vendredi 28 décembre 2007

Ὧραι



Je suis souvent sceptique sur mes propres convictions de gauche, ne connaissant strictement rien à l'économie et admettant l'infime possibilité qu'elles soient (presque) toutes fausses (en dehors de quelques principes, qui me semblent encore évidents, comme la supériorité de la méritocratie sur toute aristocratie héréditaire).

Par exemple, je suis assez agnostique sur les 35 heures. Elles ont créé environ 200 000 ou 300 000 emplois mais ont contribué à geler les salaires (en partie comme prétexte pour éviter une perte de compétitivité), c'est un sacrifice clair pour une fois des salariés en faveur des chômeurs alors que les arbitrages vont d'habitude dans le sens inverse. Mais il est vrai que les salaires réels stagnent déjà depuis le début de la lutte contre l'inflation dans les années 80 et que cela a semblé injuste à une partie des employés. [Pour que mon lecteur larroutouriste Goodtime ne me tape pas, je mets le lien vers Nouvelle Gauche qui faisait la critique des 35 heures du point de vue opposé à celui du Medef, disant que le choc des 35 heures était insuffisant.]

Mais sûrement, même celui qui pense que les 35 heures étaient inutiles, voire contre-productives ou du moins que la seconde loi Aubry (celle du 19 octobre 1999) avait des effets pervers (si je comprends les allusions de Piketty, même celui-là ne peut quand même pas penser qu'il serait légitime de supprimer tout court la durée légale du temps de travail !

Même le Royaume-Uni post-thatcheroïde a fini par l'accepter !

C'est pourtant ce que propose François Fillon, en allant jusqu'à réduire le temps de travail à une simple "négociation" individuelle entre employé et patron.

Il y a des cas où la prétendue liberté de faire contrat dissimule bien l'iniquité du rapport de force. Comme dit le vieil adage "chrétien social" de 1848, "Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime, c’est la loi qui affranchit." (le contexte originel de cette phrase célèbre est dans une défense de la limitation hebdomadaire du temps de travail, 52e conférence de Lacordaire, Oeuvres complètes tome IV, "Sur le double travail de l'homme", p. 494).

J'ironisais avant sur le fait qu'ils n'osaient pas revenir sur les 35 heures directement et préféraient jouer sur des subventions au travail supplémentaire. Mais là, ils ont détruit mon argument sur leurs réticences. Ils sont bien "décomplexés" : ce ne seraient pas seulement les 35 heures de 1998 qu'ils veulent remettre en cause, ce ne sont pas seulement les 40 heures de 1936, ce sont les premières limitations à dix heures de temps de travail le 3 juillet 1916 (seulement pour les femmes de moins de 21 ans) et la limitation à 8 heures le 17 avril 1919.

Ce n'est pas l'esprit d'un monome étudiant libéral d'il y a 40 ans qu'ils veulent "liquider". Entre la loi sur la laïcité de 1905 et les impôts sur le capital de 1914, on voit que leur vraie cible, c'est le rad-soc de la IIIe République. On comprend que l'immonde Estrosi fasse l'éloge du Coup d'Etat de 1852 (parce qu'il avait été entériné démocratiquement). Ils sont cohérents. Je pensais qu'ils rejouaient le Giscardisme en Farce, mais c'est plus haut qu'il faut remonter.

Certains "néo-libéraux" ne parlent que de "Réforme" (Etienne Mougeotte : "Le Figaro doit soutenir l'effort de Réformes d'un pays qui a vécu avec une cadence de sénateur") mais on voit bien ce que ce terme signifie. Ils peuvent ironiser sur le conservatisme des droits acquis, sur les tabous ossifiés de la sociale-démocratie, mais leur "modernisme" n'est que le fard d'une nauséabonde nécromancie.

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