Je n'ai pas l'esprit de contradiction mais l'enthousiasme actuel pour l'opération Odyssey Dawn m'étonne un peu. J'ai un peu honte de mon opinion car il paraît cruel et "indécent" de vouloir raisonner pendant qu'un régime mâte une rébellion. Il se pourrait que tout se passe bien si l'opposition est renforcée sans que l'intervention coalisée ne dure trop longtemps. Si on s'en tient à la résolution, elle semble très prudente en donnant plus de limites contre toute occupation au sol.
J'ai été interventionniste en politique internationale jusqu'à ce que les Casques Bleus massacrent, violent et tuent en laissant une Somalie encore plus déchirée qu'avant leur arrivée en 1994. La guerre peut parfois n'être qu'une option de dernier recours et il n'y a pas que des idéalistes candides qui pensent qu'elle ne sert parfois que d'exutoire devant nos frustrations. Je n'ai rien d'un pacifiste qui croirait que toute intervention sous égide de l'Onu serait toujours du néo-colonialisme impérialiste (les bombardements du Kosovo me semblent avoir été inévitables, par exemple, malgré toutes les conséquences).
J'ose espérer que je ne suis pas aveuglé par ma sarkophobie qui me ferait confondre la personnalité de l'exécutif avec la froide évaluation d'une politique (politique qui est d'ailleurs soutenue aussi par tout le monde sauf les partis d'extrême gauche et d'extrême droite).
C'est une bonne coutume de ne jamais être d'accord avec un "Réaliste" glacé comme Hubert Védrine (qui peut justifier tout et son contraire au nom de l'Intérêt ou de la Raison d'Etat) ou le sinistre ami des tyrans Roland Dumas, qui aime tant Gbagbo et Kadhafi. Et il paraît immoral de simplement concéder que nous devrions laisser les opposants de Benghazi se faire massacrer par le dictateur dérangé Kadhafi. Et on peut légitimement préférer le camp des opposants dans cette guerre civile libyenne.
Mais une guerre "juste" n'est pas seulement la satisfaction de notre désir de voir perdre un tyran. Ici, cette guerre est menée par l'entourage de Badinguet, ce qui serait déjà un gage suffisant d'irresponsabilité à courte vue et de prise de décision désordonnée et vaine. Mais même si c'était Bayrou, Royal ou DSK, la situation serait la même.
Nous pouvons certes mettre en place une zone d'interdiction aérienne. Si nous en restons à peu près là et ne sommes pas limités à une coalition des puissances franco-britanniques, il n'y aura peut-être pas grand mal. Ce genre de menace a pu conduire à une partition de fait en Irak et sauver des Kurdes. On pourrait encore imaginer que la menace de la Résolution 1973 conduise à des négociations.
Mais le droit international, comme le disait la France en 2003, n'est pas qu'un instrument de protection de la souveraineté des tyrans, même s'il aurait laissé Saddam Hussein gouverner. On ne va pas jouer au cas par cas autour des décisions internationales. Ici, ce droit ne nous autorise pas à choisir de soutenir directement au sol telle mouvance de la junte à Benghazi contre la clique de Kadhafi.
Donc s'il y avait une guerre de plus, en plus de celle en Afghanistan, cette guerre serait mal engagée, brouillonne et sans but clair. Du Badinguet en somme. Nous avons tant soutenu Ben Ali quand il perdait qu'il nous faut donc bombarder Kadhafi quand il semble l'emporter.
A part des idiots criminels comme Calixte Beyala ou Chavez, ou bien quelques dictateurs craignant la contagion, tout le monde se serait réjoui que Kadhafi et sa famille tombent sous le coup de ce soulèvement intérieur, même si ce n'était qu'au profit d'autres tendances dans l'armée. L'opposition peut tirer profit de cette intervention et reprendre l'initiative, mais semblait avoir déjà perdu face aux mercenaires du pouvoir. Le mandat international ne permettra peut-être que d'ajouter des bombardements sur Tripoli à la répression au sol des opposants. Il semble bien hasardeux d'espérer qu'éventuellement l'interdiction aérienne avec quelques bombardements supplémentaires pourrait suffire à sauver cette opposition en démoralisant les troupes du pouvoir.
