Dans son long article "How Did Economists Get It So Wrong?" sur la macro-économie contemporaine, Paul Krugman commence par décrire l'état de la macroéconomie avant la Récession de 2008, qui semblait atteindre un consensus remarquable autour du paradigme "néo-classique" issu de Milton Friedman, renforcé par une hypothèse chère aux Financiers encore plus qu'aux économistes : "l'Hypothèse de l'Efficience des Marchés, selon laquelle, sans distorsion, les marchés peuvent se stabiliser aux "vrais" prix sans risque de bulles spéculatives.
La Dépression actuelle, en plus des désastres sociaux et économiques, a donc été aussi un choc épistémologique dans l'Idéologie des économistes. Depuis, Krugman décrit un conflit politique plus tranché qu'auparavant entre les Economistes d'eau douce (surtout concentrés dans les Universités des Grands Lacs comme Chicago ou Minnesota) et les Economistes d'eau salée (sur les deux Côtes, en Californie ou à Princeton et Boston). Les premiers restent fidèles à un modèle anti-interventionniste ultra-friedmanien et refusent tout retour aux hypothèses de Keynes sur les instruments pour sortir de la Récession. Ils peuvent même aller jusqu'à un attentisme qui considère que la Dépression serait une destruction créatrice positive et nécessaire. Les seconds sont revenus du modèle pur néo-classique vers un néo-Keynesianisme (que Krugman semble trouver encore insuffisamment Keynésien) et Krugman préconise aussi de tenir plus compte du nouveau courant dominant de l'économie comportementale pour éviter les abstractions idéalisantes sur l'Efficience des Marchés.
Le problème "épistémologique" est donc simplement redevenu partisan. L'équipe Obama, malgré des continuités évidentes avec l'ancienne équipe, avec Timothy Geithner ou Ben Bernanke, est nettement "eau salée" (et même Bush ou Hank Paulson au moment de l'effondrement avaient une attitude "eau salée") alors que les économistes d'eau douce fournissent maintenant des alibis sectaires au néo-"Hooverisme (oui, ou "Mellonisme") de l'Opposition républicaine.
Sur Crooked Timber, John Quiggin a écrit plusieurs posts sur l'étrange popularité de l'Hypothèse d'Efficience des Marchés depuis ce premier le 22 juillet. Yglesias dit qu'au-delà de la mode les spécialistes universitaires des finances avaient un intérêt bien compris à défendre une telle hypothèse. Encore une fois, on pense à la formule de H.L. Mencken selon laquelle l'économie aura du mal à devenir une science "libérale" parce qu'elle est trop utile aux pouvoirs pour pouvoir s'en affranchir.
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Il y a 9 heures
14 commentaires:
Je ne suis pas sûr que cela ne soit pas une "manoeuvre" de P. Krugman pour faire avaler la reconduction de Bernanke à la tête de la Fed et le choix des conseillers économiques de BHO.
Oui, la catégorie "eau salée" est en fait un peu large. Mais Krugman n'a pas caché qu'il était proche de Bernanke, qui l'avait recruté au Département d'économie de Princeton (et il soutenait publiquement son second mandat, comme "Dr Doom" Rubini).
L'article de Krugman est excellent. Mais je en comprends pas ton titre. "B.H.O" ?!? Keckeceksa?
@Inspector: Barack Hussein Obama.
Le pire est la raison que donnait le pourtant estimable Hendrick Hertzberg : l'appeler "BHO" pour sonner comme BHL (et non pas FDR, JFK ou LBJ)... (mais il y a aussi le fait que "B.O." ne va pas).
Oh, en passant, Bo, le chien des Obama, a sa page Wikipedia, comme Barney et Buddy !
Checkers, le chien de Nixon, est resté célèbre (et Kripke mentionne même son nom dans Naming & Necessity).
