Raphaël Enthoven était invité sur Canal+ pour parler des sujets de philosophie au baccalauréat. Il dit que cela pouvait être une bonne intro de parler de DSK pour traiter "Peut-on avoir raison contre les faits ?" (sujet 2 de S). Mais il devait plaisanter. Puis il a pris comme exemple les Indignés ou les manifestations en Grèce et tout espoir que la philosophie serve à clarifier les problèmes se dissipait.
Il parle aussi du sujet 1 de ES, "La liberté est-elle menacée par l'égalité ?". Il dit qu'il est dommage que les élèves de Terminale n'aient bien sûr "jamais entendu parler de Rawls" en Terminale. Ce serait en effet dommage il y a environ une douzaine d'années, mais non seulement de très nombreux manuels de philosophie de Terminale que j'ai sous les yeux parlent déjà de Rawls (même en classes technologiques), mais le débat (sur les théories de la Justice distributive) est même au programme des manuels de Sciences Economiques et Sociales en Terminale.
Cela dit, il est vrai que lors du débat sur la réforme Renaut du programme en 2001-2002 (qui fut finalement refusé par une très large majorité des enseignants), un des arguments discutables contre la réforme était qu'elle posait des questions (comme "Liberté vs Equité ?") en termes trop idéologiques, et "libéraux" (personnellement, j'étais plus inquiet à l'époque pour la baisse des horaires et non pas vraiment pour le programme). Mais on continue d'évoquer ces questions même si le programme ne le rend pas explicite...
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Il y a 4 heures
10 commentaires:
Le critère d'appréciation qu'utilise Enthoven est erroné : "entendre parler" est une formulation du siècle précédent, quand il y avait une limite physique à l'information, qui n'existe plus. Quand je vois les fiches de Cédric Eyssette, je me dis que le problème n'a plus rien à voir avec ce qu'il y a dans les manuels : un élève ou étudiant qui veut savoir ce qu'il faut savoir n'aura aucun problème à trouver la liste des auteurs et concepts à maîtriser.
Le problème tient beaucoup plus dans la compréhension et la mémorisation. J'ai un bon échantillon d'étudiants de première année en droit sous la main, que je m'apprête à revoir lundi pour les oraux d'introduction à la science politique. Si l'un d'eux me sort l'équivalent d'une "fiche Eyssette" sur le sujet, il aura 20/20.
Cela ne se produira pas parce que la mémorisation fait défaut, pour plein de raisons, mais surtout, je pense, par manque de compréhension. "À quoi ça sert ?" disent-ils, alors même qu'ils se trouvent quotidiennement désarmés dans des situations où Rawls fournit des clés de lecture et de compréhension.
À titre personnel, je pense que l'on se rend largement responsable de cette situation quand on soumet aux élèves ou aux étudiants des problèmes qui ne les concernent pas suffisamment directement. Quelle est la préoccupation immédiate d'un lycéen ? d'un étudiant de première année ?
Je retiens de mon passage dans les amphis de première année un vrai problème d'empathie : il y a un décalage très cruel sur ce point. "Bon sang, mais ils se foutent de l'Holocauste, des révolutions arabes, et même de leur propre situation dans l'espace socio-économique !"
D'un certain point de vue, c'est presque rassurant de rencontrer quelqu'un qui a l'air de se foutre éperdument de la terreur, de l'anomie, de la violence symbolique, de la domination ou de l'exercice illégitime de la force physique. On se dit : ils n'ont jamais connu un cas de violence familiale ; les trains ne partent plus vers Dachau ; ils sont satisfaits de leurs dirigeants. Mais lorsque l'on se dit ça, on se trompe sur tellement de points que l'on finit par partager leur échec.
Je me demande s'il viendra un jour une réforme des programmes qui donnera une inflexion vers plus d'empathie, et vers un meilleur partage des préoccupations.
L'empathie ? il n'y aurait pas comme un soupçon de pédagogie derrière cette idée ? (je blague à moitié) Mes cours de philo en terminale (1984-85) me passionnaient non par leur utilité ou par empathie envers le réel (de quel ordre ? culturel, affectif ?) mais parce que j'étais une friche intellectuelle disponible. J'étais disposé à recevoir cet enseignement particulier parce que ma raison souffrait d'être en vacance. Parce que des systèmes d'idée m'étaient révélés et éclairaient diffusément le monde de l'animal aveugle que j'étais. Une sorte de cogito permanent et renouvelé. La révélation d'un monde par ce qui l'écrivait et non ce qui le donnait comme tel.
Tant mieux. Et ?
Eh bien, qu'est-ce qui pourrait produire cette "empathie" dont vous déplorez l'absence et que vous semblez présenter comme un ingrédient dont le seul enseignant devrait avoir le souci pédagogique ?
Vous mettez l'apathie étudiante sur le compte d'un défaut d'expérience du tragique, mais en quoi ce défaut (questionnable par ailleurs) serait-il inédit ? Nous aussi n'avons vécu de la shoah que son onde de choc perpétuelle et le tragique, en général, que par procuration.