Le problème de l'intervention "Aube de l'Odyssée" n'est pas vraiment l'hypocrisie de cette Ligue arabe, qui consiste à réprimer seulement ce dictateur fou et de laisser la répression au Yémen (où le pouvoir est en train de perdre avec l'abandon d'une partie de l'armée), au Bahreïn (où l'opposition semble perdre à court terme) ou en Syrie (où la répression n'apparaît pas dans les médias). Les défenseurs de ce retour d'Ulysse pourraient toujours dire que mieux vaut une intervention méritée que pas du tout, ou que ce n'est pas notre inaction coupable ordinaire qui devrait justifier qu'on ne fasse jamais rien.
En l'occurrence, nous attaquons Kadhafi parce que nous en avons la capacité sans grand risque (en dehors d'une augmentation de quelques attentats). Nous n'attaquerons pas la Corée du Nord, et nous pourrons dire que ce serait parce qu'elle n'est pas explicitement en train de pratiquer la répression mais la vraie raison est que cela serait trop dangereux. Les dictateurs ont donc raison de s'armer de la dissuasion en ADM puisque cela seul peut assurer leur pouvoir.
Nous pourrions dire que nous "envoyons un message" au dictateur (du genre "exagérez et on finit par intervenir") mais on sait bien qu'on n'en ferait rien s'il avait le bon goût d'être un allié comme un monarque du Golfe ou s'il avait gardé son arsenal en ADM. Le message à l'Iran sera donc de renforcer la faction qui veut le programme d'armes nucléaires avant que la Présidente Palin ne lance les Tomahawks sur Téhéran.
Nicolas W. Badinguet tenait à avoir son moment Bushien néo-con pour éponger la tente de Kadhafi à Paris ou la proposition de lui vendre quelque centrale nucléaire, quand M. Ollier disait il y a 3 ans que Kadhafi lisait Montesquieu, ou tous ces avions privés en Tunisie ou en Egypte.
Si la hiérarchie militaire libyenne tient, nous devrons sans doute abandonner et laisser une victoire symbolique à ce pitre et à son héritier. Je ne pense pas, pour une fois, que l'assaut renforce le pouvoir ou discrédite toute l'opposition mais on peut douter que cela soit suffisant pour faire changer Tripoli.
Ce matin, des journalistes sur iTélé se demandaient avec gravité pourquoi il ne serait pas plus simple de se servir de l'assassinat politique pour éliminer Kadhafi, son fils Saif al-Islam (qui était encore en 2009 en négociation avec TotalFinaElf d'après Wikileaks) ou sa famille. Les intervenants s'arrêtaient seulement sur les réactions de l'opinion, ce qui mesure à quel point nous pouvons vite perdre toute apparence de droit de la guerre du moins quand les cibles vivent sur des zones de désert pétrolier.
L'enthousiasme étrange se comprend en raison du caractère insensé du dictateur mais il se tempère quand on songe que notre stratégie à moyen terme paraît confuse et incertaine.
Les Allemands - sur lesquels nous ironisons beaucoup - peuvent avoir tort quand ils se replient en économie ou en politique de la dette mais leur non-interventionnisme actuel n'est peut-être pas seulement de l'égoïsme d'un pays vieillissant ou un complexe d'infériorité en politique internationale.
Add. via Goodtime, un doute plus sobre :
Si la campagne aérienne ne crée pas de rupture psychologique au sein de l'armée de Kadhafi pour qu'elle l'abandonne, les négociations vont être difficiles.
L'armée libyenne peut-elle vraiment abandonner son chef ?
- En Libye, ce n'est pas une véritable armée, c'est un certain nombres de fidèles qui sont soit des mercenaires, soit des gens qui vivent du système. En Egypte, c'était une armée régulière, une institution. Elle savait qu'elle avait un rôle institutionnel et elle tenait donc à ne pas se désolidariser d'une société à laquelle elle appartient. Et ça fait toute la différence. Là, on est face à des gens qui ont un sentiment d'allégeance personnel à Kadhafi, voire d'appartenance clanique, familiale.
21 commentaires:
Sans doute, mais vous même avez vu les arguments décisifs : "il paraît immoral de simplement concéder que nous devrions laisser les opposants de Benghazi se faire massacrer par le dictateur dérangé Kadhafi" alors qu'"en l'occurrence, nous [...] avons la capacité sans grand risque" d'y mettre (d'essayer d'y mettre) le holà. Empêcher (essayer d'empêcher) un massacre que nous pouvons empêcher, pour moi, c'est l'argument qui l'emporte sur primum non nocere.
