dimanche 5 avril 2009

Palettes : La naissance de la perspective



La série Palettes d'Alain Jaubert est composée d'environ 50 émissions, le plus souvent d'une demi-heure, réparties en 15 DVD. Le 4e, intitulé La naissance de la perspective, contient trois études réalisées sur environ une douzaine d'années, le Polyptyque de Sansepolcro par Sassetta, la Bataille de San Romano d'Uccello et la Flagellation du Christ de Piero della Francesca, qui est un peu l'un des culminants de la série.

  • Stefano di Giovanni dit Sassetta (1392 - 1450) peint un complexe Retable pour une église franciscaine de Borgo Santo Sepolcro. Le Polyptique réalisé dans les années 1440 a été divisé et on n'a retrouvé que 26 panneaux sur un ensemble qui devait en compter le double, avec des portraits de la Vierge, du Christ et de ses Saints du côté des fidèles et une vie de Saint François d'Assise du côté des moines.

    Jaubert analyse surtout la reconstitution de ce puzzle avec des tableaux retrouvés sur toute la planète, de Moscou à New York, et sa simulation digitale est donc le seul moyen de reconstituer le Polyptyque tel qu'on pouvait encore le voir au XVe siècle.

    Il montre comment la Perspective apparaît dans ces panneaux, avec les reliefs des yeux et des chairs et des scènes d'intérieur avec jeu sur les lignes de fuite qui font converger vers la Vierge (qui elle, au contraire, détourne le regard vers l'Evangile) ou vers François d'Assise (où les couleurs montrent déjà un art du paysage qui va s'opposer à ce qui précédait).



    Dans une mandorle, Saint François marche sur les Péchés de Luxure, d'Orgueil et d'Avarice et lève ses stigmates vers les trois Voeux de Chasteté, Obéissance et Pauvreté.

    Jaubert en profite pour évoquer l'histoire des polyptyques en général, jusqu'à leur déclin quand la peinture quitte la dévotion publique dans l'Eglise. Il compare à la fin ce panneau où l'esprit défunt du Bienheureux Ranieri Rasini vient délivrer des prisonniers de Florence en planant au-dessus du sol avec un véritable comic strip et juxtapose même des cases de Superman (dessiné par John Byrne, je crois) au Bienheureux volant.

  • Paolo di Donno, dit Uccello (1397 – 1475) réalise la Bataille de San Romano aussi dans ces années 1440 et retrace pour les Médicis de Florence une escarmouche où le Condottiere Niccolò da Tolentino a battu une armée de Sienne.

    Là aussi les trois tableaux ont été dispersés, l'un est à Londres, l'autre au Louvre et le troisième aux Offices de Florence.

    Jaubert montre la virtuosité d'Uccello qui joue sur de nombreuses illusions pour troubler le regard et donner une impression de profondeur (il faut regarder par exemple ce "mazzocchio) et surtout de mouvement.

    Le tableau apparaît presque comme un des premiers films cinématographiques de l'Histoire avec une décomposition du mouvement des chevaliers dans leur charge. Si le polyptyque était une bande-dessinée, l'immense tableau d'Uccello est plus une sorte de dessin animé.

  • Enfin, Piero della Francesca (1415-1492), de vingt ans plus jeune que Sassetta et Uccello, est formé près de l'endroit où travaille Sassetta et sa Flagellation du Christ (vers 1455 ?) apparaît comme le Manifeste de la nouvelle Perspective.

    Jaubert consacre une double émission d'une heure au tableau, "Le Rêve de la Diagonale" (réalisé en 1993). Il commence par étudier le problème de l'interprétation historique des trois personnages à l'avant.

    L'un d'eux serait peut-être l'acheteur du tableau pour sa dévotion privée, et on y voit souvent une allusion à la Chute de Byzance en 1453, en raison du chapeau de Ponce Pilate (qui est celui de l'Empereur byzantin) et d'un turban turc sur celui qui est de dos. Le sens du tableau serait alors un Byzantin appelant des Puissances occidentales (sans doute des la famille Montefeltro d'Urbino) à la Croisade contre les Turcs et la Flagellation symboliserait alors plus précisément la souffrance de l'Eglise.



    Mais Jaubert, après avoir énuméré de nombreuses théories, abandonne comme indécidable ce réseau d'allusions historiques et entre surtout dans le sens allégorique par les Mathématiques, puisqu'on sait que c'est ce qui intéressait Piero della Francesca au premier titre, en dehors de tout contexte politique ou de son mécène.

    Il reconstitue par ordinateur toute la structure incroyablement détaillée de la géométrie du tableau, où chaque recoin de dalle, chaque marche, chaque ombre obéit à des contraintes précises (et où la lumière suit un angle tellement étrange que Jaubert déduit qu'il devait y avoir une maquette avec un éclairage venant entre les colonnes du Palais de Ponce Pilate). Les marches qu'on remarque à peine au fond sont faites pour que si elles se poursuivaient jusqu'au toit qu'on ne voit pas, on obtiendrait rigoureusement 28 marches, ce qui est conforme à la tradition sur l'Escalier emprunté par le Christ.

    Puis il donne une interprétation avant tout platonicienne dans l'esprit du Cercle de Marsile Ficin à Florence : les rapports du côté droit avec les trois figures humaines seraient irrationnels et illusoires alors que le côté à notre gauche avec la Passion du Christ suivrait des harmonies mathématiques si rationnelles qu'on aurait alors la Vraie Réalité Absolue par les Nombres, au-delà des illusions sensibles dans la Caverne de l'apparence phénoménale et des idoles. Le présent n'est qu'un reflet inconstant de cette scène absolue de la Souffrance de Dieu.

    Mais Jaubert en tire une sorte d'ambiguïté générale de l'Humanisme chrétien, comme sécularisation du Christianisme mais aussi essor d'un rationalisme qui va finir par vouloir dominer toutes ces analogies dans la mesure humaine. L'objet de culte de la Passion serait alors déjà celui de la sortie du religieux vers l'idole moderne de la Science.

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