu'il a certaines lacunes non-expliquées que le MJ devra combler et des plans à ajouter.





  • J'ai commencé cette rétrospective des 20 premiers Casus Belli (avril 1980-avril 1984) il y a maintenant un an. C'est peut-être une bonne place ici en cette fin d'année 2011 pour arrêter cette série de posts où je "parasite" ces créations de Guiserix, Gerfaud, Latallo et leurs collègues.

    Ce qui m'étonne le plus est le progrès parcouru sur ces quatre ans. Les premiers numéros ont cette rudesse primitive des débuts du jeu de rôle mais je n'ai pas l'impression que ces articles du n°20 seraient le moins du monde décalés ou "dépassés" aujourd'hui par rapport à nos scénarios, comme s'il y avait un plateau qualitatif atteint dès cet "Âge d'or". Le jeu de rôle n'est peut-être pas un "art" (tout dépendrait de ce qu'on entend par là) mais il n'a en tout cas pas le progrès si linéaire d'une technique.

    Ce numéro 20 fut aussi le premier que j'ai reçu par abonnement (mais mes souvenirs sont très vagues à ce sujet). C'est donc le bon endroit pour marquer ma reconnaissance envers ces magazines qui furent tant relus que j'ai parfois l'impression d'en connaître certaines formules par coeur.

    jeudi 29 décembre 2011

    Le Miracle de la Multiplication des Marroniers



    On sait qu'il n'y a pas que le Sexe, le salaire des cadres, les prix de l'immobilier, le classement des hôpitaux, le classement des écoles, le classement des classements, les francs-maçons et Sarkozy qui font vendre des hebdomadaires qui doivent faire semblant de traiter un thème.

    Il y a aussi Dieu.

    Le Time Magazine, du temps où il y avait encore une vague lueur d'apparence de réflexion, avait fait une Une célèbre en 1966 avec Is God Dead?. Le titre ne visait qu'indirectement la communauté des Nietzschéo-Américains mais était surtout fait pour que tous les Religieux achètent avec indignation le numéro comme un acte de dévotion pour répondre négativement contre des formes plus spéculatives de théologie.

    Comme le montre Arrêt sur Image, en un an, Le Point a été plus entreprenant en faisant croire qu'il fournissait quelques éléments de "réponses" (des témoignages de personnes qui disent être dans un état doxastique non-indifférent sur la légitimité ou pas de pratiques et institutions sociales d'une communauté). Le but est sans doute un peu l'inverse de celui du Time il y a 50 ans : attirer à la fois un croyant tiède qui verrait son préjugé un peu ragaillardi, et lancer une vague inquiétude vers l'agnostique qui se demande s'il n'aurait pas besoin d'un supplément d'âme.

    Voici donc la question en août 2010 :


    Mais visiblement l'affaire n'a pas été encore complètement résolue en décembre 2011.


    Ouf, on pense que dès 2012, après la réélection et le sâcre à Reims de Badinguet Ier, au moment d'une quelconque fête religieuse ou d'un creux dans les scandales de DSK, Le Point pourra boucler définitivement son Dossier "Et Dieu a-t-il de bonnes performances sexuelles avec des cadres francs-maçons dans les meilleurs hôpitaux au meilleur rendement au mètre carré ?".

    Si jamais un être omnipotent et bon avait existé, cela l'eût sans doute flatté que d'avoir la couverture presque autant que Notre Chef de notre Léviathan que le Monde Nous Envie.

    Michael Dummett (1925-2011)



    A l'époque de l'Empirisme logique des années 1930, Schlick croyait avoir trouvé une solution à tous les problèmes philosophiques : le vérificationnisme. La thèse du vérificationnisme est que la signification d'un énoncé est les conditions de vérification de cet énoncé. Par exemple, la signification de "la lumière va à 300,000 km par seconde" est en fait la manière dont nous pouvons vérifier si cet énoncé est vrai ou faux. La conséquence pour les Empiristes du Cercle de Vienne était anti-métaphysique : tout énoncé qui n'est ni vérifiable ni réfutable n'a pas vraiment de signification.

    La thèse vérificationniste eut un grand succès mais disparut tout aussi vite dès l'après-guerre, dès que certains Empiristes logiques admirent qu'il était un lit de Procuste trop rigide même pour les sciences. De nombreux énoncés semblent bien avoir une signification sans qu'on puisse toujours s'accorder sur les conditions de vérification (par exemple, des énoncés contre-factuels sur des possibilités).

    Michael Dummett, qui vient de mourir avant-hier, fut l'une des grandes exceptions à cet abandon complet du Vérificationnisme et sans doute le plus farouche adversaire au XXe siècle de ce qu'il appelait le "Réalisme Sémantique".

    Il avait fait ses études à Oxford juste après la Guerre (il fut un Fellow de All Souls pendant toute l'après-guerre) mais il ne fut pas vraiment un philosophe du Langage Ordinaire dans le style habituel des Wittgensteiniens qui infestaient Cambridge. Lui aussi mettait l'analyse du langage au point de départ, mais il était prêt à réviser profondément nos habitudes ordinaires au nom de certains principes logiques. Mais lui aussi était une forme de Wittgensteinien qui défendait l'idée que la vérité d'un énoncé ne peut pas transcender des conditions d'usage.

    Le point de départ de Dummett fut donc la critique du Réalisme. D'habitude en métaphysique, on entend depuis Wolff et Kant le "Réalisme" comme la thèse qu'il y a quelque chose qui transcende toutes nos capacités de le connaître, qu'il y a un sens à penser et affirmer qu'il y a quelque chose au-delà de toute méthode de la connaître (comme la Chose en Soi chez Kant). Dummett donna une nouvelle définition sémantique : le Réalisme est la thèse selon laquelle il y a des conditions de vérité qui transcendent toute possibilité de vérification. Pour Dummett, ce Réalisme sémantique sur les Propositions est en quelque sorte un présupposé plus fondamental derrière d'autres formes de Réalismes et que même certains "Idéalistes" admettent (même la méthodologie de l'Idéalisme transcendantal de Kant par exemple, malgré l'interdiction des preuves apagogiques en philsophie).

    Par exemple, ce qu'on appelle "Platonisme" en philosophie des mathématiques peut dire qu'une Conjecture comme l'Hypothèse du Continu est vraie même si sa vérité ne peut absolument pas être démontrée et même si on peut démontrer l'indépendance logique de l'Hypothèse par rapport aux axiomes classiques de la théorie des ensembles. Le Réalisme revient à accepter le Principe de Bivalence, la thèse que toute proposition est soit vraie soit fausse, indépendamment de la manière dont on peut ou non la connaître, même dans un cas idéal.

