mardi 3 juin 2008

Espion, Lève-Toi



Espion, Lève-Toi (1982) est un film dialogué par Michel Audriard (d'après le roman Chance Awakening, 1978, de George Markstein, l'un des créateurs du Prisonnier) et réalisé par Yves Boisset, qui abandonne le thriller politique pour une sorte de parodie amorale de John Le Carré - un des personnages mentionne même L'Espion qui venait du froid dans le film et la fin est d'ailleurs assez ressemblante si ce n'est qu'elle est encore plus amère ou cynique puisqu'on ne comprend même pas l'utilité des "Gambits" qui ont été faits.

Le film est en effet intentionnellement mystérieux et inexplicable, ne résolvant pas toutes les ambiguïtés à la fin.

1981. C'est l'alternance en France et il y a des changements dans les services. Il y a aussi un groupe terroriste gauchiste, les Brigades d'Action Populaire qui sévit en Suisse.

Sébastien Grenier (Lino Ventura) est un agent français "en sommeil" à Zürich depuis plusieurs années, avec une couverture d'agent financier. Il vit avec la professeur Anna Gretz (Krystyna Janda), qu'il a rencontrée dans son ancien poste à Munich et qui est proche de milieux gauchistes.

Après l'assassinat par les terroristes de son agent Zimmer, qui cherchait pour qui ils travaillaient, Grenier est contacté par un mystérieux Jean-Paul Chance (Michel Piccoli), qui en sait beaucoup sur lui et qui a pénétré ses services. Chance dit travailler en fait pour la France et être venu le "réveiller".

Grenier se méfie de Chance et contacte plusieurs autres agents pour en savoir plus sur Chance. Ils se font assassiner et Grenier se demande si ce n'est pas une taupe dans son service qui fait tuer tout son réseau. Un nouvel agent, "Alain Richard" (qui dit être "la Page 138", code qui semblait être celui pour l'éveiller) vient lui dire que Chance travaille pour le KGB et qu'il est là pour retourner Grenier. Chance assure au contraire Grenier que c'est Richard qui est l'agent du KGB venu tuer son réseau.

Grenier, qui ne sait qui croire et qui est toujours amoureux d'Anna Gretz malgré ses contacts avec les terroristes, décide de s'enfuir avec elle, mais elle est enlevée par les Brigades. Richard lui dit qu'il ne doit pas trahir et que Gretz est en fait complice de ses kidnappers. Elle est retrouvée exécutée par Ramos, un agent qui a infiltré les Brigades d'Action Populaire (et qu'on a vu pendant l'assassinat de Zimmer au début).

Grenier suit la piste, tue Ramos et finalement son chef, qui n'est autre que Chance. Richard, qui est celui qui a fait tuer Anna Gretz, juge Grenier dangereux et incontrôlable, et il le fait assassiner à son tour.

On a dès lors 3 choses certaines : (1) Chance travaillait vraiment pour le KGB (c'est confirmé dans une scène d'exposition), (2) Richard est vraiment un agent français (ce qui n'exclut pas un double-jeu) (3) C'est Richard et non Chance qui a fait tuer Anna Gretz.

Ce qui reste obscur est (1) pourquoi un agent français intègre comme Grenier vivrait avec une gauchiste déjà liée à la Bande à Baader et semblerait l'ignorer, pourquoi une gauchiste vivrait-elle avec celui qu'elle croit être un banquier (j'ai espéré un jeu plus complexe, mais il était vraiment amoureux d'elle et elle ignorait vraiment qu'il était espion) ; (2) pourquoi Richard, qui dit être la Page 138 qui a éveillé Grenier dit-il que c'est en fait Chance qui a déclenché l'éveil et pas lui ; (3) qu'avait découvert Zimmer au début et qui avait infiltré les Brigades : seulement Ramos et Chance ou aussi des agents français ? mais pourquoi les Français voudraient-ils des agents provocateurs en Suisse ? ; (4) pourquoi Richard a fait tuer Anna Gretz, ce qui n'était pas le meilleur moyen de faire en sorte que Grenier ne trahisse pas pour Chance ; (5) si Chance était le vrai supérieur de Ramos, comment Ramos a-t-il pu tuer Anna sous l'ordre de Richard, (6) pourquoi Grenier ne se retourne-t-il pas plus tôt contre Chance dès que ses agents se font tuer en enquêtant sur lui ; (7) y avait-il vraiment une "Purge" interne des services français comme le craignait Grenier, en plus de la tentative de retournement par Chance ; (8) qu'avait vraiment à gagner Chance en devoilant ainsi sa couverture à Grenier ?

En un sens, ce film d'espionnage est un peu à l'espionnage ce que le "Fantastique" selon Todorov serait au Merveilleux : une hésitation plus qu'une position. Le scénario cherche plus à cultiver le trouble angoissant de la paranoïa qu'à donner un sens cohérent. La conclusion demeure aussi dénuée de sens que les énigmes initiales.

La musique de Morricone est haletante et les acteurs principaux, Ventura et surtout Piccoli, sont excellents (Janda, l'actrice polonaise qui joue Anna me paraît en revanche assez décevante). Michel Audiard ne s'est pas vraiment fatigué pour les dialogues, à part quelques efforts dans la scène entre Lino Ventura et Bernard Fresson sur la vie d'espion. Il y a plusieurs personnages antipathiques qui sont homosexuels (le bibliothécaire Meyer, puis Ramos) et la répétition a peut-être une signification pour Audiard - à moins que ce ne soit qu'une allusion aux chantages que pouvait subir Hoover.

Malgré une abstraction parfois presque formaliste, le film me paraît quand même inférieur aux vrais Le Carré qu'il semble vouloir radicaliser dans l'opacité.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Cela fait vingt-cinq ans que j'essaie de percer le mystère de ce film. Je suis rassuré sur l'état de mes neurones: c'est donc l'obscurité poussée au niveau d'un art méta-littéraire. Merci.
Toz Grecus