mardi 20 décembre 2022

Matsya

Comme le savent tous ceux qui ont déjà subi mon calendrier de l'Avent de ce Noël 2022, la qualité d'une oeuvre est proportionnelle au nombre de raies manta. Je n'ai vu qu'un seul animal qui ressemblait à une raie manta dans Avatar 2: The Way of Water, mais cela rend aussitôt l'oeuvre supérieure au premier (dont j'avais parlé il y a 13 ans). 

Plus sérieusement, l'eau est filmée d'une manière plus organique que toute la faune et la flore du premier film. Cela reste trop long et prévisible mais on peut préférer ce pastiche de Moby Dick et toute sa publicité pour GreenPeace à Dance with the Dragons du premier. Les références du nouveau deviennent plus polynésiennes dans la Mer mais on y retrouve tous les mélanges de plusieurs visions de l'Autre non-occcidental, et notamment de l'Inde en même temps que les Amérindiens ou l'Afrique. 


Dans le premier volet, un petit groupe d'humains (une scientifique et un soldat paralysé) étaient incarnés dans des "avatars" (bleus comme Vishnou) pour mieux infiltrer les Na'vis de Pandora mais ils n'étaient pas des Na'vis parfaits. Ils devenaient si proches des indigènes que le soldat finissait en leader charismatique de la révolte contre la colonisation humaine (venue chercher "l'Unobtainium"... si), avec l'aide de Eywa, l'Arbre de Vie qui met en connexion toute la biosphère de Pandora en une hypothèse Gaïa. 

Le temps a passé et le héros a eu trois enfants hybrides avec une Na'vi et la scientifique a eu un enfant avatar dont l'identité reste mystérieuse et qui serait une supershaman qui pourrait se connecter sur Eywa par WiFi sans passer par le cable USB qu'utilisent les autres formes de vie de cette planète. Et des soldats humains décédés dans le premier film reviennent de la mort downloadés dans de nouveaux avatars hybrides ("pour expier leurs péchés" : ces avatars sont condamnés dans une réincarnation sans fin où Pandora est leur Purgatoire alors que c'est l'Eden pour le héros). 

Une théorie des fans veut que Pandora ne soit pas que ce qu'elle laisse apparaître, pas seulement le Mythe du Bon Sauvage qui vivait en équilibre avec la Nature contre la Machine. Pour justifier l'improbable évolution des formes de vie qui sont toujours si curieusement bien adaptées entre elles sur Pandora, on pense qu'il y a dû y avoir des Grands Anciens très développés qui auraient conçu le réseau informatique trans-règne Eywa et les Na'vis pour faire de Pandora un Eden. Il serait alors assez ironique d'inverser toute la critique de la technologie : on aurait une technologie encore dépendante de la rareté capitaliste pour les Humains et une nanotechnologique organique tellement avancée qu'elle se fait passer pour une spiritualité technophobe. (En passant, cette théorie de fan est en revanche assez proche des secrets réels pour le jeu de Hard SF Blue Planet si ce n'est que les Humains sont déjà en partie adapté au milieu de Poseidon). 

Ici, la théorie change un peu en version biologique et on pourrait appeler la nouvelle interprétation "Les Globules Bleus". On apprend que de grands animaux marins, dragons-cétacés (les Tulkuns), sont l'espèce la plus intelligente de la planète et qu'ils sont d'un pacifisme absolu, ce qui fait que seuls les petits Na'vis, plus primitifs et prédateurs, peuvent servir à Pandora de protecteurs immunitaires contre les envahisseurs et pour garder l'agressivité que les Tulkuns trop sages ont abandonnée. 

Ou alors on peut s'amuser à y voir une polémique de l'Hindouisme martial des Na'vis (comme dans le Bhagavad-Gita) contre le Jainisme radical des Tulkuns : les Brahmanes ont besoin des Kshatriya, le Moi libéré de son attachement a encore besoin d'être protégé par le Moi empêtré dans les ardeurs guerrières de la colère, le pur intellect présuppose encore la passion. 

Le jeu de rôle Blue Planet ressemblait énormément à ce second volet. Les Humains viennent notamment sur Poseidon pour piller des produits qui peuvent lutter contre le vieillissement, le "Long John". Sur Pandora, les Humains viennent piller l'ambre des baleines Tulkuns pour obtenir une drogue contre le vieillissement, l'Amrita (ce qui continue de filer les allusions à l'Hindouisme). D'ailleurs, 15 ans avant Blue Planet, dans Traveller Adventure 9 Nomads of the World-Ocean (1983), les corporations massacrent d'immenses Ver des Océans Daghadasi pour obtenir un produit pharmaceutique, le PDPT-Beta qui permet de lutter contre le cancer (et le supplément insistait déjà sur le fait qu'on tuait une créature de milliers de tonnes pour n'en tirer que des traces du précieux élixir - alors que l'Epice dans Dune ne tue pas les Vers des Sables). Je ne me souviens plus si la bd Aquablue avait une telle ressource rare pour justifier la colonisation. Je crains que le renom d'Avatar ne nuise à beaucoup de campagnes de jeu de rôle qui vont sembler rétroactivement être trop similaires. 

La scène où un des hybrides Na'vi-Avatar entre dans la gueule du monstre pour se connecter à ses souvenirs doit encore être un effet de la théorie jungienne de Joseph Campbell sur l'itinéraire du Héros, où il est censé s'enfoncer dans les ténèbres de son inconscient (ce que Campbell avait appelé "Le Ventre de la Baleine"). On peut aussi y voir une allusion à l'avatar Matsya ("le Poisson") : Manu le Premier Homme préserve toute la vie et les Veda du Déluge grâce à ce premier avatar de Vishnu (avatar qui fut d'abord celui de Brahma le créateur). Ils doivent s'accrocher à la corne de ce poisson pour survivre aux eaux du cataclysme. Ici, les Tulkuns bodhisattvas seront sauvés aussi par le Tulkun immature resté plus proche des avatars guerriers de Vishnu. 

2 commentaires:

賈尼 a dit…

Merci pour cette critique érudite. Elle ne me donne cependant toujours pas envie d'aller voir le film 😂

Phersv a dit…

L'ennui avec la machinerie Disney est de produire un film sur la "spiritualité" contre la Technologie mais d'avoir du mal à avoir une âme, malgré tout le soin de Cameron.