    Dummett considérait que le Réalisme était un dogme philosophiquement non-fondé. Tout argument en faveur du Réalisme reposerait toujours sur une pétition de principe. Il soutint donc la position intuitionniste en mathématiques, la thèse qu'on ne peut admettre comme objets que ceux qu'on peut construire directement grâce à une série de déductions et non pas simplement des objets qu'on affirme comme non-contradictoires. L'intuitionnisme réduit considérablement l'ontologie des objets mathématiques et réduit aussi la force de la logique classique qui ne peut plus reposer sur certains raisonnements par l'absurde. Il défendit donc en détails dans son traité Elements of Intuitionism une forme de logique non-classique et c'est un aspect de son oeuvre qui n'intéressa que quelques sectes de logiciens et pas vraiment les philosophes. La métaphysique était réduite à une analyse de ses principes d'inférence.

    Le vrai choix fondamental était celui de la théorie de la déduction derrière sa théorie sémantique. Dummett croyait même avoir enfin trouvé un terrain plus solide pour toute critique philosophique et pour éviter des fausses disputes en philosophie.

    C'est à partir de ce principe "logique" de l'Anti-Réalisme que Dummett se mit à son énorme travail exégétique sur le plus célèbre fondateur de la philosophie analytique et le plus "Réaliste" des mathématiciens, Gottlob Frege (même si Russell fut tout aussi Réaliste et platonicien en un sens que Frege).

    Michael Dummett est aujourd'hui plus connu comme un "commentateur" de Frege mais on oublie de rappeler que son commentaire avait surtout pour but de comprendre comment Frege (avant la naissance de la sémantique moderne post-tarskienne) défendait ces thèses que Dummett rejetait radicalement. Le retour aux origines de la philosophie analytique n'était donc pas seulement exégétique mais critique : Dummett voulait trier ce qu'on pouvait conserver de Frege et ce qu'il fallait éliminer à la base.

    Pourtant (et quel que soit "l'échec du programme logiciste"), Dummett considérait qu'aucun philosophe n'avait jamais atteint la même rigueur logique et la même clarté que Gottlob Frege. Cela le conduisait à une condescendance affichée à l'égard de toute autre critique contre celui qu'il analysait. Même quand il était en désaccord avec Frege, il jugeait généralement les arguments de ce dernier supérieurs à ceux de la plupart de ses adversaires. Frege ne pouvait pour lui qu'échouer en étant un Réaliste mais il était allé plus loin que tous les autres dans cette voie. Il prouvait donc négativement la nécessité de devenir un Intuitionniste en logique. Michael Dummett était donc à la fois un Anti-réaliste et le plus fanatique des "Frégéens", réduisant toute la philosophie contemporaine à un choix entre un débat interne au Post-Frégéanisme ou bien un marais confus basculant dans le psychologisme.

    Radical sur les questions de la Vérité, Dummett était difficile à classer politiquement, un peu comme le couple de Geach & Anscombe, les Wittgensteiniens catholiques. Il a beaucoup attaqué les Conservateurs sur l'immigration et la xénophobie et se faisait connaître (même dans certaines préfaces des textes sur Frege) par son activisme en faveur des immigrés au Royaume-Uni pendant les années 1960-1970. Converti jeune au Catholicisme d'Oxford, il a aussi défendu l'intégralité du Dogme dans des revues dominicaines.

    Peut-être en partie à cause de sa théologie de la Toute-Puissance de Dieu, il était "ouvert" sur la possibilité logique de certaines propriétés physiques. Il se disait par exemple anti-réaliste aussi sur le passé. Des énoncés absolument invérifiables pour nous sur le passé pourraient être dénués de valeur de vérité. Il était logiquement possible qu'une relation causale puisse être rétroactive tant que cela n'entraînait aucune contradiction dans les informations vérifiables (ce qui en fit un des premiers défenseurs anti-réaliste de la possibilité du voyage dans le temps, avant le réalisme modal David Lewis, et avec des intentions bien différentes).

    Mais comme souvent dans l'histoire de la philosophie, "Dieu" est un concept qui permet de tricher. En tant que "vérificateur idéal" qui a une position adaptée pour vérifier tout ce qui est vérifiable, Dieu permet à Dummett d'avoir certains avantages du Réalisme avec sa théorie si exigente fondée sur l'Anti-Réalisme. Dummett va jusqu'à dire dans ses conférences Truth and Reality (2006) qu'il serait plus cohérent de poser Dieu comme corrélat de son Anti-Réalisme sémantique, ce qui doit être une des formes les plus récentes d'un argument (onto)logique en faveur de l'existence de Dieu.

    Benjamin Murphy a fait un entrée de dictionnaire sur la philosophie de Michael Dummett, qui introduit aussi à la sémantique anti-réaliste. On peut citer le néo-logiciste Crispin Wright parmi les grands Dummettiens contemporains. Le Guardian a une notice nécrologique (écrite par Adrian W. Moore).

    [Review] Quatre BD



  • 3 secondes (Delcourt) de Marc-Antoine Mathieu est une nouvelle expérience digne de l'OuBaPo : une BD en mouvement et pourtant presque figée, concentrée sur trois secondes, et qui suivent uniquement la trajectoire d'un photon à travers les reflets.
    On est donc dans une sorte d'expérience holographique leibnizienne où tout "s'entr'exprime" et où chaque point reflète des relations de perceptions harmonisées, comme si chaque fragment contenait le tout. On part d'une absence de lumière dans une galerie d'art pour y revenir vers une abîme lumineuse à la fin et plusieurs cercles vont ainsi éclairer peu à peu les histoires imbriquées, dont une histoire d'assassinat dans le milieu du foot en Suisse. La BD est sans paroles mais on peut lire uniquement des inscriptions dans les journaux ou sur les textos.

    L'objet est un très beau tour de force et Mathieu a assez construit un récit pour qu'on évite un peu l'impression de gratuité ou de pur jeu formel.

    Pour ceux qui ont le livre, on peut revoir une animation de toutes les cases du livre (à condition d'avoir le code fourni dans le bouquin).


  • Les Aventures de Valérian et Laureline par Christin et Mézières sont finies avec le 21e volume, L'OuvreTemps (2010) mais les auteurs ont proposé à plusieurs autres dessinateurs de faire leurs propres exercices de style dans l'univers de Valérian, sans que cela soit nécessairement des suites ou même des compléments cohérents.
    L'Armure du Jakolass (Dargaud) de Manu Larcenet est une parodie en 54 pages qui pourrait très bien s'insérer vers la fin de la série (disons après les volumes 10 ou 12 puisqu'il y a les Shingouz).

    Larcenet cite des parodies de beaucoup d'autres auteurs de bd franco-belges mais ils m'ont souvent échappé. Le début ressemble un peu à celui de We can Remember it for You Wholesale de Philip K. Dick (ou bien plutôt du manga Cobra de Buichi Terasawa), avec un humain plus que normal, René, qui ne serait autre que Valérian dont l'esprit a été transféré par le Jakolass.

