jeudi 17 octobre 2019

La Raison et l'Antéchrist


Je crois que la plupart des Trumpiens sont rationnels. C'est ce qu'on pourrait appeler le premier type. Ce sont des gens de droite qui ont une vision cynique ou alors au moins très "machiavellienne". Ils pensent que tout le monde est intéressé, immoral et égoïste et donc que le fait que l'Agent Orange soit un escroc n'est pas très important car il ne ferait que manifester de manière plus flagrante ce que tout le monde désirerait faire. Pour parler en termes platoniciens, ce serait juste "Gygès qui ne voit pas qu'il a perdu son Anneau d'Invisibilité", le Bandit qui au moins a le mérite de faire à la vue de tous ce que d'autres dissimulent.

Ils sont tout à fait prêts à reconnaître de nombreuses tares du Tyran de Twitter mais ils les minorent ensuite en raison d'un calcul.

Pour ces soutiens calculateurs, ce qui compte est que le pouvoir (1) fasse des lois avantageant les riches (position du Parti républicain et de ses riches donateurs), (2) nomme des juges de droite qui continuent à consolider des précédents libertariens sur les armes mais théocratiques sur les IVG (pour la base militante), (3) mène une politique plus violente d'intimidation, d'humiliation sadique et de discrimination contre les minorités et notamment contre les Hispaniques (une partie importante de la base raciste).

Avec ces trois buts, Trump est aujourd'hui toujours majoritaire chez les Blancs et majoritaire chez les hommes américains même en incluant les minorités.

Si vous désirez ces choses et que l'enrichissement personnel de Trump ne vous dérange pas, alors c'est "rationnel en valeur" de voter pour lui.

Ceux-là se prétendent parfois choqués par ce que fait Trump (les prétendus "Nevertrumpers" qui trouveront toujours que même Biden est trop à gauche) mais c'est de la mauvaise foi car ils continueront à voter pour lui au finale "en se pinçant le nez". Ils ne sont pas dupes mais ils peuvent rationaliser que les gains justifient le pillage kleptocratique ou l'incompétence.

Il y a même des Evangélistes qui admettent que Trump n'est pas des leurs (ce qui devrait sauter aux yeux et ne même pas être sujet à débat) mais qui ont une sorte de théodicée pour dire que ce Roué libertin a reçu tel Saint Dismas une sorte de Grâce pour devenir l'instrument un peu malgré lui des vrais desseins du Créateur (qui se réduit globalement à un seul enjeu, l'interdiction de l'Avortement, avec à présent peut-être quelques innovations comme un peu plus de persécutions de transsexuels). 

Mais les électeurs de Trump que j'avoue ne pas comprendre est le second type.

Ce sont ceux qui croient sincèrement au premier degré que
(1) Trump est honnête, qu'il va "drainer le Marais" de la Corruption
(2) qu'il est intelligent, compétent, voire (si, cela existe) un Génie stable comme il le dit,
(3) qu'il se soucie vraiment du Peuple et du Bien de l'Amérique voire
(4, pour certains Evangélistes) qu'il est une personne pieuse, dévote et tout à fait conforme aux désirs de la base théocratique.

Là, on est dans un échec de la diffusion de l'information ou de la rationalité des croyances qui laisse abasourdi.

Dans la parabole du Grand Inquisiteur de Dostoievski, l'Inquisiteur fait l'éloge de l'hypocrisie pour des raisons hobbesiennes : il faut la tyrannie du pouvoir "positif" et non l'idéalisme abstrait du message évangélique. La majorité de l'Humanité a besoin de tyrans car elle ne sera jamais prête au fardeau de la liberté. Le Grand Inquisiteur serait du premier type d'électeurs.

Mais les Evangélistes qui se montrent enthousiastes et dévoués à la personne même de l'oligarque hédoniste et pécheur sont tout à fait prêt à soutenir l'Antéchrist directement sans qu'il ait même besoin d'en faire trop pour se présenter en vrai défenseur de la Foi. C'est un hérétique de l'Antinomianisme car ils semblent croire qu'il doit être d'autant plus authentiquement saint paradoxal par son dépassement de toute moralité commune. Notre Cité est tellement déchue qu'il faut suivre la voie du plus criminel pour "drainer le Marais".