Ce qui me gêne le plus pour le moment, c'est, comme d'habitude, l'enthousiasme infantile pour la quincaillerie militaire (et c'est un wargamer qui écrit) et la "déréalisation" de la guerre : oui, les avions sont bien jolis mais il s'agit quand même d'aller tuer des gens que l'on soupçonne de vouloir tuer d'autres gens, qui en feraient sans doute autant s'ils en avaient les moyens.
Oui, je ne veux pas non plus défendre l'immobilisme au nom de la prudence. Pour l'instant, l'intervention semble bien sauver de nombreux civils de Benghazi. Il est possible que cela en reste là.
Mais dans la guerre civile et la rébellion, on n'interviendra pas si jamais des troupes passées à ce Comité National de transition pratiquent à leur tour des massacres.
Cela dit, on pourra me rétorquer que c'était le même problème avec les Kosovars qui ont ensuite fait leur propre nettoyage ethnique contre les Serbes en 1999.
Un autre point commun avec le Kosovo, c'est la manière de jouer des résolutions de l'ONU. On s'interdit d'agir sans l'aval de l'ONU mais on s'autorise à interpréter largement ce que la résolution nous permet de faire...
La différence c'est que cette fois-ci les russes, en dépit de leurs simili-protestations, n'étaient certainement pas dupes de ce qui allait se passer.
Vous ne me semblez pas prendre la question par le bon bout : vous présumez que nous étions face à un choix : je crois que tel n'était pas le cas.
Pour des raisons sur lesquelles chacun se fera son opinion, la France avait choisi de soutenir officiellement les rebelles, poussant Kadhafi à l'escalade et au massacre.
Ce qui fait de l'attitude politique du gouvernement français la première cause des massacres perpétrés en Libye.
Vous auriez alors proposé quoi ? Que Sarkozy, brusquement, découvre l'altruisme, s'assagisse, bref, finisse sa crise d'adolescence ?
C'est le problème avec le prez : à cause de ses impulsions incoercibles il se place pour toujours dans un double bind, où l'on suspectera quelle que soient les intentions initiales. Comme Bush.
Je trouve BIEN qu'on aille défendre les gens persécutés, même dans le désert.
Enfin, vous ne serez pas ennuyé par l'excès d'enthousiasme pour Harmattan trop longtemps : tout le monde a l'air de déjà vouloir retourner sa veste sous un prétexte ou sous un autre...
@Anonyme: "Pour des raisons sur lesquelles chacun se fera son opinion, la France avait choisi de soutenir officiellement les rebelles, poussant Kadhafi à l'escalade et au massacre."
Je crains de devoir défendre Sarkozy. Kadhafi avait commencé ses massacres avant que BHL ne soit nommé ministre des affaires étrangères. NS a beaucoup à se reprocher mais il n'est certainement pas responsable de la folie de Kadhafi.
J'ai les mêmes réserves que Phersu quant à cette intervention même si comme lui, je ne regretterai pas que Kadhafi se fasse balayer voire mieux. Ce qui est dramatique, c'est la contradiction des réactions selon que l'on soit allié (Jordanie, Bahrein, Yemen) ou ennemi. Si l'interventionnisme est la nouvelle norme, elle doit au moins commencer par des pressions efficaces sur ceux qui sont censés être des amis de sorte à pouvoir prétendre à une certaine cohérence et à pouvoir justifier l'intervention par l'obligation où l'on est de protéger des civils. Mais le pire dans toute cette histoire, c'est que le résultat recherché n'est même pas vraiment précisé (arrêter K. et le juger? Aider la rebellion? Tuer K? Enterriner la partition du pays?) La dernière fois qu'on est allé en guerre la fleur au fusil et plein de beaux discours, c'était en 2003, ce n'est toujours pas terminé et on en est à 109359 civils tués. De plus, les soutiens de K. auront beau jeu de pointer le chaos ivoirien pour justifier que l'on est devant une nouvelle guerre pour le pétrole.
Ironiquement, ni Obama, ni Sarkozy n'ont pris leur décision en en référant à leurs parlement, ce qui est une singulière leçon de démocratie comme le soulignait Goldhammer.
