J'utilise souvent des hyperboles pour parler des auteurs de jeu de rôle mais dans le cas de Greg Stafford, je pense vraiment qu'il est le plus grand auteur de tout ce medium.
Il y a de nombreux créateurs ingénieux (et de meilleurs auteurs pour ce qui est des règles ou des scénarios, comme Robin Laws) mais personne à part Stafford n'a apporté un univers aussi riche que son monde de Glorantha. Les autres mondes fictifs (comme la Terre du Milieu de Tolkien ou Tékumel de Muhammad Abd-al-Rahman Barker) peuvent avoir plus de détails cartographiques ou une linguistique infiniment plus développée (Tolkien et Barker étant tous les deux linguistes) mais aucun monde n'avait exploré la notion même de mythologie avec autant d'intérêt.
Greg Stafford a dit que la création fictive de Glorantha n'était pas seulement un divertissement ou un jeu de l'imagination mais au contraire participait d'une autre manière d'explorer les mythologies en général. Faire de la mythologie (au sens de l'étude des mythes) demande de construire des sortes de méta-récits, de composer des mythes sur les mythes. Max Müller (le mythe est une "maladie du langage", une phrase naturaliste qui a été personnifiée), Sir James Frazer (le mythe renvoie à un rituel magico-politique sur la fécondité), Georges Dumézil (le mythe reconstruit des catégories sociales de la pensée), Mircea Eliade (le mythe est renvoie à un rituel d'imitation d'une structure intemporelle dans le temps), Károly Kerényi & Joseph Campbell (le mythe renvoie à des structures psychologiques du récit initiatique), Claude Lévi-Strauss (le mythe découpe des structures sociales de différenciations) ou René Girard (le mythe condense un rituel de catharsis de la violence mimétique vis-à-vis de bouc-émissaires) avaient créé chacun des explications mythologiques des mythes et Greg Stafford a repris ce genre de modèles théoriques (surtout Eliade et les Jungiens, je le crains) pour son activité mythopoétique.
Stafford, né en 1948, était un hippie californien dans les années 60 et n'avait pas fini ses études (à Beloit College), mais il est depuis devenu prof d'anglais au Mexique et a même pris un diplôme de mythologie comparée.
Le portrait est fait son ami Allen Varney sur The Escapist :
"Roleplaying is one way for us to stimulate that mystery sense. Furthermore, its tropes activate all kinds of deeper curiosity and let us exercise both beneficial and gruesome fantasies that lie dormant in us. Choose anything from great heroics to serial murders - what greater opportunities do geeks like us have than to seek these while sitting at a table of friends? Are we heroes as a result? Nah, course not. But we are friends with shared thoughts, and that is good for the soul. And when we romp through those tropes, something deep inside is exercised - the mystery stirs."
La fin de l'interview est plus déconcertante puisque Stafford y reparle de sa propre mythologie "chamanique" personnelle et ses rencontres oniriques avec un totem Araignée (qui évoque assez directement l'énigmatique Arachné Solara dont la toile représente les lois du Cosmos sur Glorantha).
Il est curieux que deux de mes auteurs favoris comme Greg Stafford ou l'auteur de bd Alan Moore aient tous les deux emprunté ce chemin irrationaliste d'exploration de leur imaginaire chamanique. Ils récusent tous les deux le bric-à-brac du New Age mais on ne peut s'empêcher de penser que leur néo-hermétisme participe d'un même mouvement face au déclin des religions organisées et du discours moderne d'émancipation politique.
Stafford n'est pas seulement le créateur de Glorantha, il est aussi amateur de Thomas Malory et la Matière de Bretagne. Il a d'ailleurs eu une influence majeure sur le jeu de rôle en créant Pendragon, un jeu où les héros Chevaliers du Roi Arthur sont en partie guidés par leurs Passions, au lieu d'être complètement sous le contrôle des joueurs.
Ce Blog retrace depuis deux ans maintenant sa campagne régulière de Pendragon qui se déroule dans le Royaume de Lindsey (pendant plus de 50 années dans le jeu, de 488 à 543 A.D.), avec son épouse Suzanne (awww...). [il y avait aussi un blog pour la campagne précédente à Salisbury]
Allez, une chanson du groupe britannique Uriah Heep, The Wizard (1972).
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