La manifestation lancée par Jon Stewart a plutôt été un succès :environ deux fois plus de participants que le "Rassemblement prétendument pour l'Honneur" de Glenn Beck, qui était la cible parodiée.
Stephen Colbert était un peu pénible dans son rôle de Bill O'Reilly et il n'avait pas réussi à trouver le ton pour être en contraste sans tomber dans la lourdeur.
Le discours prononcé par Jon Stewart était plus habile dans son mélange d'humour et d'appel à la Raison, même s'il semblait toujours hésiter entre sa position d'humoriste et un moralisme de la Modération qui risquait toujours de se prendre au sérieux.
Le problème, comme l'ont relevé de nombreux Démocrates, est que cet appel "non-partisan" semblait commettre une autre erreur que Stewart dénonce parfois, celui d'une fausse neutralité qui renverrait dos à dos la paranoia violente des Républicains apeurés et certaines simplifications du côté démocrate.
On peut trouver les philippiques pontifiantes de Keith Olbermann excessives mais j'ai du mal à le voir en simple équivalent inversé de Glenn Beck. Olbermann peut faire dans l'emphase mais Beck joue vraiment la carte de la démence. Stewart faisait référence au Sens commun mais il n'y a rien de plus vague : Beck aussi parle sans cesse de ce qu'il appelle "le Sens commun".
J'aime bien la phrase "We can have animus, and not be enemies", mais lorsque Stewart semble dire qu'il faut pouvoir respecter le Parti républicain, il faudrait vraiment distinguer. On pouvait sans doute respecter de nombreux électeurs républicains mais ce qu'est devenu ce Parti dans sa fusion de fondamentalisme chrétien et de ploutocratie méprisante n'a rien de respectable. On peut "comprendre" les causes des Tea-baggers et n'avoir aucune estime pour cette instrumentalisation démagogique d'une révolte des serfs en faveur de leurs maîtres.
Add. : Celui-là est un chef d'oeuvre.
On annonce une forte avance du GOP à la Chambre des Représentants. Le Sénat devrait garder une majorité démocrate mais certains Sénateurs célèbres comme Russ Feingold du Wisconsin (Sénateur depuis 18 ans) pourraient perdre. C'est du gâchis comme Feingold, quels que fussent les défauts de son formalisme légaliste, était sans doute l'un des plus honnêtes et consciencieux de tous les politiciens américains.
Les élections de mi-mandat illustrent bien un Cercle vicieux ironique (au sens morissettien, bien entendu). Il est compréhensible que les électeurs soient déçus par le fort taux de chomage mais il est moins rationnel qu'ils pensent qu'Obama a augmenté les impots (il les a baissés pour 80% de la population) ou que son plan de relance a ruiné le budget (il a même rapporté, semble-t-il). Il aurait été à la rigueur admissible de reprocher à l'administration les influences des banques mais cela devient ridicule si c'est pour préférer les Républicains qui leur sont encore plus liés.
[De même, il y a un Cercle vicieux clair entre le Candidat permanent et le Président en France. Plus Badinguet s'amusera à déclencher quelques émeutes sociales et échouera dans son rôle de "Président de tous les Français", plus il pourrait en tirer un avantage immédiat de court terme aux élections de 2012 en réussissant comme d'habitude à faire oublier que son fameux "Bilan" sur la sécurité n'est qu'une fumisterie et que son bilan économique est plutôt calamiteux. Sa tactique de "clivage" rappelle son idole Bush-Rove en 2004. Le manque d'enthousiasme que nous pourrions ressentir pour un DSK permettra l'écart avec une base mobilisée sur la crainte des violences et qui se soucierait peu des injustices sociales.]
5 commentaires:
J'attendais avec impatience votre avis sur ce rally ô combien critiqué de toutes parts.
Bill Maher aussi avait contesté la légitimité d'un équilibrage faussement neutre entre les deux camps, et c'est vrai que l'on peut déplorer la modération de Stewart.
Il me semble pourtant que celle-ci fait partie intégrante du personnage : même dans sa célèbre (et géniale) tirade contre Bernie Goldberg (avec le gospel "go fuck yourself"), il commençait par concéder l'idée que peut-être la folie de Fox News se voulait de manière compréhensible en réaction au autres médias... J'ai l'impression que Stewart cherche par-dessus tout, à tort ou à "raison", à éviter de devenir (ou d'être perçu) comme un second Olbermann. Sa tentative pacificatrice est peut-être engluée par sa volonté d'équilibre, mais, d'un autre côté, elle recèle une critique telle des médias politiques et de leur rhétorique absurde pour être suffisamment précieuse.