@Ratafee: Merci
Lire Krugman sur le New York Times, c'est un peu comme écouter O'Reilly factor sur Fox News, on sait de quel côté le gars va pencher, c'est clair. L'un est clairement "Liberal", l'autre est clairement "Conservative".
Robert J. Samuelson est moins orienté politiquement, je trouve.
@T. Lhote
Quel parallèle pertinent!
Rappelez moi dans quelle discipline O'Reilly a des compétences qui lui permettrait de prétendre à un prix Nobel?
Un meilleur équivalent de Krugman à droite serait peut-être Greg Mankiw (?), mais il a plutôt apprécié cet article.
On dit parfois que Keith Olbermann de MSNBC serait un équivalent de Bill O'Reilly à gauche mais Olbermann, quels que soient ses excès ou gimmicks agaçants, écrit mieux et est quand même infiniment moins menteur qu'O'Reilly. Pour trouver aussi malhonnête, il faudrait aller chercher dans un tract gauchiste simplificateur.
Attention sur la question des marché efficients, certaines versions "faibles" de la thèse disent simplement qu'étant donnée l'information disponible, il est impossible de battre systématiquement le marché. Autrement dit, même si je sais que l'immobilier est une bulle, comme je ne peux pas le vendre à découvert - ou avoir une stratégie qui gagne de l'argent systématiquement en pariant sur la bulle, il n'y a pas de raison qu'il revienne à l'équilibre. A la limite, cette version est tautologique et n'est qu'un aveu d'ignorance de l'économiste.
Pour la comparaison Krugman - O'Reilly, comment dire... euh.
Mankiw est effectivement un meilleur point de comparaison, même si je trouve que sa mauvaise foi est abyssale (mais c'est peut-être mon propre biais "liberal"). J'aime bien aussi Keith Hennessey (il a un blog), ancien conseiller éco de Bush, obsédé par l'équilibre budgétaire et plutôt un bon critique sur les questions du stimulus package et du plan de santé.
Je n'ai pas (encore) lu l'article de Paul Krugman. Sur l'Hypothèse de l'Efficience des Marchés, en revanche, j'ai lu ça, qui m'a l'air d'aller dans le sens du commentaire de Markss ci-dessus.
Krugman est politiquement un "liberal" et s'il se plaçait derrière ses titres et son autorité universitaire pour faire passer ses biais intellectuels, ce serait une forme assez méprisable d'escroquerie intellectuelle.
Donc lorsque vous lisez Krugman, je crois qu'il espère que vous êtes au courant des ses penchants et biais politiques.
Le débat politique est d'une autre nature, vous ne pouvez vous prévaloir d'être "plus intelligent ou plus instruit" que l'autre, ou alors vous ne prêchez pas la démocratie, mais je ne sais quel type de dictature que vous adorerez peut-être qu'on mette en place.
Les soit-disants qui ont le droit de réfléchir et décider et les autres...
Et j'espère aussi que vous avez conscience qu'une tribune dans un journal de quelques lignes est une contribution à l'opinion, une sorte de mini essai politique renouvelé régulièrement. Mais en aucun cas un travail universitaire...
Je ne crois pas que qui que ce soit dans ces commentaires défende une dictature des "Prix Nobel" !
Personne ne nie que Krugman est un Liberal au sens américain du terme, c'est-à-dire relativement interventionniste ou néo-Keynésien (mais en même temps anti-protectionniste et libéral sur le commerce international). Et même un amateur comme moi crois que ses articles du New York Times ne sont pas du même ordre que ses recherches.
Cependant, une comparaison avec un démagogue de Fox News comme O'Reilly était bien sûr polémique et n'insistait que sur le fait que dans les deux cas, l'idéologie des prises de position était "prévisible".
L'économiste Krugman peut paraître sélectif dans ses arguments mais cela ne le rapproche guère de la brutalité d'un présentateur comme O'Reilly. Le problème n'est pas qu'O'Reilly soit moins instruit mais le fait qu'il soit si fier d'afficher sa mauvaise foi.
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