dimanche 31 mai 2009

Types de racismes



L'argument de certains Conservateurs américains contre Sonia Sotomayor est d'accuser son "racisme" ou "racisme inversé" parce qu'elle est d'origine porto-ricaine. Il est curieux de voir les Républicains ne s'intéresser au racisme que lorsqu'il s'agit de dénoncer celui des minorités. C'est encore un de ces cas de contradiction performative où ceux qui nient que le racisme existe encore dénoncent leur propre racisme en le niant.

Leur argument est que Sotomayor a été membre du National Council of La Raza, la principale organisation des Latinos et Hispaniques aux USA, fondée en 1973, équivalent de la NAACP des Noirs. Les Républicains jouent sur le nom pour le confondre systématiquement avec le Raza Unida Party, qui est un mouvement plus minoritaire et plus radical, qui a en effet un aspect plus ethnocentrique (en passant, tout ce discours hispanophobe d'Huntington et des autres va vite détruire tous les efforts des Bush pour séduire l'électorat latino).

Ce terme de La Raza est devenu plus englobant pour les individus de groupes divers hispaniques ou métis autochtones. Autrement dit, c'est un terme justement non-raciste dans le sens où il ne fait pas référence à une unité de naissance mais bien des airs de famille culturels ou régionaux. Mais il est ironique que cette expression soit si facile à détourner en un sens plus agressif pour faire peur aux WASPs (comme une partie du mouvement chicano pour récupérer un "Grand" Aztlán et annexer les Etats conquis par les USA en 1845-1848.

L'expression de "racisme inversé" est vague (puisqu'un raciste d'un groupe discriminé est raciste simpliciter et non un raciste "inversé", comme les suprématistes noirs).

Il existe un sens plus réel de "discrimination inversée" ou "discrimination positive" quand il s'agit par exemple d'une institution, et le ressentiment républicain veut jouer inconsciemment sur ces problèmes politiques.

On pourrait distinguer différents types de racisme.

  • Au sens le plus habituel, le racisme est (1) la thèse qui attribue à un groupe, souvent identifié par des caractéristiques héréditaires (et en l'occurrence depuis quelques siècles surtout des facteurs superficiels de pigmentation dans le phénotype), une valeur supérieure. C'est un racisme "normatif" ou prescriptif mais il repose sur un racisme au sens (2), qui se veut "descriptif" ou "théorique" selon lequel il y aurait déjà objectivement des différences de capacités (intellectuelles ou bien ensuite culturelles ou morales) entre les groupes qu'on identifierait pourtant par des traits visibles. Ce sens (2) sous-tend et introduit déjà la hiérarchisation qui conduit ensuite à une injonction à la discrimination active du sens (1) et entérine les préjugés sur une construction sociale.

    Un racisme (1) inversé serait alors seulement la négation d'une telle supériorité ou hiérarchisation. Autrement dit, c'est la thèse de l'égalité des êtres humains.

  • Il y a aussi un sens (3), qui prétend que les races n'auraient pas une hiérarchisation absolue mais plutôt des avantages et capacités distinctes. Ce sens (3) était parfois utilisé dans certains arguments de racistes au sens (1) et (2) qui prétendent appeler seulement à la séparation des races et non à une supériorité absolue d'une seule. C'est une différence assez théorique et hypocrite puisqu'en pratique les racistes au sens (3) se servent de cette rhétorique pour défendre la discrimination au sens (1) et (2).

    Le théoricien fondateur du racisme Gobineau dit parfois seulement être raciste en ce sens (3) et c'est un axe de défense utilisé par certains en sélectionnant ses textes (voir la page de Discussion dans l'entrée Wiki où un Gobiniste a essayé d'euphémiser tout le racisme ou le "racialisme" de l'écrivain).

    Selon Gobineau, les "races" humaines auraient eu leur perfection propre à l'origine dans leur séparation (polygénisme) mais elle déclineraient ensuite par le mélange (ce que Tocqueville appelait une philosophie de "hara"). La hiérachisation ne se ferait alors pas entre races mais par degré de métissage, qui serait nécessairement une dégradation et un déclin de chaque avantage des races "pures". Et pour Gobineau, qui fonde son racisme surtout sur l'anti-sémitisme, les juifs seraient en fait le peuple le plus métissé, creuset au Proche-Orient de l'Européen, de l'Africain et de l'Asiatique.