    Larcenet a su imiter l'inventivité des créatures de Christin et cela ressemble presque à une vraie aventure de science-fiction, avec la planète-prison Wallawalla ou toute une histoire de génocide et de guerre de religion. Les couleurs (de Jeff Pourquié) me semblent aussi plus marquantes dans leurs nuances un peu troubles. Ironiquement, l'histoire s'appelle une aventure de Valérian mais comme dans la vraie série, cela fait longtemps que Valérian n'est plus qu'un faire-valoir un peu ridicule pour Laureline, et ici il reprend un rôle plus central en étant encore plus caricatural (un peu comme dans Les Héros de l'Equinoxe).

  • Quoi ! (L'Association) par David B., Berberian, Jean-Louis Capron, Jean-Yves Duhoo, Killoffer, Mokeït, Joann Sfar, Stanislas et Lewis Trondheim n'est pas qu'une histoire de l'Association.
    Les différents points de vue sont surtout centrés sur la relation à l'ancien directeur, Jean-Christophe Menu (suite aux événements de 2006-2011, entre le départ de certains membres-fondateurs et leur retour). La valeur de la bd à plusieurs voix n'est pas non plus vraiment un effet Rashomon (même si la même scène est représentée au moins trois fois par David B., Sfar et Trondheim) ou bien des ragots narcissiques sur le microcosme de la BD. Malgré toute l'acrimonie des auteurs contre Menu, le vrai thème est finalement avant tout celui d'une amitié impossible. Il n'y a pas de femmes pour ainsi dire dans l'histoire, seulement une ambiance d'ateliers et d'amitié hargneuse. On se fiche un peu à la fin de la BD de l'Association elle-même ou de toute sa position dans l'édition indépendante (même s'il est bien que Jean-Louis Capron, des éditions Cornélius, vienne un peu remettre à sa place le mythe auto-entretenu par les membres-fondateurs). A l'origine, il s'agissait un peu d'un règlement de compte que Trondheim préparait pour sa collection Shampooing chez Delcourt.

    C'est surtout sur Jean-Christophe Menu, un individu à la fois attachant, charismatique, intransigeant, tyrannique, auto-destructeur, qui se voit plus comme une sorte de Pape d'Avant-garde artistique, à la André Breton. Malgré tout l'alcoolisme et la brutalité de Menu (que Trondheim avait déjà caricaturé dans ses bd autobiographiques comme Approximativement dès les années 1994), on ne peut pas ne pas croire en partie à son intégrité ou sa sincérité, quand il ne cesse de réduire ses rivaux à des "vendus". Tous les auteurs de l'Association veulent créer des BD qu'il leur apparaît impossible de faire chez les grands éditeurs depuis la fermeture de Futuropolis (l'Association se voit comme le vrai héritier de Futuropolis, d'où la rage de Menu quand Soleil racheta le nom). Mais leurs projets diffèrent.

    Menu est heureux d'avoir des projets confidentiels plus "artistiques" qui rompent avec le ghetto de la littérature enfantine ou nostalgique (même si Menu partage le vice nostalgique et fétichiste de la collection). Trondheim, par opposition, est d'une productivité énorme et est prêt à produire des séries pour la jeunesse ou des séries grand-public (avec Sfar, qui n'était pas un des fondateurs). L'Association vivait surtout grâce aux "rentes" de Satrapi, mais maintenant que Menu est parti vers sa propre société de l'Apocalypse avec Robial, il reste à voir où ira Satrapi (la grande absente de la BD qui se réduit parfois à une sorte d'amère "bromance" virile). La BD est notamment intéressante pour quelques planches de David B., où malgré son hostilité envers Menu, il en fait un portrait finalement moins dur que Trondheim, plus déçu et plus en colère contre son ancien ami. Pour d'autres sons de cloche, voir aussi la synthèse par Mathias Wivel, la lettre de Menu d'août 2011 où il annonçait la création à venir du catalogue de l'Apocalypse (avec les Belles Lettres).

  • Après Menu, qui déteste tellement les éditions Soleil, cela valait la peine de finir avec Voyages aux Ombres, écrit par Arleston & Audrey Alwett et dessiné par Virginie Augustin.
    Voyage aux Ombres entre en effet dans une Série, dans le même monde et par le même auteur principal que Lanfeust de Troy, l'un des plus importants phénomènes d'édition des BD françaises récentes. Cela se passe au Darshan, l'équivalent de l'Asie sur le monde de Troy, et raconte une histoire qui est simplement une inversion du mythe d'Orphée.

    L'héroïne est ici Dyssëry (pour Eurydice) et non pas Orphée, et c'est elle l'artiste (actrice tragédienne et non pas musicienne ou poète). D'ailleurs, elle n'aime pas du tout Orphée (un seigneur machiste qui l'aime avec sincérité mais confond un peu amour et désir de possession). Dès qu'elle meurt et s'enfonce dans le monde des Ombres, elle va apprendre à apprécier sa condition. L'histoire est donc une Nekuya ou plus exactement une "catabase" (une "Descente aux Enfers"), comme dans tant de fictions de la littérature mondiale, mais assez décalée : l'héroïne ne cherche pas à tirer une "leçon" de sa descente, elle en viendrait même à vouloir séjourner aux Enfers et y rester comme elle rejette les normes du monde des Ombres qui inverse le monde du dessus. Le Théâtre est honni comme immoral chez les vivants et elle peut s'adonner aux illusions, avec tous ses risques dans le monde des Ombres, avec ses vampires et ses démons.

    Les univers d'Arleston sont souvent inspirés par le jeu de rôle (même si Lanfeust semble surtout inspiré par Xanth) et ici, il y a souvent des ressemblances avec l'univers du jeu Wraith (repris dans le jeu Orpheus), qui ne doivent pas être des coïncidences. La Nef de Charon sur le Styx rappelle beaucoup le train appelé l'Express de Minuit dans Wraith. L'Hadès a aussi des aspects qui peuvent évoquer la BD Monsieur Mardi-Gras Descendres d'Eric Liberge.

    La fin me semble curieusement presque aussi sinistre que celle du vrai mythe d'Orphée, malgré toutes les inversions. Il n'y aura pas de suite prévue à l'album malgré la continuité avec les autres séries "troyennes". Mais ce one-shot humoristique chez les Morts me paraît meilleur que la plupart des séries dérivées de Troy.

  • [JDR] En relisant... Casus Belli (19)

    Casus Belli n°19 (février 1984), 54 pages.

    La couverture sur le nouveau jeu "maison" de Casus Belli et Jeux & Stratégie, MEGA, est par l'illustrateur du jeu, Verlhac/Tignous (qui illustrera aussi le Trèfle noir pour Légendes et plus tard la première édition de Rêve de Dragon).

    Nouvelles du Front : Il n'y a que quatre annonces de jeux de rôle en français : (1) Magikon, le jeu abstrait italien de Marco Donadoni (moins intéressant que son autre jeu de sf, le joli Legio VII),(2) toujours des modules de la NEF, (3) la traduction de Tunnels & Trolls chez Jeux Actuels (l'ordre des traductions françaises) étant pour une fois conforme à l'ordre des parutions originelles) et (4) une traduction à venir de Star Frontiers par Bruce Heard pour 1985.

