dimanche 24 janvier 2016

L'investiture des dieux

Grâce à l'Internet Archive Wayback Machine, je retrouve cette vieille note de mon blog du 20 octobre 2004. Comme ce blog (phersu.20six.fr) a disparu, je la recopie ici dans le même mode de translittération Wade choisie par cette édition française chez You-Feng (2002).


L'Investiture des Dieux

L'investiture des Dieux, en chinois Feng Shen Yen I (ou Feng Shén Yan yi) est aussi traduit en anglais Creation of the Gods.

C'est un énorme roman, en 100 chapitres. La version chinoise fait quatre tomes. L'adaptation française abrégée de Jacques Garnier (éditée par la Librairie You Feng, en retranscription Wade) fait 944 pages assez denses (le papier est étrangement fin et tout cela manque un peu de notes, même s'il y a un glossaire des personnages).

Le texte, l'un des plus grands classiques de la mythologie chinoise, serait assez tardif, sans doute du XVIe siècle, sous la dynastie Ming (1368-1644), attribué souvent à Hsü Chunglin(ou « Xu Zhonglin » en retranscription Pinyin).

L'épopée est censée remonter à un passé très lointain, vers le XII siècle avant notre ère, il y a plus de 3000 ans (à peu près donc à la même époque que la Guerre de Troie ou l'Exode des Hébreux dans notre hémisphère, mais rédigé à la Renaissance).

Elle relate la fin de la dynastie mythique des Shang (ou Yin) et le début de la dynastie proto-historique des Chou (Tchéou, Zhou) dans la guerre entre le roi Chou (qui est le dernier des Shang) et le roi Wu (qui est un Chou - je ne sais pas si je suis clair).

Mais pour simplifier on va appeler le dernier empereur Chouwang et son ennemi Wuwang.

Le passage d'une dynastie à une autre parce que l'Empereur est devenu un tyran est l'un des thèmes principaux des histoires chinoises mais ici, contrairement au rationalisme habituel confucéen démystifiant, le fond mythologique, merveilleux et épique a été conservé.

Le texte explique même l'origine de foules de dieux et génies par des apothéoses des personnages du roman, dont la fameuse scène des Investitures au 99e chapitre, où 365 personnages sont déifiés ou "canonisés" (y compris certains des adversaires).

Comme dans la Guerre de Troie (Hélène) ou la fin du Cycle arthurien (Guenièvre), ce grand conflit cosmogonique commence par un amour destructeur.

Le dernier empereur Chouwang montre son intempérance quand il se rend dans le temple de la Déesse primordiale Nüwa (Nu Wa, Nü Kwa, déesse du ciel et de l'ordre cosmique) et tombe amoureux de sa statue. Il proclame qu'elle doit être sa concubine.

Nu Wa est tellement furieuse de l'outrecuidance de l'empereur mortel qu'elle envoie trois Démones-renardes polymorphes (les renardes sont toujours des démones, en Chine les hǔlijīng comme au Japon les kitsune) pour causer la perte de son Empire.

Ensuite l'Empereur Chouwang exige du grand seigneur Su Hu sa fille puisqu'il n'a pu avoir la déesse (Su Hu est choisi par les conseillers corrompus de la Cour parce qu'il est le seul à ne pas leur avoir payé de pots de vin).

Après une brève guerre civile, Su Hu accepte mais sa fille Tachi (Daji) est tuée et remplacée à l'insu de tous par la succube vulpine envoyée par Nu Wa. "Tachi" ensorcelle l'Empereur et conduit le gouvernement à la ruine. Elle renforce les conseillers corrompus, fait torturer les nobles et les meilleurs conseillers (quand ils ne se suicident pas en protestation), la Reine (en organisant une fausse tentative d'assassinat dont elle est accusée), puis les Princes qui s'étaient rebellés (mais ils sont sauvés par les Dieux).

Les scènes d'atrocités sont nombreuses. la fausse Tachi innove dans ses méthodes de répression et ses projets dignes de Babel. Dans une scène, elle fait arracher les yeux d'un ministre qui lui était opposé et les dieux transforment les orbites vides en "mains qui peuvent voir l'invisible".