Et là, j'ai du mal à comprendre comment les Chambres d'écho d'information peuvent permettre ce second type d'exister. J'ai vu une vieille dame expliquer qu'elle n'écoutait plus aucun média, car ils étaient tous de la propagande contre le Vrai Prophète, et ne plus se fier qu'à une seule source d'information : les rallyes de Twitler et son twitter. Big Brother is tweeting to you et son murmure raciste te consolera de toute la dégénérescence de la modernité.

L'Evangélisme protestant conservateur est obsédé par le discours apocalyptique et j'ai l'impression que l'Armageddon joue un rôle beaucoup plus central que pour les Catholiques (voir tout le discours sur la "Rapture" des Vrais Elus dont il n'existe pas d'équivalent même chez les intégristes catholiques). Ils ne cessent de dénoncer des Antechrists partout : Rome est la Prostituée de Babylone, le Pape est la Bête, Obama est l'Antéchrist.

Mais bien entendu, quand un voleur stipendié et amoral, qui trompe ses diverses épouses en violant ou en payant des prostituées, qui ne cache même pas qu'en lui, Mammon, tout est à vendre, quand un tel exemple d'élite new yorkaise ou hollywoodienne leur demande leurs suffrages, ils voient en lui l'Elu paradoxal et le Héraut du Christ-Roi. Certes, des doctrines aussi absurdes que la Théologie de la Prospérité (la richesse est un signe de Grâce) n'a pu que préparer la voie à cette abomination.

L'Evangélisme est donc une croyance particulièrement contre-productive, comme bien des Fondamentalistes et Fidéismes, à la fois la mythologie la plus préoccupée par l'Antéchrist et la plus susceptible de le suivre avec enthousiasme si jamais il venait à exister, la plus moralisatrice formellement et la plus prête à justifier l'immoralité dans les actes parce que la foi intérieure peut tout sauver.

4 commentaires:

賈尼 a dit…

« j'ai l'impression que l'Armageddon joue un rôle beaucoup plus central que pour les Catholiques ». C'est un euphémisme... je pense que les Catholiques se moquent complètement de l'Armaguédon. J'ai fait des recherches sur plusieurs sites encyclopédiques catholiques et en général il n'y a même pas d'article à ce nom.

catholic.com dit de l'Armaguédon que c'est une bataille « symbolique » alors que je pense que nombre de protestants américains y croient dur comme fer.

Elias a dit…

J'ai l'impression qu'au delà des rationalisations dans l'idiome religieux, les mécanismes affectifs sont déterminants. On est vraiment dans le triomphe du ressentiment : ils haïssent tellement la gauche que tout ce qui leur donne l'occasion de "boire les larmes" des gauchistes est bon à leurs yeux.

Fabien Lyraud a dit…

Quand certains pensent que le réchauffement climatique est une punition divine contre l'homosexualité. Des propos entendus dans la bouche d'élus républicain. Notamment lors de l'ouragan qui a frappé Houston en 2018, où un proche de Trump avait sorti que la catastrophe devait punir la vile d'avoir élu une femme noire lesbienne comme maire.

Phersv a dit…

> Gianni
J'étais surpris de la quantité de détails du livre de Révélation qui jouaient un rôle si prépondérant (les années de "Tribulations" qui ont donné toute une littérature d'exégèse pour savoir combien il y en aurait) alors que la théologie catholique a l'air de s'en moquer en effet.

> Elias
Cette culture du ressentiment (contre le bobo hypocrite et angéliste) est vraiment un universel occidental quand on lit les commentaires de tout site conservateur uni dans le désir réactif. La gauche a du ressentiment contre les Riches ou les Médias aussi mais cela me semble un peu moins central parce que l'extrême droite a plus intériorisé un catastrophisme revanchard.

> Fabien Lyraud
Santorum avait dit qu'il était impie de craindre l'épuisement de ressources non-renouvelables car cela serait supposer que Dieu n'a pas songé à mettre exactement la bonne quantité pour l'homme jusqu'à l'Apocalypse.

Michele Bachmann a déclaré qu'il était évident que le dérèglement climatique n'existait pas puisque Dieu promet à la fin du Déluge qu'il ne recommencerait pas.

La Modernité, en détruisant les dieux, laissent une mosaïque d'enclaves dispersées. Ces gens vivent dans un monde de significations théologiques qui commence à devenir presque impossible à comprendre.