L'Astrée, l'énorme roman de 5400 pages de Honoré d'Urfé (1567-1625) paraît pendant 20 ans, de 1607 sous Henri IV à 1627 sous Louis XIII. Il a une histoire concentrée sur seulement quelques mois et il est pourtant impossible à résumer facilement avec ses centaines de personnages. Roman d'amour pastoral avec des récits enchâssés, romance avec des éléments de l'Orlando furioso, il a des éléments de parodie érudite, d'érotisme saphique avec voyeurisme ou triangle travesti (le seul moyen des personnages masculins de se rapprocher de celle qu'ils aiment est de se déguiser en femmes comme dans les comédies de Shakespeare) et des clins d'oeil anachroniques. D'Urfé fut du côté de la Sainte Ligue contre le Roi (et même contre certains membres de sa propre famille) et il mit une partie de lui-même, et se moqua obliquement de Henri IV par Euric, Roi des Wisigoths.
Peu d'oeuvres oubliées ont la chance d'avoir un site entier qui la détaille.
L'époque : Nous sommes censés être au Ve siècle, à peu près sous le règne de l'Empereur Valentinien III (419-455), à la chute de l'Empire romain, mais les noms sont grecs pour les personnages soit français du XVIIe pour les toponymes. On croise peu l'histoire en dehors de quelques allusions à Aetius, à Euric ou aux Francs de Childeric. Les personnages sont des "Gaulois" légèrement romanisés qui disent adorer encore en plus du panthéon romain "Thautates", le dieu unique qui recouvre les Trois Personnes, "Tharamis", "Hésus" & "Belenus" (j'avais parlé de cette théologie trinitaire là après avoir vu l'adaptation de Rohmer - où, en passant, j'avais d'ailleurs trop négligé la part importante sur l'androgynie en la réduisant au thème du Banquet).
Le lieu : Ces Gaulois vivent sur les bords du Lignon, dans la région du Forèz, entre le Puy de Dôme et les Gorges de la Loire (le territoire des Segusiaves, entre les Arvernes et les Allobroges, "Forèz" viendrait de "Feurs" et de Forum Segusianorum). La capitale du Forèz est dans le livre Marcilly le Chatel, qui serait une cité romaine (près de Montbrison et tout prêt du château de la Bastie de la famille d'Urfé - l'auteur dirigea la région du Forèz dans ces années).
Voilà une carte du Pays de l'Astrée réalisée par C. Mathevot :
La Dame de la Contrée de Forèz est la Dame Amasis, descendante de Diane, veuve de Pimandre (prince qu'on dit savant car il apparaît dans le corpus de Hermès Trimesgiste). Elle a eu deux enfants, le beau Clidaman et la belle Galathée. Sa cour est pleine de nymphes et de Druides de la Loire et du Forêz.
Le berger Céladon, tout de vert vêtu, fils d'Alcippe, aime Astrée (dont le nom symbolise la Justice descendue du Ciel sur la terre). Déguisé en femme "Orithie", Céladon a pu s'approcher d'elle au Temple de Vénus malgré l'hostilité de sa famille et lui a remis le prix de la meilleure des femmes. Il l'embrasse et elle sait qu'il n'est pas une femme.
Astrée le croit infidèle avec Phillis car il continuait de cacher son identité et elle le bannit à jamais de sa vue. Céladon tente de se suicider en se jetant dans la Loire mais va être sauvé par Galathée en son palais d'Isoure (qui n'est pas Issoire mais Chalain d'Uzore, juste au sud de Marcilly). Galathée avait entendu l'oracle d'un Druide disant qu'elle aimerait celui qu'elle trouverait dans la vallée du Lignon (le faux Druide était en fait Climanthe qui travaillait pour Polemas qui voulait ainsi séduire Galathée). Galathée veut séquestrer Céladon dans son château où se trouve la Fontaine de la Vérité d'Amour.
Le Druide Adamas sauve Céladon en l'habillant en femme et il devient la servante "Lucinde" puis la druidesse "Alexis" (nom de la fille d'Adamas qui est encore absente "au couvent" pour trois mois, ce qui fait que toute l'intrigue doit être résolue avant le retour de la vraie Alexis).
Celadon libéré construit un Temple d'Astrée et rencontre Silvandre, un ancien Forézien qui avait été enlevé enfant par des Burgondes et qui vient de s'enfuir de leur pays quand leur Prince a voulu le tuer parce que le Roi voulait en faire son héritier. Silvandre a reçu un oracle qu'il devra mourir pour savoir qui il est vraiment.
Il rencontre la belle Diane, fille de Celion. Diane fut mariée par sa famille avec Philidas, qui était en fait une femme, ce qui va créer un double triangle amoureux. Diane tomba amoureuse de Philandre (homme travesti en sa soeur Callirhée pour pouvoir approcher Diane) alors que Philidas tomba amoureuse de Callirhée (femme travestie en son frère Philandre). Philandre & Philidas moururent tous les deux en tentant de protéger Diane d'un barbare.
Silvandre tombe amoureux de Diane mais celle-ci ne peut épouser un enfant trouvé sans identité. Un oracle dit que Paris, le fils d'Adamas, "mariera" Diane et Silvandre est désespéré.
L'inconstant Hylas (qui tombe amoureux dans le roman successivement de quasiment tous les personnages) commence à poursuivre la jeune druidesse "Alexis" (Céladon travesti). Astrée devient ensuite l'amie de celle qu'elle croit être une druidesse et qui lui rappelle tant Céladon qu'elle croit mort. Astrée commence à être de plus en plus attirée par la druidesse, qui lui dit avoir été éconduite par son ancienne maîtresse, ce qui crée un second triangle amoureux fondé sur le travestissement.
Polemas veut enlever "Alexis" pour punir Adamas de l'avoir empêché de séduire Galathée alors qu'il convoite le Forèz. Il enlève aussi Astrée par erreur.
Une fois libéré, Céladon se bat contre Polémas et est blessé. Astrée découvre enfin que Céladon était Alexis mais n'arrive pas à lui pardonner.
Dans le dénouement heureux qui ne fut pas écrit par Honoré d'Urfé mais par son secrétaire, les quiproquos s'arrêtent enfin : les deux amoureux Astrée et Céladon tentent de se suicider à la Fontaine de la Vérité d'Amour et se réconcilient grâce au dieu Amour. Le Druide Adamas essaye de sacrifier Silvandre et voit alors sur lui la marque d'une branche de gui qui prouve qu'il est son fils enlevé par les Burgondes (anagnorisis). Silvandre peut enfin épouser celle qu'il aime, Diane, et Paris "marie" bien Diane mais en officiant le mariage avec Silvandre. Galathée va à la Fontaine de la Vérité d'Amour et épouse Lindamor, le rival de Polemas. Dans la comédie du mariage, Phillis aurait sans doute finie avec Lycidas, le frère de Céladon, avec lequel elle jouait au chat et la souris depuis le début.

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