mardi 5 mai 2009

Disposition et exercice



Thomas Legrand faisait un bilan des 20 premiers % de notre longue phase dépressive-badinguetoïde :

La rupture ne signifiait pas qu'on allait changer les mauvaises pratiques mais qu'on les assumerait en plein jour ou même qu'on les institutionnaliserait, comme la nomination directe des patrons de chaines publiques par l'Elysée !

Le vrai changement, il est surtout dans le rythme. Pas toujours dans le rythme de l'exécution des réformes, ni dans la réalité de leur exécution, mais dans le rythme de leur annonce. Le président lui-même occupe le terrain des annonces. On appelle ça du volontarisme si on admire, de l'agitation si l'on est dubitatif. En tout cas, c'est un tourbillon qui met les parlementaires et les commentateurs de la vie politique dans une essoreuse à idées et à images. Une annonce, une initiative chasse l'autre sans qu'on ait vraiment le temps de l'analyser, de l'évaluer.

Il en ressort une impression d'action et d'inachèvement, d'énergie et parfois de manipulation. C'est une stratégie assumée d'occupation du terrain politique. Elle est réussie en ce sens que le terrain est effectivement occupé.

Mais après deux ans de pratique, on peut se demander si ce n'est pas une stratégie destinée à conquérir le pouvoir, voire à le reconquérir... plutôt qu'à l'exercer.


La grande victoire de cette "roue tournant à vide" dont parlait Victor Hugo est de donner l'apparence de l'action et de sembler combler ainsi ce désir français d'un retour de la politique. J'entends toujours la même phrase de justification : "au moins, il fait des choses".

En un sens, c'est peut-être un grave problème institutionnel de la démocratie : n'a-t-elle pas tendance à sélectionner des individus qui sont souvent de meilleurs candidats que politiciens ?

Les dispositions optimales pour être élu viendraient alors contredire les qualités qu'on attend de l'exercice du pouvoir. On a pu dire cela de nombreux Présidents récents comme Chirac - qui n'exista presque qu'en campagne -, mais aussi en un sens Bill Clinton.

La vraie rupture nécessaire dont Badinguet est incapable serait alors de changer de rôle, sans pour autant afficher trop clairement ses trahisons.

Cela n'a rien à voir mais je pensais justement à cette contradiction fréquente entre les dispositions à entrer aussi dans un système de croyances ou dans une profession, qui viennent ensuite en conflit avec la pratique effective. C'est un peu comme ce phénomène que David Lewis appelait les "Finkish Dispositions", dont un effet est d'annuler ou inhiber son propre effet normal dès qu'elles sont mises dans les conditions où elles devraient agir.

Les Chrétiens américains soutiennent plus l'usage de la Torture que les non-religieux. Comme dit Jim Henley, c'est "en memoire de Jésus qui s'est fait homme et a crucifié pour nous Ponce Pilate". Ce n'est pas un paradoxe dans la mesure où les dispositions psychologiques et socio-politiques de culte de l'autoritarisme sont celles qui vont conduire à adopter une position religieuse qui devrait contredire normalement dans son contenu doctrinal toute justification utilitariste de la torture. Les propriétés qui font d'eux des "Chrétiens" sont aussi celles qui les empêchent de l'être, ou du moins d'admettre les applications des croyances qu'ils prétendent désirer professer.

11 commentaires:

Arasmo a dit…

Ta réflexion sur la dichotomie candidat/"praticien" rejoint la mienne. Un des problèmes criants d'un système électoral comme le notre vient du fait que les qualités requises pour être un bon candidat ne sont pas celles exigées par la pratique effective de la politique.

Si l'on va au plus simple, un candidat doit avant tout séduire: son électorat bien évidemment, mais aussi son parti ainsi que ses mécènes. Tous ses efforts sont donc orientés en ce sens, de la composition de son équipe à la teneur de ses discours.
Afin de séduire l'électorat, il est nécessaire non seulement de posséder une allure adaptée à sa cible électorale principale, mais aussi d'asséner des slogans simples que l'on peut justifier par une argumentation disposant d'un minimum de cohérence interne.
Bref, alors que le praticien est censé maîtriser la complexité du réel, le candidat la refuse : il crée de toutes pièces un monde idéal où ses propositions seraient validées. Que ce monde idéal réponde aux aspirations de la majorité de la population, et le voila élu!
Mais la pratique du pouvoir montre qu'il est difficile de gouverner armé seulement de son idéologie: nous en avons eu la démonstration en France non seulement avec Miterrand, mais aussi avec Sarkozy...
Mais il faudrait alors s'interroger sur ce qui constitue les qualités d'un bon praticien de la politique: sens éthique; maîtrise des dossiers les plus importants; capacité d'écoute, de travail et de synthèse; initiative; aptitude à sélectionner, organiser et motiver les membres de son équipe de travail; aptitude à l'autocritique,etc.

(il y a à boire et à manger dans ce que je dis, mais c'est histoire de lancer la discussion!)

Phersv a dit…

Cela dit, je n'étais pas très sérieux, car je ne pense pas que cela soit une sorte de choix exclusif. Et même si cela l'était souvent, il y a encore un avantage à un démagogue (du moins s'il ne reste pas trop longtemps) par rapport à l'extrême opposé, où on n'aurait que des technocrates sans charisme et sans souplesse par rapport aux circonstances et à l'opinion. On peut aussi avoir un orateur assez habile pour arriver au pouvoir mais aussi assez sincère pour tenter ensuite une politique nuancée qui ne se limite pas à la volonté de garder le pouvoir.

