dimanche 6 octobre 2019

wǔxiá & xiānxiá


Le Dénicheur d'Aigles

A cause de l'excellent jeu de rôle français Wulin, je viens de retomber dans le wǔxiá, la fiction d'arts martiaux avec sabres & chevaliers. Il y a plusieurs séries sous-titrées sur Internet, dont Shè Diāo Yīng Xióng Zhuàn (la Légende du Héros Chasseur d'Aigles, traduit généralement en anglais Legend of the Condor Heroes, alors que le condor est un oiseau du continent américain qui n'existe pas en Chine ou en Mongolie ??), par le célèbre Jīn Yōng (1924-2018). Il y a de très nombreuses adaptations, en films, séries-fleuves ou BD. Cela a l'air d'être presque les Trois Mousquetaires en Chine pour ce qui est de la notoriété, si ce n'est que cela ne date que des années 1950-60. Je regarde la série de 2017, facile à trouver sur YouTube, et la traduction a parfois même des notes de contexte utiles.

L'histoire se déroule pendant le déclin de la Dynastie Song vers 1200. D'ailleurs, la série ne dit jamais "Chine" ou "Hans" mais toujours "Empire Song". Comme toutes les fictions chinoises, il y a un aspect nationaliste sur la lutte entre les Song et le Royaume de Jin (qui sont les "ancêtres" lointains des Mandchous qui feront tomber les Ming avec la dernière dynastie Qing quatre siècles plus tard). Ironiquement, les Mongols de Gengis Khan sont plutôt considérés comme des alliés potentiels contre les Jin alors que ce sont eux finalement qui feront tomber les Song quelques décennies plus tard (dynastie Yuan). En passant, le jeu de rôle Wulin a choisi le même cadre temporel, entre cette série et Au bord de l'eau quelques années avant.

L'histoire est celle d'une amitié contariée. Le héros Guō Jìng était destiné par ses parents et amis avant sa naissance à devenir le Frère de Sang de Yang Kang (leurs deux prénoms Jing et Kang avaient même été choisis pour que "Jìngkāng" rappelle l'humiliation de l'an 1127 où les Empereurs Song avaient été vaincus et capturés par les Jin). Mais le Destin va perturber cette prédiction : leurs parents se feront tuer ou enlever, Guo Jing sera élevé dans la connaissance de son héritage en Mongolie et va devenir un héros droit, bien qu'un peu naïf, mais Yang Kang sera élevé à la Cour des Jins et sera corrompu par des rites & techniques maléfiques, à cause de son arrogance et de son désir de puissance. L'histoire suit leur destin parallèle, alors même que Guo Jing croit parfois possible de se réconcilier avec son Frère de Sang malgré toutes leurs divergences.

Un aspect que j'aime bien dans l'histoire est que Guō Jìng n'a rien d'un talent naturel. Il est décrit comme lent et peu doué mais persévérant, et c'est seulement par obstination qu'il finit par exceller alors que ses maîtres désespèrent toujours de ses capacités à apprendre. Il est au départ nettement moins doué que Yang Kang mais aura le mérite (avec certes une chance anormale) de le dépasser sans suivre le Côté Obscur. On dit souvent que la littérature épique occidentale a trop tendance à partir de Héros d'essence noble alors que les Orientaux peuvent être plus ouverts à l'idée de formation et de l'acquis par l'action. Ce n'est même pas un thème "socialiste" mais bien confucéen. Le Héros d'origine modeste (Guō Jìng est fils de paysan mais certes descendant du bandit Guo Sheng, un des héros d'Au bord de l'Eau) excelle par sa vertu et non par sa naissance ou son sang, même si le thème de la fidélité filiale et familiale est répétée sans cesse.

En revanche, la compagne de Jing, Huáng Róng, a peut-être le défaut d'être un peu trop parfaite en toutes choses, simplement du fait qu'elle est la fille d'un des plus célèbres maîtres et a pu obtenir ses secrets, qui vont des arts martiaux à la médecine.

Un autre thème récurrent des romans de Jin Yong est l'importance disproportionnée des Livres, ce qui fait penser à des reliques de jeu de rôle. Les Royaumes entiers peuvent s'entretuer pour obtenir un simple Manuel sur les arts martiaux (comme le Manuel des Neuf Yin, qui a corrompu Yang Kang mais que Guo Jing arrivera à lire sans y succomber).