    Gobineau est bien entendu en réalité un raciste dans le sens commun (1). Il dit que les races étaient "parfaites à l'état pur" et que l'histoire est une décadence mais il affirme surtout que la race blanche européenne est supérieure aux autres (par exemple, il explique que l'Asiatique pur était certes très "malin" mais moins "intelligent" que l'Aryen...).

    Mais les diverses collaborations entre racistes et mouvements d'extrême droite comme la Nouvelle Droite se servent du racisme (3) comme un masque pour prétendre défendre une forme de différentialisme de l'Originel et des Communautés séparées au nom d'une sorte de principe de diversité culturelle contre l'homogénéisation. Cela permet de fédérer de manière paradoxale des haines exclusives (voir aussi la secte raciste américaine pseudo-musulmane Nation of Islam qui avait appelé à une alliance avec des groupes racistes blancs au nom de ce principe de ségrégation).


  • Si on résume, ce racisme (3) valoriserait la race pure dans la prohibition des mariages inter-raciaux et dévalorise surtout le métissage. Pour reprendre l'expression qu'aiment tant les conservateurs de "racisme inversé", un racisme (3) inversé serait donc la valorisation du métissage qui consisterait à dire non pas qu'il n'a rien de mal, ou qu'il est "normal", mais qu'il aurait en soi une valeur supérieure.

    Ironiquement, l'éloge anti-raciste (et même le concept de créolité pour dépasser celui de négritude) risque parfois de glisser dans ce nouveau racisme (3) inversé, où le non-métis serait alors ringard dans la pauvreté de diversité et dans le champ étriqué de ses ancêtres.

    La judéophobie a ainsi su évoluer en inversant complètement les thèses de l'anti-sémitisme de Gobineau : certains reprocheraient aux juifs non plus d'être la synthèse de tous les peuples mais de s'exclure de cette nouvelle norme du brassage par un excès d'endogamie. Le "peuple" trop "nomade", "apatride" ou trop "cosmopolite" est accusé aussi d'être trop "communautaire" et pas assez "cosmopolite" (voir un certain humoriste français accablé de ressentiment paranoïaque qui présente un parti aux élections européennes, La Ligue pro-pogrom, au nom de "la lutte contre le communautarisme").

    Le terme même de La Raza montre une certaine ambiguïté, anti-raciste avec un certain "racisme (3) inversé".

    Historiquement, l'Espagne fut une des régions qui contribua au développemet à la Renaissance de ce qui deviendra au XIXe siècle le racisme. Après la Reconquista et la première mondialisation dans l'Empire colonial, l'Espagnol est plus sensible que d'autres nations européennes sur l'identité : il faut montrer qu'on est le moins possible d'origine juive, mauresque, africaine ou amérindienne. L'essayiste mexicain José Vasconcelos (1882-1959) avait publié La Raza Cósmica (1925) qui prédisait l'avènement d'une nouvelle race métisse de "Blancs, Noirs et Rouges" et que le destin de l'Amérique Latine était justement de servir de creuset futuriste de cette nouvelle synthèse universelle du Genre Humain. Ce n'était pas seulement un destin mais aussi une valeur supérieure pour inverser les discriminations contre les mestizos. Les Hispaniques reprirent cette valorisation du mélange comme plus neutre que la simple référence linguistique (qui devait sembler rester trop colonial).

    La construction sociale des degrés de métissage a été très variable. Certains Etats coloniaux dévalorisaient les métis comme des dégradations de la pureté raciale, notamment pour le Mexique originel, l'Argentine (qui était une colonie de peuplement avec très peu d'influences indigènes) ou les USA. D'autres valorisaient en partie le métissage avec les Noirs et les Autochtones pour diviser l'opposition des indigènes en accordant des droits particuliers aux métis. D'autres enfin valorisaient le métissage avec une sorte d'idéologie de civilisation par l'européanisation. C'est un discours qui eut parfois lieu par exemple au Brésil mais aussi plus récemment au Mexique pour lutter contre l'ancienne exclusion des mestizos et "mulâtres".

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