jeudi 24 août 2023

Far Away Land

Vouloir planifier ou systématiser l'humour est un peu contre-nature : certains jeux semblent faire trop d'efforts. Il y a des gags improvisés autour d'une table de jeu qui feront toujours rire les joueurs qui connaissent la référence singulière mais qui ne s'exporteraient pas très bien dans un jeu commercial. A l'inverse, il y a des jeux de rôle parodiques qui peuvent faire rire à la lecture mais je ne suis pas toujours certain qu'ils feraient tant rire en cours de jeu (je pense à Murphy's World  ou Tales of the Floating Vagabond même si je n'ai fait que les lire sans les jouer). 



Far Away Land (2014, édition révisée 2018) de Dirk Stanley n'est pas censé être seulement une parodie de jeu de rôle mais un vrai jeu qui doit pouvoir fonctionner en campagne tout en utilisant des éléments décalés sans se prendre au sérieux. 

Je suis même étonné à quel point les noms des sortilèges sont dénués de tout gag contrairement à T&T. Beaucoup de ses blagues me font sourire (comme le fait que les BugBears dans F.A.L. soient littéralement des Ours-Insectes au lieu de "croquemitaines" gobelinoïdes) mais je crois que je suis plus sensible à son style graphique (il est aussi l'illustrateur) qu'à ses clins d'oeil dans le monde. Le dessin si reconnaissable peut évoquer l'esthétique du webcomic Order of the Stick ou de dessins animés comme Adventure Time ou Rick & Morty. L'humour nonsense est qualifié de "Gonzo" et fait un peu penser à des comix indies psychédéliques des années 70's, même si l'auteur évoque davantage des références plus 80's à des dessins animés. 

Par exemple, j'aime bien des créatures comme les Sleptaurs (Centaures à six pattes comme Sleipnir), les Sloracans, des têtes géantes tirées du film Zardoz (1974), des hordes de clones de Lincoln brandissant des haches et partageant le même esprit (j'imagine que si l'on voulait adapter il faudrait plutôt quelqu'un de plus connu ici comme des clones de De Gaulle ?), les plantes tueuses dont les fleurs prennent une forme de clowns, les "Garl Snails", ces escargots géants qui portent un cerveau-poisson dans leur coquille translucide qui sert de cuve d'aquarium... Certains gags sont plus obscurs ou arbitraires comme ces Lièvres violets carnivores ou ce peuple cruel de Nonnes chevauchant des Grizzlies - je crains avoir aussi vu passer dans une illustration un Sosie d'Elvis Presley et je pense que tout Las Vegas me ferait trop sortir de la suspension of disbelief en cours de jeu. 


Système

6 points à répartir entre 3 caractéristiques : BRT (force+constitution), DEX et WIT (intelligence). 

HP = BRT +10 (11-13). Le nombre de Points d'Actions par Round est égal DEX +3 (4-6, attention : lancer un sort coûte 4 actions et une attaque en mêlée 3 actions). On choisit aussi 4 "avantages" ou "atouts" (Boons, qui sont en gros des catégories de compétences et donnent des +1 au résultat du dé). Un des avantages, Arcane, donne le droit à 2 sorts de Niveau 1. Les sorts ne distinguent pas Magie et Magie cléricale. Une "classe" n'est donc qu'un ensemble de ces avantages. On commence avec l'équipement lié à ses avantages + 10 pièces d'or. 

En dehors des Elfes ou Nains, on peut jouer de nombreux Non-Humains comme des Sleiptaurs (qui peuvent hériter de la mémoire de leurs ancêtres) ou bien un Poomkin (Coloquinte), qui peut se régénérer mais prend double dégâts du froid. Les Noknil (clones imparfaits de Lincoln) sont PNJ. 

Une idée que je n'avais jamais vue dans des jeux de rôle à Niveaux, est que F.A.L distingue l'augmentation des Niveaux (qui est automatique selon les sessions) et les points d'expérience qui sont acquis quand on accomplit un but plus précis ou qu'on a fait une plaisanterie particulièrement drôle. Chaque Niveau donne un +1 en HP et en Chance, plus une Action supplémentaire par round tous les 5 Niveaux. Les XP permettent d'acheter des Avantages ou de monter petit à petit une caractéristique. J'aime bien cette idée de conserver à la fois des Niveaux généraux pour simplifier sans avoir besoin d'un décompte méticuleux de comptabilité et des points plus "granulaires" pour des récompenses ponctuelles. 