Plus généralement, notre époque veut que le doute soit la vertu et la connaissance le vice. La méthode qui doit prévaloir dans les sciences est appliquée aux autres domaines de la pensée humaine, en politique particulièrement.
Donc = Des gens se font massacrer sous nos yeux par un tyran sanguinaire, certes, mais on ne sais pas tout. Il y a des données cachées, des parfums d'huile, de la politique intérieure qui pue, et (à la mode de Rue89) très probablement un membre de la famille de Sarkozy ou bien l'un de ses puissants amis qui aurait des intér€ts en Lybie. En grattant bien on devrait trouver des sionistes embusqués.
J'ai honte, mais j'attends déjà de voir avec quel mal la France compte se sortir de ce futur bourbier... faute d'être intervenu plus rapidement la dynamique s'était inversée en faveur de Kadhafi, tout ce que va réussir à faire les occidentaux c'est de retarder l'inévitable, tandis que le temps et la volatilité des opinions joue en faveur d'un Tyrant qui attends qu'on lui serve les inévitables victimes civiles des bombardements sur un plateau.
Et pendant ce temps la LA a beau rôle de compter les points.
Sur cette intervention, je ne comprends pas comment on peut partager l'optimisme béat des vas-t'en-guerre, alors que le choix était plutôt du type "damned if you do, damned if you don't".
Tout ça pour vendre du Rafale.
Et encore, si on en aucun pour se faire abattre au-dessus de Tripoli. Avec le sens stratégique d'un Sarkozy qui n'hésite pas à les envoyer avant que la défense aériene ne soit entamée, histoire de briller, on peux en douter.
Euh je suis d'accord avec tout le monde.
Quand je parlais d'enthousiasme, c'était discutable, car la blogosphère américaine paraît plutôt hostile, à cause du bourbier afghan. Il y a en fait assez de réserves des alliés et de la Ligue arabe pour qu'on puisse douter que nous dépassions ensuite la Résolution 1973 de l'ONU.
> all
Ouch, touché.
Oui, la résolution 1973 telle qu'elle est est prudente et exclut l'occupation. On peut être un peu rassuré quand on voit que les opposants de Benghazi disent qu'ils ne veulent pas se faire voler leur victoire éventuelle par les fourgons de l'étranger.
Pour l'instant, oui, nous avons limité des massacres. Mais je ne crois pas que ce ne soit que du conspirationnisme paranoïaque ou un excès de "pose" sceptique que critiquer les diverses intentions de Badinguet.
> MD
J'avais raté le nom français de l'opération Harmattan. Il y avait déjà eu une Opération Noroît en 1990.
Cela va agacer l'éditeur homonyme.
J'ai bien aimé la crique d'Ebert sur le nom Odyssey Dawn : "Is it possible to conduct a military operation without giving it a title like a Tom Clancy novel?"
> Anonyme2
le choix était plutôt du type "damned if you do, damned if you don't"
Exactement, on aurait aussi critiqué les Européens si on n'avait rien fait en laissant l'opposition se faire massacrer. Le problème est de savoir si la simple interdiction aérienne sera suffisante.
J'ai beaucoup d'admiration pour Rony Brauman mais, sur ce coup là, je ne suis pas d'accord avec lui.
Si l'on a peur de trop s'engager, je ne vois pas pourquoi l'on ne se contente pas de déclarer ce soir que la coalition a rempli ses objectifs - la population de Cyrénaïque ne sera pas passée au fil de l'épée - et qu'il ne s'agit plus désormais que de faire respecter la no-fly zone en laissant les Libyens se débrouiller entre eux... quitte à reprendre les bombardements quand les insurgents seront à nouveau en difficulté.
Cela aiderait si Claude Guéant pouvait ne pas reprendre la propagande de Kadhafi...
Je ne m'explique pas cette appétence pour les innombrables fumbles diplomatiques du "gouvernement" actuel. On dirait parfois une séance d'impro des monty python. C'est dramatiquement drôle.