 Xiānxiá

Le  xiānxiá est un autre genre très proche du wǔxiá. Mais alors que ce dernier a des héros qui grâce aux arts martiaux deviennent des chevaliers errants qui affrontent des fonctionnaires corrompus dans le monde du Jiānghú (Les Rivières et les Lacs) et du Wulin (la Forêt des Guerriers), le xiānxiá pousse l'hyperbole plus loin et a des héros qui deviennent des Immortels et affrontent des Dieux. La magie taoïste et la présence de super-Immortels est déjà présente dans les romans classiques de wuxia mais ici cela devient central et on n'est plus dans les mêmes enjeux humains. Les jeunes Chinois semblent apprécier particulièrement des Romans interminables de xianxia publiés sur le Web.

J'ai à peine commencé une autre série classée en xianxia, produite juste avant l'adaptation du Heros chasseur d'aigles, qui s'appelle Qīng Yún Zhì, en anglais soit Legend of Chusen soit Noble Aspirations, d'après un scénario populaire d'un auteur contemporain (et qui a déjà été adapté dans des jeux vidéos célèbres, Jade Dynasty).

Le héros Zhang Xiaofan a été recueilli par la secte Qing Yun des Nobles Aspirations, dont l'école est dans les Nuages au-dessus d'une montagne. Il est peu doué au départ mais en partie aussi parce qu'il cache certains secrets et il va devenir un des Immortels qui pourra assez cultiver son Qi pour partir en guerre contre les Démons qui luttent contre son école. 

Je n'ai pas trouvé cela très subtile du tout, comparé à la série précédente. C'est assez curieux parce que dans la littérature occidentale, je préfère le fantastique assez outrancier, voire des héros épiques à une fiction historique "réaliste" mais ici, je préfère le contexte un peu plus solide du wuxia pseudo-historique à cette histoire de superhéros si détachée de la Terre. La surenchère dans la puissance divine finit par paraître un peu kitsch.

Mais il faut quand même signaler qu'il y a un Dragon en 3D dans cette série, le gardien de l'école des Nobles Aspirations. Il n'est pas très bien fait comparé aux dragons occidentaux de Game of Thrones mais je suis très bon public dès qu'il y a un dragon dans une histoire. Surtout que le paradoxe du wuxia est qu'on parle de Dragons tout le temps sans en montrer jamais.

5 commentaires:

Pascal Martinolli a dit…

Legend of Condor Heroes est sa saga la plus reussie. J'avais reussi a trouve les premiers chapitres tarduits en amateur d'une autre saga de Jin Yong nommee Tien long ba bu (Demi-Gods and Semi-Devils) qui etait tres interessante. J'espere que l'engouement pour Jin Yong apportera des traductions (au moins en anglais).

C'est vraiment l'Alexandre Dumas de la Chine. Beaucoup de ses livres se repondent les uns les autres sur des centaines d'annees de differences. On peut voir comment telle ecole de kungfu evolue ou disparait.

Phersv a dit…

Oui, la Secte des Mendiants, avec son petit côté "Guilde des Voleurs" de jeu de rôle, a l'air de se retrouver même hors de sa propre oeuvre. J'ai hâte d'arriver au Retour des Héros au Condor, la seconde génération, qui a l'air encore plus intéressante.

On m'a dit du bien de la picaresque série Deer & the Cauldron (adapté en Duke of Deer Mountain ou Royal Tramp), où le héros a l'air d'être plus un trickster à la Jack Vance.

Pascal Martinolli a dit…

Pour un héros de type trickster, je conseille le personnage de Duan Yu dans Tian Long Ba Bu

Premiers chapitres ici http://www.spcnet.tv/forums/showthread.php/17474-Demi-God-Semi-Devils#.XaB5C0ZKjs0

Phersv a dit…


Merci !

Je vois que cela se déroule un peu avant dans la Dynastie des Song et qu'il y a à nouveau des Frères de Sang. Il a une obsession sur le thème de la Dualité.

(et félicitations pour ces recherches universitaires sur le jeu de rôle !)

Pascal Martinolli a dit…

Merci ça me fait plaisir!