Anonyme a dit…

Les démocraties ont peut-être effectivement tendance à sélectionner les bons candidats (les moins mauvais plutôt) sans tenir compte des qualités utiles à l'exercice de leurs fonctions mais, il se trouve qu'une fois élus, ces candidats rencontrent généralement un certains nombre d'obstacles et d'oppositions qui font qu'ils ne peuvent pas se contenter de continuer à n'être que candidats.

La démocratie bonapartiste française ne connait pratiquement pas (moins encore lorsque le président est de droite) de contrepoids au chef de l'Etat. D'où l'existence de présidents-fainéants à la Chirac qui se contentent d'attendre la prochaîne échéance ou de candidats permanents.
Du coup, je me demande à quoi ressemblera le deuxième mandat de NS puisque, pour la première fois, il ne lui sera plus possible de se représenter (où alors à un autre poste. Président de l'Union européenne?).

Fr. a dit…

Ph. scripsit : J'entends toujours la même phrase de justification : "au moins, il fait des choses".Je l'entends aussi, mais je pense que c'est purement rhétorique et que ça ne tient pas dans l'isoloir.

La question est : ce raisonnement va-t-il lui permettre d'être réélu par un sélectorat en 2012 ?

(Hypothèse d'arrière-plan : il se représente. Pour moi, c'est devenu évident il y a quelques semaines.)

Je pense que non, le fait que la roue tourne ne sauvera pas Badinguet du fait qu'elle tourne à vide. L'électeur n'a aucune raison de ne pas chercher à sanctionner tout en évitant les pertes.

Phersv a dit…

En fait, le second mandat me fait encore plus peur que le premier. Iznogoud ne se sera pas assagi mais en plus il prendra encore moins soin de son image, se fichant de ce qui arrive à l'UMP, ce qui va aggraver le pillage du quinquennat. Ensuite, il ira chez Gazprom ou chez Halliburton.

Cela dit, quand je regarde les réformes depuis quelques années, celle qui va sans doute avoir le plus d'effets à moyen terme n'est pas la loi TEPA mais plutôt la réforme du Code du travail, et elle avait en fait été commencée sous Chirac et Villepin.

Nicolas a dit…

>Anonyme:
"Du coup, je me demande à quoi ressemblera le deuxième mandat de NS puisque, pour la première fois, il ne lui sera plus possible de se représenter (où alors à un autre poste. Président de l'Union européenne?)."

Il ne me semble pas que la réforme du quiquennat implique une limitation du nombre de mandats consécutifs. C'est sans doute peu probable dans la pratique, mais comme je vois cette affirmation répétée un peu partout, j'aimerai etre sur.
Quelqu'un pour confirmer?

maruku (es anonyme) a dit…

> Nicolas
Pas le quinquennat, la révision de l'été dernier : article 3 de la loi constitutionnelle du 28 juillet 2008Art. 6 de la constitution : " - Le Président de la République est élu pour cinq ans au suffrage universel direct.
Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs."

Nicolas a dit…

Ok, merci.
Note to self: le monde ne s'arrete pas de tourner quand on est en train de finir d'écrire sa thèse.
Note to self 2: il faut lire en entier les paragraphes des articles Wikipedia:
http://fr.wikipedia.org/wiki/Quinquennat

Thanks!

Damien B a dit…

Fr: "L'électeur n'a aucune raison de ne pas chercher à sanctionner tout en évitant les pertes."

Oui. Si le système démocratique favorise les candidats qui savent séduire, il favorise aussi les électorats qui savent se protéger de la séduction. Les foules ne sont pas toujours stupides.

C'est un peu comme la sélection sexuelle chez les animaux. Une lionne se prend d'amour pour les lions poilus. Si le poil est corrélé à la "fitness" du lion, la descendance de la lionne prospère, jusqu'à ce qu'un lion se fasse pousser une crinière qui n'est plus directement corrélée à sa fitness. C'est sa descendance qui prospère alors. (Les connotations sexuelles de cette analogie ne sont applicables à la politique française qu'à vos risques et périls).

Sur le long terme, il y a une certaine corrélation d'équilibre entre la crinière, la fitness, et le goût des lionnes. La crinière, ce n'est pas la fin de l'espèce, pas plus que le succès des candidats séducteurs n'est la fin de la démocratie.

Autrement dit, il y a encore des chances que Badinguet soit éjecté en 2012.

Fr. a dit…

La structure partisane va jouer et produire un intervalle de possibilité pour le vote-sanction, mais sur l'issue du vote, je n'ai aucun doute. Le scrutin à deux tours va avoir des effets supplémentaires, ce serait intéressant, d'ailleurs, que les politistes modélisent les résultats dans des mondes (de scrutin) possibles.

Phersv a dit…

Oh, le Ganelon hâbleur peut très bien perdre : il est très impopulaire et en plus le contexte n'est pas très favorable.

Mais d'un autre côté, l'opposition est vraiment morcelée : le parti de centre-gauche n'a pas de candidat fédérateur et le candidat de centre-droit n'aurait pas de parti.

Mais ce blog ne fait que de la superstition (comme pour Obama), pas de la prédiction.

J'ai tellement dit que la victoire de NS était impossible en niant les chiffres des sondages que maintenant je dis tout le temps l'inverse pour ne pas être aussi désagréablement surpris.