    En VO, on énumère du Traveller (le Book 6 Scout et le module Tarsus), du Space Opera (le Star Sector Atlas 12 sur l'Empire korellien et Casino Galactica), un scénario pour Mercenaries, Spies & Private Eyes. Chez TSR, il y a la série des livres-jeux/romans à l'eau de rose visant un public féminin HeartQuest Books (il paraît que le meilleur serait Moon Dragon Summer - notons que le numéro précédent avait déjà proposé une quête inspirée de la Carte du Tendre) et le L2 Assassin's Knot.

    Les Inspirations réapparaissent après une longue absence, avec seulement deux romans, le cycle de fantasy Khanaor de Francis Berthelot (qu'ils oublient de nommer) et Mallworld de Somtow Papinian Sucharitkul, l'auteur de science-fiction thaïlandais (dont je me rends compte au résumé qu'il a dû influencer Quarantine de Greg Egan).

    La section Ludotique a Fortress of the Witch King de Matthew Mehlich, une sorte d'ancêtre de Warcraft où on joue un individu accumulant de l'or pour lever une armée suffisante contre le Roi-Sorcier (qui n'est pas celui d'Angmar), SwordThrust de Donald M. Brown (jeu d'aventures de 1981 sans illustrations et aux règles un peu inspirées de RuneQuest) et The Hobbit (jeu de 1982 pour le ZX Spectrum, dans le monde de Tolkien).

    Devine qui vient dîner ce soir... a deux "Curiosités". Les "Miroirs de Shannara" ne renvoient pas au monde de Terry Brooks mais à une Sorcière d'une grande beauté qui aurait laissé divers fragments de miroirs magiques, dont certains morceaux (le Miroir du Narcissisme) peuvent séduire des personnages qui voudront remplacer des parties de leurs corps par des images réfléchies de ce qu'ils croient être la perfection. Le Sage Zormilius (créé dans le numéro précédent) décrit les yeux du Merlanfri ou Sépulchroeil qui maudit sa cible, qui ne pourra plus voir les vivants que comme des zombies.

    Avec ce numéro 19, c'est le début de la nouvelle section consacrée à MEGA, qui vient à peine de sortir. Il a quelques règles optionnelles par Didier Guiserix, surtout sur le combat : règles sur les explosifs, règles d'empoignades (complètement bugguées et dignes d'un Murphy's Rule : un personnage a 0% de chance d'empoigner n'importe qui d'une force supérieure ou égale à la sienne) et localisation des coups (qui semble assez inspirée de celle de Légendes, qui a beaucoup influencé MeGa malgré la différence de complexité et de ton). La petite aventure "Le Visiteur" est plutôt moyenne. Elle ressemble un peu au "Ganymédien égaré" déjà inclus dans le jeu, si ce n'est qu'elle se déroule dans notre monde contemporain : il s'agit de retrouver un extraterrestre ovoïde tombé au Mexique près de la frontière du Texas dans les années 1950 et de l'aider à s'échapper avant que les autorités du FBI ne le retrouvent. Didier Guiserix va faire nettement mieux dans le n°21 avec sa grande campagne "Le Dandy".

    La Magie dans RuneQuest est le quatrième de cette série de présentation et résumé de règles sur RuneQuest par Denis Gerfaud (le Monde dans le n°16, le Combat dans le n°17 et l'Expérience préliminaire dans le n°18). C'est plus présenté comme une sorte de memento de règles pour quelqu'un qui aurait du mal avec l'anglais.
    On pourrait croire que RuneQuest a été plutôt avantagé par Casus Belli jusqu'ici (même D&D n'avait pas eu droit à autant d'explications/traductions), mais c'est aussi la dernière fois que le magazine consacrera ses pages à ce jeu pendant 3 ans. Ce n'est finalement qu'avec la traduction française chez Oriflam qu'il y aura à nouveau quelques aventures. Casus (du moins dans sa première formule) ne fera que huit autres scénarios pour RuneQuest après "Les Cavernes du Pied du Bouc" du n°18. Ce seront "Poussière d' espoir" (n°38, 1987), "la Peur dans les Collines" (n°43, 1988), "La Peau" (n°46 - une adaptation de l'anglais), "L'Ombre du Chaos" (n°49, 1988), "La Coupe d'Aram" (n°52, 1989), "Nuit d'Effroi" (n°67, 1992), "Anisha" (n°77, 1993) et enfin "Lisa, triste Lisa" (Hors-série Spécial Scénarios n°6, 1993). Pour comparer, au long de l'histoire du magazine, Warhammer (qui fut la vraie star de l'heroic fantasy en France après D&D et JRTM) aura eu droit à environ 22 scénarios et l'Appel de Cthulhu à 54 scénarios.

    Devenir Légendaire est une aide de jeu par Philippe Mercier pour créer une personnage pour Légendes, le sommet du simulationnisme français qui venait de paraître chez Jeux Descartes. Contrairement à Méga qui aura une rubrique régulière, Casus ne fournira plus vraiment d'aides de jeu pour Légendes, même si Jeux Descartes était le partenaire du magazine. J'imagine que pour la majorité des joueurs, ce tableau "simplifié" fut la seule rencontre avec ce jeu. Cela a pu même contribué à effrayer certains. Dans mon cas, je me souviens que j'ai aussitôt couru l'acheter mais j'avais alors une patience infinie pour lire des règles et comme tous les débutants à cette époque, je croyais en une sorte de "progrès" du jeu allant vers plus de "simulation".


    Légendes, contrairement à ce qu'on pourrait croire, avait un système de résolution très simple : uniquement des compétences sur 20 et on doit faire le moins possible sur un dé, avec une Marge de réussite égale au score moins le résultat du d20, un peu comme dans Bushido.

    Mais la création de personnage était en effet cauchemardesque, avec énormément de calculs, comme dans un jeu à la FGU dans le style de Space Opera. Par exemple, au lieu d'acheter simplement des points de compétences, la valeur à l'achat de chaque compétence était proportionnelle à plusieurs valeurs de caractéristiques qu'il fallait aller chercher sur des tableaux. Légendes est allé tellement loin dans le simulationnisme qu'il a déclenché une réaction opposée de certains de ses créateurs. Philippe Lemercier a ensuite créé Féérie (1985) et c'est à partir de ce jeu (et sans doute à partir d'Ars Magica, 1987) que Jean-Luc Bizien a commencé pour créer ensuite la vague narrativiste française avec Hurlements (1989).