Et Brauman a au moins raison d'affirmer le scandale des politiques variables suivant les pays concernés. Outre la Palestine sous mandat israélien et la Corée protectorat chinois, Bahrein et Yemen sont dans la zone d'interinfluence saoudienne. Alors que le chien fou lybien est détesté pour de bonnes raisons par tout le monde. Mais maintenant que faire ?
http://www.liberation.fr/monde/01012326918-une-option-tactique-sans-horizon-strategique
une contribution précise et éclairante
J'ai l'impression que même du point de vue de la realpolitik, il aurait évidemment mieux fallu soutenir d'abord les soulèvements tunisiens et égyptiens, des pays disposant d'opposition, d'administration et de forces armées structurées, pouvant constituer des alternatives aux despotes locaux. En Lybie, aucune de ces structures n'existent donc soit c'est l'échec, soit les substituts à Kadhafi apparaîtront comme ayant été suscités par l'Occident et pourront justifier un rejet.
Voilà la formulation plus claire que je ne pourrais la faire d'une de mes intuitions. Vous qui êtes philosophe, pensez-vous qu'il serait moral de délibérément réduire ses moyens de manière à perdre la capacité de tuer des gens à l'étranger "sans grand risque" et d'échapper par là même au dilemme intervenir ou ne pas intervenir ?
Pour devenir la Suisse. Une autre variante serait celle chinoise qui intervient comme au go, en interdisant des accès, achetant des alliances, menace sans plus, et se déplace en force en évitant le contact. Ce qui est beaucoup plus moderne que l'air supremacy.
Le problème de l'argument de la réduction des moyens est que cela servirait à justifier alors qu'on choisisse toujours seulement son intérêt et plus du tout l'éventuelle justification objective.
Les USA disaient qu'ils voulaient avoir une armée capable de mener deux guerres de front. Quand ils ont eu deux guerres de front, ils ne pouvaient plus rien faire au Darfour alors que cela se serait peut-être plus justifié que l'Irak.
Je suis content de découvrir cette conversation avec quelques heures de retard. Je fais aussi partie des sceptiques mais je n'ai pas trop “honte de mon opinion” : sans aller jusqu'à Roland Dumas, il m'a suffi de lire le débile profond cité dans le “mur du çon" de cette semaine pour me conforter dans ma position d'éternel inquiet. Je ne me sens juste pas à l'aise quand on me parle de bombarder qui que ce soit, en Libye ou ailleurs. La meute qui a senti que le sang coulait et qu'elle avait le droit de s'en extasier me rappelle cette folie aveugle qui s'exprimait dans les colonnes des journaux peu avant la Première guerre mondiale. Ils vont voir ce qu'ils vont voir ! Peut-être.
Il n'y a plus de mobilisation générale, alors quand je pose la question à mes étudiants “Qu'est-ce que ça vous fait d'être en guerre ?” (question-piège, car ils l'étaient déjà), j'attire leur attention sur le fait que cela ne leur fait rien, et que le piège se situe là. Comme le disait une invitée du Daily Show, notre industrie militaire est entièrement professionnalisée, et nous pouvons admirer la scène internationale à distance, en nous laissant prendre dans la temporalité instrumentale du conflit : il y a deux mois encore, on pouvait se contenter de vivre avec la politique arabe inerte de la France, et ce n'est qu'aujourd'hui qu'il est devenu insupportable de le faire, car l'agenda nous contraint de fait à chercher une moralisation post hoc à l'intervention.
Des Habsbourg à l'OTAN, la logique est la même, et l'histoire des relations internationales est d'une triste banalité qui fait mentir la plupart des théorisations : pour survivre dans le concert des empires-nations, il faut simplement éviter d'agacer les puissances militaires les plus à même de tordre le bras à toutes les autres. La justice prend une place très modeste et presque systématiquement rétrospective dans ces jeux guerriers. Sur l'Allemagne, par exemple : celle-ci va renforcer son contingent afghan pour permettre aux USA de transférer des troupes sur le front libyen. La logistique d'arrière-plan des conflits parle plus que toutes lex exégèses du bellicisme ou du pacifisme supposé doctrinal (mais en réalité très pragmatique) des puissances occidentales.
N'ayant jamais soutenu Khadafi, je me vois mal recevoir une leçon de morale de celles et ceux qui lui ont permis de planter sa tente à Paris il y a quelques années, et plus encore, d'arriver au pouvoir comme il l'a fait, drapé dans sa figure de noble Bédouin civilisé, si acceptable aux yeux des admirateurs de Laurence d'Arabie.
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