Une autre règle géniale sur l'expérience est le "Montage d'Entraînement" (p. 182-185) où le PJ doit raconter comme dans un film en quelques scènes des épisodes elliptiques qui suggèrent son progrès dans un talent, comme un "clip" dont il choisit la musique. 

Système : Chaque point dans une caractéristique est 1d6 : on lance les dés de la caractéristique et on garde le plus élevé sauf les 6 supplémentaires qui font un +1 (obtenir trois 6 fait donc un résultat de 8). Le score à atteindre est entre 3 ou 7 selon la difficulté choisie par le MJ (la difficulté 5 a l'air standard). 

Le score à atteindre est souvent aussi égal à la caractéristique cible + un éventuelle avantage. Donc en combat un PJ qui attaque utilise BRT + Mêlée et doit dépasser le BRT + Mêlée de l'adversaire. Il y a plusieurs options tactiques dans les Actions à dépenser. 

Les dégâts sont égaux au dé de l'attaque plus la marge de réussite. Les armures soustraient simplement aux dégâts, à la BRP. On tombe inanimé à 0 HP mais on peut survivre jusqu'à - son score en Niveau. On guérit assez vite (1d6 HP par jour). 

J'ai déjà dit que j'étais étonné par la liste de Sorts très standards. La liste d'objets magiques redevient plus originale et "Gonzo". Par exemple, la Lavallière de Miniaturisation est d'une couleur atroce ("eye-gouging") mais permet de changer de taille. La Marionnette des Abysses doit être portée comme un gant et peut cracher des flammes démoniaques. 

Le livre a de nombreux systèmes originaux de créations collectives du monde ou des générateurs aléatoires de scénarios mais il propose aussi, ce qui est assez rare dans les livres OSR, un univers. 

Le point faible en est peut-être une mythologie assez peu développée. 

Les 7 Dieux originels, qui correspondent aux 7 plans, sont (1) la Triple Déesse, les Trioni Sora (créativité), Anora (colère) et Mara (justice), créatrice des Eléments, (2) Hom le Forgeron (créateur de la Matière - et des robots), (3) Le Germe (créateur de la Vie, et notamment de la végétation, mais aussi des Plans Gris où errent les âmes), Ramdous (créé par la Semence, p. 274) est le Gardien de l'Autre Monde pour le Germe et donc le dieu de la Mort. (4) Le Herensuge, dieu de la sagesse et de l'avidité (créateur des Dragons et du plan astral - pardon, de la "Bolgosphère"), (5) Skulrox, dieu de la force et de la tromperie, créateur des Abysses où il fut enfermé par Hom et la Trioni (6) Melckol, dieu de la Glace, (7) Moshnag, dieu de la Vengeance. 

Puis vinrent les mortels. Le Monde du Pays Lointain fut dévasté plusieurs fois par les guerres entre les Mages puis par l'invasion d'êtres extérieurs nommés les Boom qui furent arrêtés par les Olantas (des escargots psioniques géants). Puis vinrent les Soracans (les idoles volantes, têtes géantes sans corps) qui contrôlaient de nombreux prodiges de robots. Depuis que les mortels se sont coalisés contre les Soracans, le danger vient surtout des Nécromanciens (qui dans le passé furent arrêtés notamment par le courage des Orkas). 

Le livre décrit deux continents : Radroz et Karkoz. En Radroz, le nid des clones Noknil , le Cube Glorieux des Blonin, Terazot, la cité des Orkas, et Londol, la grande métropole humaine, sont au nord. Les épaves de têtes de Soracans sont au sud. En Karkoz au centre se trouve des fissures vers les enfers et l'ancienne cité elfique d'Ellyria ou Oxollo, la cité des Nonnes.  Il y a de nombreux gags que je n'ai pas compris ("Raintum", la ville post-apocalyptique, est une cité déplacée de notre planète Terre, mais je ne reconnais pas le nom). 

L'ennui avec ces nombreuses "plaisanteries privées" est que l'humour de F.A.L. peut paraître parfois assez hermétique et donc "abstrait". Mais on n'est pas nécessairement blasé directement par tous ces éléments excentriques. Si on retire les sonorités de nombreux noms propres et les illustrations, le monde est finalement étonnamment "sérieux". 

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