    Par-delà le Mur du Sommeil est une présentation des Contrées des Rêves de H.P. Lovecraft par Martin Latallo. A l'origine, quand Chaosium a créé Call of Cthulhu, ils pensaient faire un jeu de rôle dans ce monde mais ce n'est qu'en 1986 qu'ils sortirent dans une boîte le supplément Dreamlands. Latallo fait à la fois remarquer que ce monde onirique détonnerait un peu pour le jeu d'horreur classique mais il fournit quand même un scénario, "Peur sur Providence", qui tente de relier l'atmosphère habituelle des enquêtes avec l'exploration du monde des songes.

    Le Temple de M'Shu est un scénario pour AD&D (Niveau 4-5) par Denis Gerfaud.
    Ces scénarios AD&D devaient préfigurer ce que Gerfaud allait faire en publiant Rêve de Dragon l'année suivante (en mélangeant le simulationnisme de RuneQuest avec un aspect "décousu" et "onirique", plus proche finalement d'une ambiance rhapsodique de scénarios D&D).

    Gerfaud réutilise même la Zyglute créée dans le n°17. L'Herbe de Lune du n°18 avait un bon thème de départ avec Adagio, son Dragon blanc mélomane. Ici, le Temple de M'Shu est un peu moins original puisqu'il porte sur la métaphysique manichéenne ou moorcockienne du Chaos. Le Temple est un Oeuf, comme la demeure d'Adagio était un Violon.

    L'idée principale est de traiter le Chaos non pas seulement comme une absence d'ordre mais plutôt comme une inversion en miroir de l'ordre. Les messages sont donc simples à décrypter en écriture miroir (alors que je trouvais les énigmes musicales du n°18 assez obscures). M'shu, le maléfique Dieu des dragons chromatiques et de la Non-vie (il a de nombreux serviteurs zombies), est un Vieux Dragon vert chaotique (HD 9) qui représente le Temps entropique "hors de ses gonds". M'shu va naître vieux de son Oeuf et il rajeunit (cf. le mythe du Politique 270d-e de Platon où l'ordre temporel est décrit comme simplement symétrique). Si M'Shu est tué sans certaines précautions, il risque même de renaître aussitôt en une nouvelle phase en une Ancienne Wyrm Rouge (HD 11). Denis Gerfaud, en fan de Runequest, a pu tirer l'idée des mythes gloranthiens sur les Dragonewts qui vivent parfois le Temps à l'envers et se réincarnent tant qu'ils ont leurs oeufs. Cela rend ce M'Shu de cauchemars plus intéressant que la Tiamat habituelle de D&D ou de Dragonlance.

    Gerfaud n'a cette fois pas mis son scénario dans le monde d'Alarian. Il fait allusion à tout un contexte plus vaste qui ne fut à ma connaissance jamais développé nulle part (sauf s'il le fit dans un Miroirs des Terres médianes mais cela m'étonnerait comme Gerfaud n'aime pas avoir une continuité) : le Royaume de Melindor et au nord la forteresse de Hautegarde et la "Porte des Dragons", région sauvage où se trouve le Temple. Gefaud a déjà bien compris qu'un contexte de jeu de rôle avait besoin d'une zone "liminale" entre la Civilisation et l'Aventure, ce qui a depuis été théorisé dans de nombreux autres univers fictifs.

    Malgré son classicisme Old School, "le Temple de M'Shu" a donc une folie et une atmosphère particulière qu'on ne trouvait pas autant dans la plupart des Donjons Portes-Monstres-Trésors qu'il représente.

    Nouvelles cartes pour Artesia



    Vous savez bien entendu pourquoi Artesia est la meilleure bande-dessinée de fantasy de tous les temps.

    L'auteur, Mark Smylie est à la fois le créateur et illustrateur de la série et du jeu de rôle qui l'accompagne. Fan de Glorantha et des Wilderlands of Fantasy, il a donc composé un univers à la mythologie incroyablement riche, un des rares à pouvoir rivaliser avec la création de Greg Stafford pour la complexité des mythes ou la compréhension du paganisme.

    [Certes, Mark Smylie fait (AMA) un choix discutable en prenant un peu trop au sérieux toutes les théories désuètes (de J.J. Bachofen, Robert Graves et Marija Gimbutas) sur une opposition entre des religions archaïques "matriarcales" et des religions solaires apolliniennes plus "patriarcales", mais ce mythe d'interprétation des mythes peut tout à fait se défendre pour un univers de fantasy.]

    Artesia va enfin revenir (après deux ans de silence) et il est prévu aussi une seconde édition du jeu de rôle avec des règles plus simples (les premières étaient fondées sur le système Fuzion). Smylie annonce sur la liste de diffusion de nouvelles et très belles cartes (cela a toujours été un des points forts de Smylie). Il les donne en PDF sur son site, mais voici une reproduction très réduite de la "Haute Dain Dania", le pays des hautes-terres et les anciens bois de Tiria Wold, au nord du Monde connu.



    Smylie dit essayer de nouvelles techniques inspirées par le style incroyablement détaillé des cartes du "Demi-Continent". Ce monde a été créé par l'auteur-illustrateur australien David M. Cornish pour sa série de romans pour enfants Monster Blood Tattoo. C'est un univers gothique qui mélange une sorte de XIXe siècle de Charles Dickens et Mervyn Peake, avec des créatures fantastiques dont on peut tirer des pouvoirs en se couvrant de leur sang.

    mercredi 28 décembre 2011

    Froides larmes

    J'espère ne pas le "dénoncer" (il a heureusement des lunettes noires) mais le "pleurant" à droite à 1'30-1'38 pendant les obsèques de Kim Jong-Il a beaucoup plus de mal que ses voisins à surjouer la peine (ou alors il est simplement exténué par le froid - il faisait -5°C - et par l'attente des caméras).

    samedi 24 décembre 2011

    The War on Weekdays



    Sarah Palin et Fox News arrivent toujours à fabriquer des indignations imaginaires sur la prétendue "Guerre contre Noël" et s'offusquent dès qu'on dit "Holidays" au lieu de "Christmas".

    Via Tim F.:


    Les Quakers (qui sont pourtant très "ouverts" ou libéraux sur la plupart des sujets) avaient pour coutume de retirer tous les dieux païens des noms des jours en utilisant des ordinaux ("Premier Jour" pour Dimanche, "Septième Jour" pour Samedi, etc.) et le Calendrier révolutionnaire avait adopté la même convention pour les jours de la décade (Primidi, Duodi, Tridi...).

    Je ne veux pas trop répéter toutes les déconstructions habituelles des festivités de la saison hivernale (il semblerait que tout ce qu'on répète sur Mithra, par exemple, serait un peu exagéré ou simplifié).

    Mais une ancienne coutume pratiquée dans des pays germaniques qui ont gardé leur AAA était en cas de Crise grave de sacrifier son chef de l'Etat au solstice d'hiver pour mettre fin aux problèmes.

