jeudi 23 avril 2009

Catharsis et Pharmakos



Toute la planète s'est émue d'un télécrochet à la manipulation très efficace sur Susan Boyle (vue plus de 40 millions de fois !). Il y a une musique faisant monter un suspense autour du personnage, on nous présente une femme de province, presque quinquagénaire et d'apparence négligée, on l'humilie publiquement puis elle chante avec un don naturel étonnant le rôle de la pauvre Fantine (la Mère de Cosette) dans les Misérables et tous se mettent à pleurer en disant qu'elle était un "joyau caché", l'ange sous la laideur, tel le Silène socratique, et que nous avons tous été injustes avec elle, alors qu'elle comble en fait notre désir qu'elle contredise toutes les attentes. On sait qu'on est manipulé mais on se laisse manipuler, comme dans n'importe quelle fiction, bien que l'audition soit "réelle".

Comme le dit Ilona Simons, la mise en scène est très classique.


There's a Shakespearean purging here. We see an auditorium full of shallow people reject someone ugly. Then, we see her perform well. Then we, by way of independent judgment, embrace her. We feel proud of ourselves.

But let it be known that this is exactly the sort of purging--like eating the Eucharist or pledging routine apologies--that allows us to return to former patterns.

The set up (the ugly loser, the powerful man's false judgment, the ethical correction) was a way for superficial T.V. or for Simon Cowell to feel a little less guilty about himself.


Northrop Frye décrivait dans Anatomy of Criticism la fonction du pharmakos littéraire comme bouc-émissaire, soit dans la simple dérision dans le mode comique, soit au contraire pour porter notre compassion (les modèles dramatiques les plus réussis étant le romantique Quasimodo ou bien par exemple le phénomène de foire Joseph Merrick).

Mais après la purge de compassion et notre ressentiment contre ceux qui le persécutent, nous rejetons quand même le bouc-émissaire, tout en étant fiers avec complaisance de ne pas le faire. Nous l'apprécions d'autant plus que nous le repoussons inconsciemment, tout en se félicitant de lui avoir ouvert les bras.

3 commentaires:

Damien B a dit…

Étrange, de dire que Simon Cowell veut alléger sa culpabilité, alors qu'il veut évidemment alourdir son portefeuille...

Pour moi, l'évidence de la mise en scène n'apparaît pas plus clairement que dans cette vidéo:

http://tinyurl.com/c355zz

Anonyme a dit…

Ce qui frappe surtout ce n'est pas tellement le physique de S. Boyle mais l'incroyable vulgarité, à base de connerie et de mépris pour ce qui n'appartient pas à leur monde, de tous ces membres de jury et présentateurs (Anc & Dec!). Si cela fait aussi partie de la mise en scène, ils sont vraiment prêts à aller très loin pour gagner du fric.

Phersv a dit…

Oui, Paul Potts ressemblait beaucoup et avait d'ailleurs gagné.

C'est un peu toujours la même fiction de "Cendrillon".

Il y a une part de vérité quand même dans le fait qu'elle a un certain talent sans beaucoup d'entraînement.

Sur le ton condescendant des présentateurs, je me demande aussi quelle est la part d'un ton anglais sur l'accent "écossais".