La scène clef est quand elle force le seigneur de l'Ouest (Ji Chang) à manger son propre fils exécuté. Ce duc écœuré deviendra le Prince Wenwang, père de Wǔwáng (Ji Fa), futur fondateur de la dynastie des Chou (Zhou).

C'est à la même époque (chapitre 14) que naît Necha (Nezha, Nuocha, Na Zha), le "Hercule" chinois qui a aussi un cycle d'aventures indépendant [il serait aussi dans la tradition indienne Nata, un fils de Vaishravana]. Réincarnation de l'Esprit de Perle, élevé par un Sage taoïste, il est encore enfant, un colosse armé d'un anneau magique et d'autres trésors comme le Ruban du Jour de Brume ou l'Arc du Ciel et de la Terre. Necha tue même des Rois Dragons et il en vient à se battre contre son père mortel, Liching (Li Jing). Par la suite, Necha sera l'un des héros soutenant la cause des Chou et du sage Tzuya.

Ce sage Chiang Tzuya (Jiang Ziya, Lu Wang) vient tuer magiquement une des trois démones, le Spectre du Luth de Jade et se fait ainsi un ennemi de Tachi, qui est en fait la sœur du monstre. Elle le fait proscrire de l'Empire. Tzuya devient le Premier ministre du Prince Wenwang puis de son fils le futur Empereur Wuwang.

La renarde Tachi fait venir sa troisième sœur, la démone Hu Hsimei (Hu Ximei), déguisée en nonne taoïste qui séduit l'Empereur et le maintient au lit dans des pièges voluptueux.

Les Immortels du Mont Kunlun sont divisés en deux camps, ceux qui soutiennent la dynastie Shang et ceux qui soutiennent les rebelles autour du sage Tzuya. La Guerre devient donc un conflit cosmique, les divinités mauvaises, les Pestes mais aussi quelques sorciers loyaux soutenant les projets de la concubine démoniaque Tachi.

Après une longue guerre magique et militaire pleine de rebondissements, de stratégies et de pièges, Tzuya détruit avec l'aide de la déesse Nu Wa les démones qu'elle avait envoyées sur Terre. Le tyran Chouwang fait brûler son palais, avec lui à l'intérieur. Wuwang, fils du Prince Wen, devient Empereur.

Chiang Tzuya proclame la liste, qu'il avait lue avant les faits dans le Mont Kun Lun, des 365 héros morts dans les deux camps qui sont déifiés, et le nouvel Empereur Wuwang commence à organiser son Etat.

La dynastie des Chou mettra huit siècles à décliner, les Etats vassaux se dispersant pendant la Période du Printemps et de l'Automne (qui correspond à l'époque de la Grèce archaïque) et la Période des Royaumes Combattants (qui correspond à l'époque de la Grèce classique).

La loi naturelle suit un cercle comme la roie d'un char,
Tour à tour, grandeur et ruine, sans jamais de cesse.
Aller, puis venir, croître puis décroître.
Tout cela n'amène que sourire,
Un cycle monotone de grandeur et décadence.
Chouwang de Shang brûlé, ses cendres dispersées au vent.

[Sur ce cercle chinois, voir Richard Nisbett, The Geography of Thought, Londres, 2003, chapitre IV. ]

2 commentaires:

賈尼 a dit…

Ce roman mériterait une édition et une traduction plus professionnelles que celles de You Feng.
Il y a aussi un manga assez fidèle, qui est paru en français sous le titre « Hoshin - l'Investiture des Dieux ».

Phersv a dit…

Je ne connais pas le manga.

Un défaut de l'édition You Feng est que le fameux 99e chapitre qui donne tout son nom au roman est résumé en une seule page (p. 902 "Ainsi furent désignés entre autres 24 dieux du ciel"...) parce que le traducteur trouvait trop ennuyeux d'énumérer les 365 dieux. Mais cela exigeait un vrai appareil de notes en plus (il n'y a qu'une liste des personnages). Le traducteur dit aussi avoir retiré les discussions sur le Taoïsme.