    Et bien que je ne souscrive pas à une telle violence primitive du Bouc-émissaire, dans ce cas précis, sans en venir à de telles extrémités (sauf s'il est volontaire, bien entendu), on a au moins la possibilité de le faire partir sans pour autant faire couler le moindre sang et cela me paraît la meilleure Résolution de fin d'année à noter sur un auto-collant sur le réfrigérateur : penser à ne pas le réélire.

    vendredi 23 décembre 2011

    [JDR] En relisant... Casus Belli (18)

    (Suite de la série)

    Casus Belli n°18 (décembre 1983), 56 pages, 15 Francs (soit 3,95€ d'aujourd'hui d'après l'Insee).

    Les Nouvelles du Front sont de plus en plus riches et annoncent surtout la parution pour le 15 février 1984 de MEGA (Messagers Galactiques, 25 F, soit 6,5€ d'aujourd'hui). MEGA était le hors-série de Jeux & Stratégie et le jeu de rôle maison de Casus qui permet aux agents à la Valérian & Laureline de voyager à travers les dimensions parallèles. Il y a aussi une publicité pour Légendes celtiques de Jeux Descartes avec la campagne Le Trèfle Noir prévu pour février 1984. Le premier double-scénario pour L'Ultime Épreuve s'appelle Le Labyrinthe Magique & le Palais du Temps et la NEF annonce sa campagne Les Îles Flottantes. Gallimard commence la traduction des Livres Dont Vous Êtes Le Héros avec Le Sorcier de la Montagne de Feu.

    Dans les parutions étrangères, je remarque surtout Other Worlds de FGU (qu'ils présentent comme un juste milieu entre la simplicité de Star Frontier et la complexité excessive de Space Opera), et des suppléments de ICE pour les Terres du Milieu, Northern Mirkwood et Southern Mirkwood. Casus fait toujours de la publicité pour leur ancien "parrain" le magazine britannique White Dwarf (en donnant la couverture de WD #47 et le sommaire de WD #48).

    [Petite parenthèse qui va plus loin dans le nombrilisme.

    Je ne commente jamais les parties Wargame mais comme ce numéro parle d'Amirauté (le jeu de combat naval de la Seconde Guerre mondiale), je me souviens qu'à l'époque, je lisais même les récits de partie et que j'avais donc essayé de reconstituer ma propre version du jeu uniquement d'après le compte-rendu de ces numéros.

    Cela ne va sans doute intéresser qu'une poignée de Lorrains mais comme c'est avant tout de la nostalgie, je ne peux pas (non, non, vraiment) ne pas recopier cette publicité pour mon premier magasin de jeux, Les Trois Aigles de Nancy.


    La boutique était assez isolée dans un entresol du Centre commercial du Saint-Sébastien et ils avaient surtout des figurines de plomb et des wargames (Jean-Marc Delorme d'Oriflam ne fondera la boutique Excalibur de la Rue de la Commanderie que l'année suivante). C'est aux Trois-Aigles que je suis vraiment tombé amoureux des jeux de rôles. J'y ai acheté cette année-là Légendes et plus tard mon premier jeu en anglais, Runequest (2e édition, version Games Workshop). Je passais aussi des heures à saliver devant le très petit nombre de jeux de rôle qui me semblaient tous inaccessibles. Dans mon souvenir, ils n'avaient quasiment que Warhammer 1e édition, qui était encore à la fois jeu de rôle et jeu d'escarmouche, le livret de Tunnels & Trolls en petit format (je présume que c'était la 4 édition) et la boîte de World of Greyhawk, avec quelques modules AD&D. Mais il se peut que ma mémoire soit sélective.

    Fin (provisoire) de la parenthèse nombriliste.]

    Martin Latallo (l'auteur des si bons scénarios des numéros 15-17) fait aussi un portrait de Car Wars, le jeu de Steve Jackson Games, alors que Jean-Pierre Pécau (de Jeux Actuels) fait ensuite un portrait de Battlecars, la mauvaise imitation de Car Wars par Games Workshop qu'il venait de traduire. Ils avaient peut-être des contentieux entre eux, quand on se souvient que Jean-Pierre Pécau co-écrira en 1985 avec François Marcela-Froideval la lettre d'insultes contre Martin Latallo dans Casus Belli n°25 (parce que Latallo avait osé écrire dans son comparatif des jeux d'heroic fantasy que D&D était désormais un jeu dépassé).

    Mini-Jeu : Pour l'Amour d'une Reine, par Jean-Charles Rodriguez. Inspiré par la Carte du Tendre de Madame de Scudéry. Chaque personnage (qui répartit 7 points entre deux caractéristiques Séduction ou Discrétion) tente d'éviter les Patrouilles et de séduire la Reine dans la ville de Passion. Chacun peut aussi tenter d'envoyer les Patrouilles sur ses rivaux et la Reine peut être séduite successivement par plusieurs prétendants (à condition de faire plus sur son jet de Séduction que le précédent). La carte du jeu n'a pas repris directement les détails de "Tendre-sur-Inclination". La Cité de Passion-sur-Tendre est entre les Rochers de la Discorde et l'Île de la Solitude, entre le Fleuve Amour, le Lac du Désespoir, le Désert de l'Habitude et les Monts de Venus. Les pions des sigisbées sont dessinés par Didier Guiserix en bellâtres ridicules et la Reine semble aussi dénuée de beauté.

    Devine qui Vient Dîner ce Soir : Il y a surtout des idées de sorts ou d'objets magiques cette fois, mais aussi le début des voyages de Zormilius avec une créature sans caractéristique, le Crarbre (un être à tentacules qui se cache à l'intérieur de tronc creux et laisse sortir ses appendices par les fentes pour saisir ses proies).

    Runequest : L'expérience préliminaire est un article de Denis Gerfaud qui reprend les règles dans les appendices de Runequest 2e édition sur la création de personnages entre 16 et 21 ans. On vieillit donc très peu le personnage (par rapport à Traveller par exemple) mais il peut avoir appartenu à des Mercenaires, être devenu Voleur ou bien apprenti d'un Alchimiste (à condition d'être accepté). Les personnages débutants étaient tellement faibles dans Runequest que ces règles étaient indispensables. Cela permet aussi d'acquérir des sortilèges. Runequest 3e édition a une version plus simple qui dépend de la classe sociale des parents mais les compétences demeurent assez basses. Une des idées de RQ2 que j'aimais bien était que le personnage pouvait aussi commencer avec des dettes pour acquérir des sortilèges, mais cela donnait encore trop d'importance à l'argent dans le jeu.

    Les Cavernes du Pied du Bouc de Denis Gerfaud est sans doute le premier scénario publié pour Runequest en français. Il est situé près de Wilm's Church en l'an 1601 Solara Tempora, juste avant la chute du Royaume de Sartar devant l'Empire Lunaire. Pour ceux que cela intéresse, Wilm's Church était traduit "Temple de Wilm" dans la version Oriflam et il y a maintenant un plan "officiel" de Wilmskirk dans le nouveau supplément Sartar: Kingdom of Heroes, p. 240 (confédération des tribus Balmyr, Locaem et Sambari).

