vendredi 20 décembre 2024

[Hârn] Le problème de Lythia

N. Robin Crossby (1954-2008), Britannique devenu Canadien, distribuait son monde de Hârn depuis 1983 par une compagnie canadienne de Tom Dalgliesh, Columbia Games (surtout connue pour ses wargames avec brouillard de la guerre). A la fin du XXe siècle, Crossby et Dalgliesh se disputèrent et Crossby créa sa propre compagnie, Kelestia Games, et après la mort de Crossby en 2008, sa fille récupéra même officiellement (selon le droit canadien, du moins d'après les sources que j'ai pu lire) les droits de Hârn et de l'univers de Kelestia (Keléstia est le nom de tout l'univers, Kèthîra le nom de la planète, Lýthia le nom du continent principal (en gros l'Eurasie) et le Venârivè la région occidentale de cette masse continentale (en gros l'Europe, le Proche-Orient et le nord de l'Afrique). 

Entre temps, Columbia Games, la compagnie de Dalgliesh, a quitté sa Colombie britannique, s'est installé aux USA, de l'autre côté de la frontière dans l'Etat de Washington. Tom Dalgliesh continue de publier (comme la dispute sur les droits reste confuse et qu'il avait participé à leur rédaction) les anciens textes sur Hârn. Au début du XXIe siècle, Kelestia Games ne publiait que de nouveaux textes sur ce continent de Lythia, et plus précisément sur Venârivè, comme la dernière édition du jeu HarnMaster s'est décentrée vers cette région. 

Il y a donc deux Lythia, une version ancienne (chez Columbia) et la vision nouvelle de Crossby (chez Kelestia).  


 

Il y a pour moi un petit "problème" de Lythia dont je ne vois pas d'équivalent pour d'autres mondes fantastiques. 

Hârn est une île. C'est "l'Île des brumes", île mystérieuse loin à l'ouest, à 150 km du continent de Lythia (ce qui n'est pas si loin, c'est à peu près la distance de la Corse ou de la Sicile au continent, mais Hârn est grande comme Madagascar). Sa place dépend donc de sa différence, du contraste avec Lythia. C'est un univers de "basse magie" où le fantastique est censé rester assez discret : on y accepte un peu de magie sur Hârn (il y a des non-humains, des elfes, des nains, des orcs, des titans demi-dieux, des monstres et des sorciers) mais on précise bien que c'est étonnant, marginal et exotique par rapport à Lythia. Lythia doit demeurer un peu réaliste, voire "banale" ou quasi-"réaliste" comme une Terre parallèle pour que Hârn paraisse d'autant plus en décalage. 

Les premières publications sur Lythia chez Columbia Games (comme Ivinia, Harbaal, Menglana, Shorkyne) étaient donc déconcertantes car la forte atténuation de la magie créait un cadre si pseudo-historique qu'on pouvait se demander à quoi bon en faire un monde imaginaire. Ce serait un peu comme un monde fictif pour ceux qui n'aiment pas les mondes imaginaires et je ne m'y voyais pas y jouer. Le fan de Hârn semblait donc vouloir qu'il y ait de tels domaines hors de Hârn seulement comme faire-valoir pour l'Île des Brumes, qui brillait d'autant plus comme anomalie que Lythia reste "normale". 

Mais Crossby a dû évoluer dans sa manière de jouer sur Lythia à force de la créer ou de l'explorer, car la magie y a connu une inflation au point que les publications actuelles sur Lythia (notamment comme la région du Venârivè ou le Royaume d'Emélrenè, la plus "hârnique") ont plus de créatures surnaturelles que les premières versions de Hârn (au point qu'il y a des coins avec tant de dryades et élémentaires qu'on pourrait être presque dans un monde medfan habituel). 

On est face à un dilemme dans ces publications médiévales fantastiques. Hârn avait une promesse de médiévalisme avec peu de magie et si l'inflation de la magie continue, Lythia semblera contredire ses origines et redevenir un peu plus "générique". Mais le jeu de rôle med-fan tend toujours à une inflation du fantastique dans les scénarios même si le cadre de départ prétendait être le moins magique. 

Le problème peut donc se reformuler ainsi : 

(1) si Lythia restait aussi peu magique que les impressions de départ, qui voudrait y jouer

(2) Mais d'un autre côté si Lythia devient plus magique, ne perd-elle pas un peu de son originalité

Un autre problème (mais cela pourrait être vu comme un avantage aux yeux de certains) est le fait que les dix dieux disparates de Hârn semblent assez "globaux" en réalité. La plupart des autres cultures retrouvent sous des noms assez proches à peu près les mêmes divinités. En termes gloranthiens, Kelestia est plus proche d'un monomythe même si les publications récentes le remettaient en cause (notamment sur l'histoire d'Ilvir qui ne serait pas que le petit dieu local mais une version d'un ancien dieu plus important de la forêt sur le continent, une sorte de Cernunnos déchu en force extraterrestre plus lovecraftienne).

[En passant, Glorantha me semble avoir un problème assez différent que Lythia : la Passe des Dragons y est si originale que le reste du monde paraît trop générique en comparaison. L'Ouest ressemble à l'Europe, l'Orient ressemble à la Chine, la Passe des Dragons est assez inclassable et on ne peut pas facilement donner un équivalent. ]

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