vendredi 16 décembre 2022

Avent 16 Renouvellement

Commencements & Cataclysmes

Les vieux joueurs des années 1970 devaient aimer le post-apo parce que c'était aussi très immédiatement angoissant dans le contexte, bien plus que tout les mythes à tentacules. Le genre m'a attiré mais je n'ai jamais testé en réalité, ce qui risque de rendre ma volonté de fantasmer dessus encore plus abstraite que d'habitude. J'aime le spectre d'un genre sans le pratiquer mais je suis souvent déçu quand cela redevient du Western. 

Révolution & Renaissances

Un des attraits est l'idée de révolution. Le mot "révolution" voulait dire "retour", comme en astronomie, et dans toute notre vision moderne la révolution implique de recréer ou refonder un nouvel Ordre des choses, que ce soit comme simple restauration ou plus profondément comme retour aux racines pour permettre d'agir aux origines. Hannah Arendt cherche toujours des fondateurs et pour elle, toute la tradition politique pré-moderne est inscrite dans l'idée de "commencement" - la pluralité humaine n'existe que pour qu'il y ait des commencements et pas seulement des cycles. Elle prétend que c'est Machiavel qui aurait fait évoluer la révolution en ce sens moderne d'essence de toute politique, de recommencement nécessaire de la politique (le problème précis était alors de savoir comment recréer une Italie nouvelle alors que Rome n'était plus en Rome, comment liquider le Moyen-Âge tout en sachant que l'Antiquité était définitivement morte et que la Renaissance se berçait donc d'illusions en croyant invoquer ces spectres). 

Ruines & Regrets

Il y a plusieurs types de "post-apo". Le genre est souvent dans la mélancolie, dans le regret de l'échec de la civilisation, dans le sublime des Ruines. On pleure alors devant la contingence de notre civilisation. Ou alors ce n'est pas de la mélancolie mais du "cynisme" au sens originel des normes naturelles contre les conventions sociales. Le post-apocalyptique plaît souvent aux Américains pour des raisons anti-politiques, comme un retour à un état de nature ou un redéploiement du mythe de la Frontière hors la loi comme dans le Western. On doit alors sauver de petits groupes d'individus post-politiques face à des hordes. 

Effondrement & Espérance

Pourtant, il y a une dimension politique dans l'idée de refondation optimiste, de recréer de l'espérance et de nouveaux liens après l'effondrement des systèmes qui ont échoué. Ce n'est pas qu'une restauration au même (sauf peut-être dans The Morrow Project, où on joue des humains pré-collapse endormis pour accélérer la reconstruction et la restauration). L'avantage du post-apo sur des "révolutions" ordinaires est que la table rase a déjà eu lieu et que le Ravage n'est pas ici un moyen discutable qui pourrait échapper à tout contrôle mais un état de fait antérieur, une condition de départ pour voir ensuite comment on peut développer cette bifurcation, ce pas de côté vers des possibilités inouïes. 

Révélation & Rédemption

Le jeu de fantasy post-apo Krystar avait mis de l'espérance surtout grâce à la magie et un substitut de religion où la Terre cherchait à se guérir. La métaphore devient alors plus médicale que politique, ce qui risque de limiter les débats (sans parler des jeux d'horreur post-apo comme Vermine où le thème de la survie devient les formes de parasitisme alors que la Terre a réagi contre la dévastation du capitalocène). 

Le magnifique jeu québécois Tribe 8 aussi parlait de la religion mais une des idées géniales était que les survivants de la "Huitième Tribu" devaient chercher à créer un nouvel ordre qui s'oppose à la fois aux forces immenses de désespoir et aux formes de contrôle et d'aliénation (les 7 tribus avec les 7 Déesses) qui étaient censées protéger les autres survivants face à la folie destructrice. L'esthétique SM-gothique rendait cela un peu trop désespéré mais c'était aussi un jeu d'horreur (le problème des démons, comme des zombies, est que ce ne sont pas des adversaires avec qui on a beaucoup envie de négocier). Malgré le thème de départ de jouer la confédération des marginaux, les auteurs semblaient un peu hésiter à refaire dépendre cette nouvelle tribu simplement d'autres Déesses nouvelles en concurrence. Cela pouvait affaiblir l'idée d'une révolte contre ces nouvelles structures théocratiques de survie. 

Je ne connais pas assez le genre pour savoir si un jeu réussit à remettre cet optimisme de manière plus politique sans utiliser une telle téléologie et une dea ex machina. Les clans, factions et communautés ne semblent souvent être que des agrégats de tendances en rapports de force. 

Mutants & Marginaux

Les choix politiques peuvent parfois se réduire un peu à une opposition entre humains et mutants, entre la continuité et des formes marginales. Et le plaisir principal des premiers jeux post-apo Gamma World venait des transformations où on reconnaissait les métamorphoses de notre environnement tout en jouant des personnages eux aussi en métamorphose. 

Mais jouer des parias marginalisés peut simplifier le débat politique. Le drame individuel est plus facile à jouer dans nos fictions mais il y a des "playbooks" d'Apocalypse World qui peuvent indiquer des directions qui ne sont pas que des drames d'oppositions individuelles. La lignée des jeux dits "Belonging Outside Belonging" (qui avaient évolué à partir d'Apocalypse World) est en partie fondée sur l'idée de co-créer des jeux sur des communautés "marginalisées" mais en utilisant un mode de narration sans MJ. 

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