Mais peut-être fais-je preuve de trop d'indulgence
PS : un bon article, élogieux
http://www.overthinkingit.com/2010/11/01/rally-sanity-fear/
Oui, Stewart (et son équipe) commettrait vraiment une erreur s'il devenait "partisan", ce serait moins drôle et en tant qu'humoriste, il a sans doute raison de ne pas tomber dans le piège. On se serait moqué d'eux s'ils avaient simplement appelé à faire barrage aux Tea-baggers.
J'ai un peu exagéré mes critiques. Si on ne prend pas le rassemblement trop au sérieux et seulement comme une satire de Glenn Beck, c'est vraiment une grande réussite.
Et certaines de ces pancartes des participants sont simplement brillantes d'inventivité et d'humour.
En revanche, si on suit vraiment le très beau speech politique de Jon Stewart, il n'y a plus seulement de l'humour mais bien une morale. Stewart est un moraliste et je n'ai rien contre puisque la Satire est toujours meilleure avec un angle moral.
Mais je trouve qu'il y a quand même des choses qui me paraissent d'un irénisme excessif.
[RANT MODE ON]
Par exemple, je peux comprendre l'appel à la civilité quand Stewart rappelle qu'on ne peut pas réduire tout Chrétien évangéliste à un théocrate fondamentaliste ou que tout Républicain n'est pas un Randien idéologue violent. C'est vrai.
Mais je ne vois pas pourquoi on devrait vraiment respecter, pour reprendre mon exemple favori, une religion particulièrement débile comme le Mormonisme.
Le Mormonisme est crétin, c'est une sorte de fait objectif, ou du moins aussi objectif que n'importe quel fait humain. Leur croyance n'est pas discutable ou peu justifiée, elle est simplement fausse (par exemple que les Indiens d'Amérique sont des tribus perdues d'Israel). Les gens nés Mormons n'y peuvent rien et il n'y a aucune raison de mépriser leur entendement, mais la tolérance ne changera jamais rien au fait que ce sont des dupes qui suivent Joseph Smith, un escroc du XIXe siècle où nous savons tous que c'est autant un escroc que L. Ron Hubbard (alors que pour les Trois Imposteurs habituels, ce sont des escrocs trop éloignés dans le temps pour que cela apparaisse de manière aussi évidente).
On peut dire que les citoyens devraient être plus "civils" et tolérants tout en continuant à dire que Olbermann ou Madow ne sont pas équivalents à Beck ou O'Reilly. Et je pense que le renvoi d'Olbermann à ce moment-là rappelle encore cette assymétrie.
Bonjour,
Je suis tout à fait d'accord avec vous concernant ces faits objectifs en général et le mormonisme en particulier (quoique personnellement, c'est surtout la perspective d'être converti post mortem qui me préoccupe), mais la question n'est-elle pas justement celle-ci, que d'un point de vue stratégique, une fois rejetés les extrémistes refusant de vivre dans une société libérale, il est plus productif, quoique un peu hypocrite sur les bords, de se comporter comme si on avait affaire à des gens raisonnables, afin, à défaut de convertir les plus irréductibles, de au moins les exposer dans leur refus de l'échange constructif, avec comme enjeu le ralliement des gens de bonne volonté ?
Précisons : je ne soutiens pas personnellement une telle position, j'essaie juste de recomposer celle de Stewart. Qu'en pensez ?
Tiens, il a commencé à répondre hier soir :
http://www.thedailyshow.com/watch/mon-november-8-2010/msnbc-suspends-keith-olbermann
Oui, et cette réponse m'a embarrassé parce qu'elle m'a plutôt convaincu en fait... Zut, damn you, discursive Reason!
Mes critiques étaient un peu ridicules et ne viennent guère que de l'amertume devant le timing avec la victoire des Tea Parties.
On n'a pas à attendre de l'humoriste Jon Stewart d'être une sorte d'Homme providentiel du libéralisme américain. Son angle d'attaque était sans doute bien plus efficace en surmontant un peu les biais de ses fans.
De mon côté, je retire également ce que j'ai dit : il semblerait que sa prise de position résulte, non d'un prudence ou d'un machiavélisme stratégique, mais d'une conviction personnelle contre l'ensemble des médias. C'est du moins ce qui se dégage de cette interview, très éclairante, assez surprenante. Je vous la recommande !
http://www.huffingtonpost.com/2010/11/11/rachel-maddow-jon-stewart-interview_n_782538.html
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