SPI, la plus célèbre compagnie de wargame de cette époque, obtint les droits de la série en 1980 et décida d'en faire une sorte de "jeu de rôle abstrait" (un peu sur le modèle de leur incroyable Freedom in the Galaxy de 1979, mais avec moins de personnages). Dallas The Television Role-Playing Game fut créé par le légendaire directeur de SPI et wargamer Jim Dunnigan. A ma connaissance, c'est la seule tentative de Dunnigan de faire un jeu de rôle alors qu'il a édité plus d'une centaine de wargames depuis 1966.
Chaque joueur interprète un des personnages de la série et il y a un arbitre, le Réalisateur. Il y a 9 personnages possibles (JR, Bobby, Pam, Sue-Ellen, Lucy, Jock, Ellie, Cliff Barnes, Ray Krebbs) mais on peut adapter les épisodes pour jouer à moins.
Chaque partie est un Episode où on passe d'une scène à l'autre et la boite comprend seulement 3 "Scripts de scénario" préparés.
Les intrigues des divers personnages ne sont pas nécessairement toutes liées entre elles, ce qui change des jeux de rôle, et les scènes se succèdent donc comme dans un épisode télévisé (selon la scène le Réalisateur peut décider s'il serait mieux qu'un joueur ne sache pas ce qui a eu lieu pendant cette Scène). Chaque personnage doit se servir de ses caractéristiques de Pouvoir (influence), Persuasion, Coercition, Séduction, Investigation et Chance, pour obtenir certains buts (Conditions de victoire) de l'Episode. La résolution des conflits est simple : chaque personnage a un score offensif et défensif et la chance de réussir (faire moins sur deux dés à six faces) est simplement la différence entre les deux scores. Un personnage peut aussi soutenir ou protéger un autre dans une scène.
Par exemple, JR (de loin le personnage plus puissant mais aussi l'un des plus isolés) a 20 en Persuasion (pour Agir) et le personnage non-joueur "Estaban Cruz" a 13 en Persuasion (Résistance). Il faut donc que JR fasse 7 ou moins sur 2d6 pour réussir à le convaincre dans une scène, sauf si certaines cartes lui donnent des bonus ou si au contraire un autre personnage majeur venait soutenir Cruz.
Le joueur qui a obtenu le maximum de ces objectifs à la fin de l'Episode est donc le "gagnant", sachant que les relations entre les personnages vont influencer le total des points : JR perd des points si son frère Bobby en gagne alors qu'au contraire Pam et Bobby peuvent se soutenir de leurs points. L'ambiance de la série me paraît vraiment bien simulée.
Là où chaque scène devient très abstraite est qu'il faut gagner une "carte" qui peut représenter aussi bien le contrôle d'un personnage mineur qu'un objet, une preuve ou le soutien de la presse ou d'un autre pouvoir. Deux personnages aux intrigues sans relation peuvent avoir tous les deux besoin de la même carte pour atteindre leurs conditions de victoire. On peut négocier, marchander et s'échanger ces différentes cartes. Certaines cartes permettent de lancer des attaques ou des enquêtes contre un autre personnage (par exemple, la carte FBI). Dans le premier scénario (qui à la lecture me paraît déjà plus politique que la plupart des épisodes réels), JR doit chercher à avoir le soutien du Ministère de l'Intérieur pour discréditer ses concurrents dans une affaire de réclamation des minorités hispaniques sur les propriétés des terrains.
Dallas a été un peu oublié et c'est plus un jeu de société "narratif" qu'un jeu de rôle mais ce qui me fascine est que ce serait l'un des premiers jeux de rôle où le conflit devient presque entièrement non-violent (même si certaines cartes permettraient aux moins honnêtes comme JR d'éliminer un personnage mineur). Il est fondé presque exclusivement sur la négociation et la discussion. En 1980, le concept me paraît assez révolutionnaire, même si on le retrouve dans de nombreux jeu de Grandeur-Nature (LARP). Cela préfigure ce qu'on appelle aujourd'hui des règles de "conflit social". Certes, le mécanisme est encore très rudimentaire et surtout fondé sur des choix stratégiques sur les cartes disponibles, pas tellement sur ce que dirait le personnage. Le Soap Opera pur de Dallas, plus encore que les jeux de superhéros (qui est du Soap Opera + du Combat), se prêtait donc à développer cet aspect agonistique plus métaphorique du jeu.
Add. Jim Dunnigan est depuis longtemps un commentateur assez "conservateur" sur les questions militaires et géostratégiques (il quitta SPI en 1980 pour "modéliser les marchés financiers"), mais en 1969, il édita un étrange jeu de société sur les émeutes estudiantines de Columbia (où il faisait ses études d'histoire), Up against the Wall, Motherfucker!, où les Radicaux et l'Administration luttent pour emporter l'adhésion de plusieurs groupes (Anciens élèves, modérés, minorités, etc.).
En France, le situationniste Guy Debord avait publié dès 1965 une sorte de Kriegspiel historique mais sans lien avec l'actualité. François Nédelec et Duccio Vitale ont réalisé un wargame, Mai 68 la Nuit des Barricades en 1980, mais qui ne prend pas en compte le facteur de "l'image" comme Up Against the Wall, Motherfucker!, seulement l'occupation du terrain.
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