    Denis Gerfaud a en fait recréé son propre "Sentier des Pommes" pour une introduction à Glorantha. L'aventure ressemble à une fusion simplifiée d'Apple Lane, avec des touches de Snakepipe Hollow (un tout petit peu de Chaos). Il a donc créé un petit village nommé Hammerhill (pourquoi le mettre en anglais s'il l'a créé ?), à 20 kilomètres au sud de Wilmskirk. Le magazine d'Oriflam Tatou a fait quasiment de même avec son village de Bondhos dans son n°1 (avant que Greg Stafford ne leur indique qu'il avait déjà cartographié le moindre kilomètre carré de Sartar...).


    On remarquera une ressemblance entre le Pied-de-Bouc à côté de la Colline au Marteau et l'Empreinte du Pied de Larnste près des Bois du Chaos, plus au sud en Heort.

    Il faudrait peut-être réadapter un peu Hammerhill si on veut tenir compte de tout ce qui a été ajouté depuis sur Glorantha. Voilà un fragment des alentours de Wilmskirk dans le supplément Dragon Pass ( © Greg Stafford & Issaries Inc 2003).

    La Rivière mentionnée peut donc être soit la rivière Chorms (qui coule vers le nord, vers le mystérieux étang de Kjartan), soit Bran Creek (mais on serait alors en territoire Locaem avec Owlstead). Halfort est un fort des Balmyr. Roadend est un fort volsaxi.

    Le chef de Hammerhill, Salikas, est Prêtre d'Issaries, le Dieu des Marchands. Cela peut un peu être décalé, maintenant qu'on sait que 80% des Sartarites adorent directement Orlanth. La "Colline du Martel" est peut-être avant tout un Marché ou une sorte de Foire locale près de ce Gué. La tribu des Balmyr a une réputation de négociateurs et de scaldes, et les Sambarri d'être avant tout d'avides marchands (qui pratiquent d'ailleurs l'esclavage, font payer des douanes pour passer le Gué et adorent surtout Hedkoranth la Pierre-Foudre). Il n'y a qu'un petit sanctuaire des Sept Porteurs de Lumière, occupé par des prêtresses de Chalanna Arroy (comme dans le Sentier aux Pommes). L'Auberge de la Marmite Généreuse serait tenue par un Initié d'Elmal, et plus de Yelmalio (cet elmali "Poivre d'Or" est peut-être aussi un maquignon qui tient des écuries), ce qui peut d'autant plus se justifier qu'il y a un Temple du Dôme d'Elmal pas très loin à l'ouest et pas mal d'Uz et de Kitori dans les environs avec le Bois des Trolls au sud.

    Le hameau est perturbé par des réfugiés de la guerre contre l'Empire Lunaire (dont les personnages-joueurs). Une bande de Trollkins vient d'enlever Luda, une Guérisseuse de Chalanna Arroy et demande une rançon. Les prêtresses de Colline-au-Martel ne peuvent rien payer mais propose de dédommager les aventuriers en leur enseignant des sorts de Soin ou des compétences de Traitement des poisons. Il y a aussi un petit groupe de bandits Durulz dirigé par Qwack, un mystérieux monolithe des Dragonewts et quelques créatures chaotiques qui errent dans le coin (mais contrairement à ce dont je me souvenais, le Pied-du-Bouc semble avoir été nettoyé de tout Broo ou de toute trace morbide de Malia).

    [Parenthèse nombriliste II : je me souviens avoir joué ce scénario à Nancy alors que je n'avais pas encore Runequest. Je m'étais donc basé entièrement sur les données du scénario (et les articles précédents de Denis Gerfaud) pour réimaginer tout le système et le monde de Glorantha (en prenant divers PNJ pour les joueurs comme je n'avais pas assez de règles de création de personnage).]

    Questions de survie est un scénario pour L'Appel de Cthulhu, par Jean Balczezak (de la revue toulousaine Runes). Cela me paraît un peu simple (surtout comparé à la merveille d'atmosphère de "Nocturne pour violon" dans le n°17). En gros, on retrouve un homme mort de peur près d'un bois du Massachussetts, les enquêteurs doivent donc étudier la région et découvrir une secte locale d'immigrés bavarois qui cherchait l'immortalité et n'a obtenu qu'un substitut plus cruel.

    Invasion sur Crystalya-5 est un retour de Lionel Tenneroni pour Space Opera (voir n°14-15). C'est un peu le degré zéro du scénario avec une invasion de Bugs sur une planète et les personnages doivent aller jouer à l'Exterminateur en butant des insectoïdes à travers des salles d'un tunnel. Oui, un peu du Space Hulk mais sans Space Marines. La réputation de Space Opera d'être concentrée sur la SF la plus militariste et "bourrine" a dû en sortir renforcée, c'est un peu réducteur (même si les scénarios officiels vont tous aussi dans cette même direction).

    L'Herbe de Lune est un module de Denis Gerfaud pour AD&D (en théorie "Niveau 3"). L'aventure se déroule à Glenor, à l'est d'Ystaad, dans le monde d'Alarian (exploré dans le n°13, et avec des scénarios dans les numéros 14 et 16). Les aventuriers sont recrutés par un marchand pour trouver un remède qui guérira sa fille, frappée de langueur devant la Lune (il aurait peut-être pu ne pas l'appeler Séléné). Un magicien les envoie donc vers le Palais des glaces où trouver l'Herbe de Lune. L'originalité du Palais des glaces est qu'il appartient à un Dragon blanc mélomane nommé Adaggio et que tout n'y est que luths et violons (un peu comme une version qui dit que la Questing Beast arthurienne est amatrice de musique). Le groupe (qui est censé être débutant) aurait donc vraiment intérêt à avoir un Barde parmi ses membres s'il veut espérer parlementer avec le Dragon. Au passage, il y a une énigme musicale sur une partition que je n'aurais jamais réussi à résoudre.
    Denis Gerfaud a ensuite remis cette "Herbe de Lune" comme une sorte de drogue magique dans Rêve de Dragon et l'aventure a une partie de l'humour poétique de son univers.

    Il y a donc 4 scénarios au total grâce à l'augmentation du nombre de pages (+15%). C'était la première fois que Casus Belli livre plus que deux modules. Mon favori subjectif est bien entendu "Les Cavernes du Pied-du-Bouc" mais il faut reconnaître que le donjon musical du même auteur est légèrement plus original.

    jeudi 22 décembre 2011

    [JDR/OSR] Le Château des Sortilèges



    Le premier jeu de rôle français original et sous boîte est sans doute L'Ultime Épreuve (1983) mais on a une première ébauche de jeu de rôle dès le magazine Jeux et Stratégie n°4 (août 1980). C'est trois mois après Casus Belli n°1 et avant le premier scénario, Le Château des Sphinx, qui n'apparaît que dans Casus Belli n°2 de novembre 1980. François Marcela-Froideval a fourni en encart ce petit jeu de société qui était une simplification de D&D. On peut le trouver scanné en format image sur ce blog

    Le Château des Sortilèges a une carte, avec un chemin allant d'un village vers le Château de Doom et divers sites qui ne sont que décoratifs sur la carte (quelques ruines). Le jeu n'utilise que des dés normaux à six faces (plus le "d3" en le divisant par deux). Il n'y a pas de "niveau" et donc pas de progression possible. Il est prévu qu'on puisse y jouer à deux avec chaque joueur qui contrôle une équipe de quatre personnages.

