mercredi 26 septembre 2007

Analogies théologico-politiques

Bien que ma fièvre ait baissé grâce à un philtre, je repense aux propos répétitifs d'hier.

En gros, ce que je voulais dire peut se résumer plus clairement, j'espère.

Dans la Critique de la raison pratique, Kant définit trois postulats qui ne peuvent être prouvés et il semble leur donner le même statut. Dans l'ordre, les postulats sont 1) l'immortalité de l'âme (nous voulons pouvoir progresser moralement de manière indéfinie et non pas seulement dans les bornes contingentes de notre existence) 2) la liberté (nous devons être la cause première de nos actions, sans quoi nous ne serions pas responsables de ce que nous faisons) 3) Dieu (il doit y avoir une garantie d'un lien entre action juste et bonheur, le Souverain Bien, autrement dit une récompense (et à l'inverse sans doute le châtiment).

Mais je disais qu'on peut opposer le second postulat, la Liberté et les deux autres sur la Récompense, appelons-les les Fins dernières.

En effet, bien que nous n'ayons pas de preuve de la Liberté, elle est une exigence du Devoir. Celui qui ne peut pas faire autrement que ce qu'il fait ne pourrait être responsable s'il ne fait pas son Devoir : Tu dois donc tu peux, si tu ne peux absolument pas, il n'y aurait pas de sens à exiger que tu le doives.

Mais Kant explique que même si Dieu n'existe pas et qu'il n'y a aucune récompense, il y aurait quand même le Devoir (alors que ce serait vraiment le pire des mondes où il y aurait le Devoir mais personne pour pouvoir l'accomplir).

Donc il pose les Fins dernières comme motivations légitimes tout en disant qu'une action purement par devoir devrait être désintéressée. Cela me conduit à penser que si Kant n'était victime de son époque, il devrait critiquer au contraire les motivations de ces Fins dernières. On aurait alors le paradoxe que l'athée qui croit à la mortalité de l'âme et à sa finitude a plus de chance d'agir par pur Devoir puisqu'il ne croit pas dans la récompense. Kant devrait donc exiger un athéisme pratique (même si ce n'est pas un jugement théorique).

Il y a un analogue politique. Kant dit qu'une société de vrais agents moraux n'aurait que des sujets autonomes et donc pas d'Etat. L'Etat est source d'hétéronomie et n'existe que parce que de facto nous avons besoin de la peur du gendarme. La fin dernière d'un "Règne des Fins" devrait donc être une société anarchiste de sujets autonomes, où les sujets s'identifieraient tellement à la Loi morale qu'ils n'auraient plus besoin d'une autorité qui la leur impose. Ce serait une république d'Anges, mais sans Dieu hors de cette Loi qu'ils réaliseraient tous librement.

On a d'ailleurs des raisonnements analogues en Méta-éthique religieuse et en Politique - ce qui est normal comme le concept de l'Etat souverain semble être une projection de la théologie.

On dit souvent que l'Enfer et le Paradis (ou des analogues comme le Karma chez les Indiens) sont nécessaires comme motivations pour que les individus soient justes. Une société sans cette régulation imaginaire par des mythes n'aurait plus que des motivations plus fragiles comme la reconnaissance sociale et la punition. On en déduit alors que sans les mythes des Fins dernières (un Dieu juste et l'immortalité), nous n'avons plus les motivations pour l'action morale. Mais on a vu que ce devrait être le contraire du point de vue de la pure déontologie kantienne. Et les effets actuels du théologico-politiques montrent que souvent le Paradis mythologique sert non pas seulement à cacher le Purgatoire réel mais même de motivation pour créer des Enfers réels.

De même, en politique, on dit que les individus ont besoin de l'Etat pour les punir, sans quoi ils agiraient injustement. Ou alors on dit que l'Etat ne doit surtout pas demeurer Etat-Providence sans quoi il fournirait assez de solidarité pour que l'individu perde la motivation pour travailler. Le problème de la Motivation est le problème central de la sociale-démocratie et on l'accuse de naïveté pélagienne : la "gauche" ignorerait les Effets pervers de la solidarité qui se transformerait en assistanat, la "droite" serait consciente de la méchanceté foncière de l'individu qui a besoin d'être dressé. Un argument de sociaux-démocrates est souvent qu'un Etat-Providence généreux présuppose aussi des vertus civiques sans quoi il s'écroule (de même que la démocratie va tendre vers la tyrannie de la majorité).

Le conservateur classique (qui n'est ni le libéral athée ni le chrétien social, mais un religieux libéral) peut se trouver dans un chiasme étrange. Les conservateurs disent en ce cas à la fois qu'il faut une Autorité juste (Dieu) sans quoi les hommes agiraient mal si on en restait à une auto-régulation, mais qu'il ne faut pas une Autorité solidaire (l'Etat-providence) sans quoi les hommes agiraient mal s'ils ne sont pas contrôlés par l'auto-régulation du Marché et les risques de la rareté. En revanche, je ne vois pas vraiment de contradiction analogue dans le cas du socialiste athée qui dit que la société n'a pas besoin d'un Autorité transcendant l'expérience mais qu'elle a quand même besoin d'une Autorité transcendant le rapport de forces du marché.

En y songeant, je fais toute cette comparaison (sans grand intérêt démonstratif) en feignant de croire que la déontologie kantienne(ce que Bernard Williams appelle de manière hégélienne la Moralité) est convaincante, mais il se peut qu'une éthique des vertus intramondaines n'ait nul besoin de tous ces concepts moraux de Devoir et de Libre-arbitre, et encore moins de tout cet appareillage des Postulats et des Fins dernières.

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