Bonne question. À l'université, j'ai deux obstacles immédiats : la forme du "cours magistral", qui n'a aucune valeur à mes yeux, et la notation par "copies" rendues, notées, oubliées. À mon sens, si l'on abandonnait l'une et l'autre, on aurait déjà beaucoup plus de chances de partager quelque chose avec les étudiants. Je ne sais pas si cela produira quoi que ce soit, mais cela conduirait, je pense, à autre chose que la parodie d'apprentissage et d'évaluation que représentent les examens actuels.
J'oubliais que vous aviez affaire à des étudiants en droit, susceptibles de présenter un profil "utilitariste" vis-à-vis de leurs études.
Non, ils sont encore très peu spécialisés en première année. Et j'enseignais aussi en AES. Je pense que l'utilitarisme se retrouvera dans toutes les filières à proportion quasi-égale.
> Fr.
Oui, mais a fortiori, le fait que les manuels publiés l'aient déjà intégré veut dire que c'est déjà dans la "doxa des profs". On se sent tous obligés de mettre un truc sur Rawls à cause du "Paradigme du Manuel".
Et je pense que les élèves tombent sur beaucoup de trucs moins bons qu'Eyssette (ou, pour les L1-L3, que François Loth). Dans un genre plus traditionnel, j'aime bien certains cours de philocours, mais Philo & Spiritualité est nettement plus inégal, avec un mélange de trucs vraiment pas mal et de passages... heu... singuliers.
Sur l'empathie ou la capacité à user de son jugement sur ses connaissances, il y a un temps de retard. Ce qui est ressassé scolairement gagne (parfois) du sens ensuite.
A quelles épreuves autres que des copies pensais-tu par exemple ?
Il y a parfois le risque de vouloir justement "impliquer" l'élève et qu'il se sente manipulé. Je crains toujours que certains élèves ne finissent par déprécier certains récits ou documents comme des topos pathétiques qu'on a voulu leur inculquer pour les "édifier".
Je me suis demandé quelle sorte de "jeu de rôle" pourrait avoir un effet en philosophie.
Aux USA, un jeu de Relations Internationales comme "UN Model Assembly" a l'air d'assez bien fonctionner pour faire comprendre à des élèves américains pour une fois un point de vue non-américanocentré (en plus, ça fait un clip vidéo excellent). En histoire-géo, je pense que de nombreux jeux pourraient être efficaces.
J'avais pensé à imiter un scénario à la Lord of the Flies ou Lost pour faire comprendre les théories du contrat social (par exemple, en distribuant des proto-contrats hobbesiens, lockiens, rousseauistes à développer), mais je ne crois pas que le temps passé pourrait se justifier par le gain dans l'intuition plus directe (et beaucoup ne verraient encore qu'un jeu abstrait d'ailleurs).
> Anonyme
Il n'y a pas nécessairement de conflit entre l'autorité du savoir lui-même et le fait de chercher des stratégies pour susciter la compréhension du public.
L'expérience ordinaire ou l'identification n'aidera pas tellement à s'intéresser au problème de la Substance ou à des questions très historiquement déterminées.
Quand je commente un texte qui évoque la Grâce (et cela apparaît assez souvent, pas seulement chez Pascal, mais aussi dans toute la pensée classique), je sais que cela ne va pas "passer", mais j'essaye de prévenir un minimum les blocages contre une question qui ne nous apparaît plus que comme un épisode historique. J'utilise alors une sorte d'historicisme pour tenter de faire comprendre que la question du Salut de l'âme a pu jouer (et joue encore dans certains endroits) un rôle plus important que notre propre souci sur la Santé du corps.
Je pensais justement aux simulations et autres expériences de pensée que l'on peut pratiquer à des échelles de réalisme plus ou moins sophistiquées.
Mais Anonyme n'a pas tort, l'enseignant n'est qu'une variable dans l'équation, et pour moi, les premières initiatives devraient consister à supprimer les obstacles à l'enseignement, avant même de penser à retoucher ce qui se fait dans les cours eux-mêmes.
L'idée initiale – que le programme fait "entendre parler" du contenu des matières – va de pair avec les autres traits de l'institution que je mentionnais : les amphis "couvrent les fondamentaux" et les notes "évaluent les connaissances". En théorie.
Pour les notions du programme, il faudrait déjà commencer par réécrire les cours autour de celles-ci. Ce n'est pas le cas dans beaucoup de matières qui suivent des plans historiques et/ou linéaires, et qui font passer l'abstraction en grande partie à la trappe.
Sur les fondamentaux eux-mêmes, ma remarque sur l'empathie visait le calcul faussé par les notes et le mode d'enseignement : tout est configuré pour que les étudiants soient principalement préoccupés par la mémorisation, se cassent les dents dessus, et passent la compréhension à la trappe au passage.
Mais n'y a-t-il pas un problème plus général avec la nature de la discipline concernée ? c'est peut-être conforter un dualisme grossier mais quelle est la place et, surtout, la destination des humanités en droit ou AES ? Sans doute précisément jouer leur rôle d'humanités dans un cursus en définitive technique. Le paradoxe, d'après ce que je comprends, serait leur passage au crible d'une évaluation quantitative dépendant directement de la nature technique de la discipline.
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