  • Création de personnage
    Il y a quatre classes de personnages : le Guerrier (2d6+1 Points de vie, Pour être touché : 5+ sur un dé), le Clerc (1d6+1d3, Touché sur 4+), le Voleur (1d6, Touché sur 4+) et le Magicien (1d3, Touché sur 3+).

    Chacun a aussi une arme. Le Guerrier a l'Épée (1d6 dégât), le Clerc a la Massue (1d6 aussi), le Voleur a l'Arc (1d3) et le Magicien la Dague (1d3).

  • Capacités spéciales
    Comme le combat, tout se fait avec un seul dé et il faut faire plus qu'un seuil sur 6 (Le Château des Sortilèges a donc déjà une sorte de "système" d6 plus intégré que les divers systèmes de D&D où il faut jeter 1d20 pour le combat, 1d6 pour l'initiative ou la surprise, 1dX pour les dégâts, 1d100 pour les capacités de Voleur).

    Le Guerrier n'a aucune capacité spéciale. Mais il a entre 3 et 13 Points de Vie !

    Le Voleur peut détecter les pièges (et une Porte secrète) sur 5+. Il peut ensuite désamorcer un Piège sur 3+ (s'il échoue en le désamorçant, il en sera donc aussitôt la première victime).

    Table des Pièges
    1 Trappe (Dégâts 1d2)
    2 Fléchette (Dégât 1d3)
    3 Flèche empoisonnée (Dégât 1d3+1)
    4 Pierre (Dégât 1d6)
    5 Le Piège ne fonctionne pas (mais la Table dit de relancer, ce qui laisserait peu de répit)
    6 Explosion (Tous les personnages perdent 1d6)

    Le Clerc peut (hors combat) soigner une personne en faisant 5+ au dé, +1d6 Points de vie récupérés. Il peut aussi tenter de dépétrifier la victime d'une Méduse (s'il fait 6 au dé - il peut recommencer tous les trois Tours).

    Le Magicien a deux sortilèges : Sommeil (qui ne marche que sur 5+ et qui n'est utilisable qu'une fois tous les 5 Tours, durée du sort : 2 Tours) et Feu (qui ne marche que sur 6 au dé - les règles ne précisent pas les dégâts mais je pense que cela doit faire 1d6).

  • Les Combats
    Lors des déplacements, à chaque case, on tire 1 dé. Et selon le type de case, d'après le résultat, on peut tirer un pion Monstre ou bien deux ou trois pions (qui peuvent aussi inclure des pions Trésors).

    Pour fuir, le groupe lance 1d3 pour le nombre de cases parcourues. Si cela est supérieur à la capacité de mouvement du Monstre (qui est entre 0 et 4), le groupe a réussi à fuir, sinon il est rattrapé et le Monstre a l'initiative. Même dans le cas où le groupe n'a pas fui, il peut perdre l'initiative face à certains monstres, comme le Balrog (Mouvement 4) et il ne sert donc à rien de tenter de fuir devant ces créatures.

    Je ne vais pas recopier tous les Monstres (les illustrations sont quasiment tirées de celles du Monster Manual sorti en 1977). Il y en a 20 (Balrog, Centaure, Chimère, Démon, Dragon, Fantôme, Géant, Loup-Garou...) mais certains (notamment les Gobelins, les Orques et les Squelettes) sont nettement plus fréquents en nombre de pions que d'autres.


    Le Gobelin a 2 PV, dégât 1d3+1, il est touché sur 3+ et a un Mouvement de 1. Le Squelette a 4 PV, dégat 1d3, Touché sur 2+, et a un Mouvement de 1. A l'autre extrême, l'unique pion Dragon a 15 PV, dégât 1d6+1, touché sur 5+ et a un Mouvement de 3. Autrement dit, vous n'avez quasiment aucune chance contre lui (même en réussissant à l'endormir pendant deux tours) et vous ne pouvez pas vous enfuir.

    Certains Monstres ont aussi des capacités spéciales, comme la Méduse, qui pétrifie si elle rattrape sa cible (voir le pouvoir du Clerc), ou la Chimère qui a deux attaques par tour. Il y a même un pion Sorcier, qui peut lancer Sommeil tout en se battant. Certains Monstres ne peuvent être touchés que par des Armes magiques et il faudrait donc les fuir tant qu'on n'a pas trouvé d'Armes dans les Trésors.

  • Trésors

    Il y a 5 types de Trésors.

    Les Armures magiques (contrairement à D&D où elles baissent la probabilité d'être touché) ont pour effet de réduire de -1 ou -3 les dégâts (ce qui peut être considérable dans un jeu où même le Dragon ne peut faire plus que 1d6+1 points de dégât).

    L'Anneau magique peut soit agir comme une Armure, soit endormir celui qui le porte, soit le rendre invulnérable au poison des pièges.

    Les Armes sont une épée +1, une épée +2, une dague +1 et une massue +1.

    Les Fioles peuvent être puissantes : elles peuvent rendre 1d6 PV, donner +1 aux dégâts et aux chances de toucher pendant 5 tours, permettre de s'échapper à coup sûr ou bien être du poison (les Fontaines du Château agissent comme des Fioles).

    Enfin, il y a des Trésors qui n'ont qu'une valeur monétaire (Pierres précieuses et Tas d'or).



  • Comme simplification de D&D, ce serait assez bien fait et la carte est jolie (le plan du Château en couleur est même superbe pour l'époque). C'est un jeu de plateau dans le genre de Talisman, Deathmaze ou d'autres simulations imitant le jeu de rôle. Mais pour un jeu de plateau, la part du hasard serait telle que cela aurait pu risquer de dégoûter certaines personnes. On n'est pas si loin d'un Jeu de l'Oie déguisé (comme dans beaucoup d'encarts de J&S d'ailleurs). Je me demande même à quel point cela a été assez testé.

    Sans la possibilité de croître en Niveau, le Magicien avec ses PV compris entre 1 et 3 et ses 66% de chance de se faire toucher à chaque attaque parait encore plus inutile que dans D&D, mais au moins il peut relancer son sort de Sommeil tous les 5 Tours et pas seulement une fois tous les 24h, ce qui est déjà un progrès par rapport à la "Journée de Travail de Quinze Minutes" de l'original.