dimanche 30 août 2009

Examined Life



Depuis hier, Astra Taylor a mis sur YouTube gratuitement son film sur les philosophes contemporains, Examined Life: Philosophy is in the streets (2008) en 9 parties de 10 minutes.

Le documentaire a comme gimmick de faire parler les 8 philosophes anglophones (presque tous très "Continentaux" au sens large) en marche dans les rues de diverses villes, et le thème général est le questionnement philosophique et l'éthique. Il y a dans l'ordre Cornel West, Avital Ronell, Peter Singer, Kwame Anthony Appiah, Martha Nussbaum, Michael Hardt, Slavoj Žižek et Judith Butler.

La première partie commence avec Cornel West (qu'on revoit à la partie 5/6 et à la partie 9), filmé dans une automobile (conduite par la réalisatrice). Il est réduit à une sorte de slogan simplificateur en allitération sur la lettre D qui fait plus penser aux moyens mnémotechniques de management qu'à de la poésie : la philosophie est une lutte du Désire vs Death, du Dialog vs Dogmatism & Democracy vs Domination. Quand il revient dans la 5e partie, il se met à citer des douzaines de références philosophiques ou littéraires mais semble en rester à un discours vaguement existentialiste sur la Finitude et la faillibilité (mais j'aime bien l'idée que la Décomposition cadavérique serait plus intéressante à méditer dans sa concrétude que l'événement "abstrait" de la mort).

Puis Avital Ronell, qui marche dans Central Park, est aussi vide que d'habitude et dit que son éthique, c'est l'ouverture à la contingence absolue de l'être parce que dès qu'on cherche une Signification, on va l'imposer violemment et devenir George W. Bush. Cette oeuvre est sans doute la pire dénonciation de la philosophie qu'on puisse faire (en dehors des escroqueries de Virilio, bien sûr).

On revient à un peu d'éthique un peu plus précise avec Peter Singer, devant les vitrines de New York pour réciter à nouveau son argument utilitariste de responsabilité négative (dès que vous achetez quelque chose d'inutile, vous êtes responsable de la mort de l'enfant du Tiers-Monde que vous auriez pu sauver). Le problème avec le seul philosophe analytique représenté est que c'est une vue systématique qu'on peut résumer facilement mais qui ne semble pas très plausible.

Kwame Anthony Appiah se promène dans un aéroport (qui semble être Roissy CDG ?) et expose son Cosmopolitisme qui se veut non-abstrait en intégrant les normes locales communautaires tant qu'elles accomplissent leurs fonctions. Il donne un bon exemple de norme où on peut être relativiste (norme patrilinéaire ou matrilinéaire) mais ne peut développer la limitation du relativisme culturel (qui devient philosophiquement un risque plus réel que l'éthnocentrisme discrédité).

Martha Nussbaum, en se promenant dans un parc, introduit, assez clairement, son argument en faveur d'une théorie "aristotélicienne" des droits fondée sur les capacités réelles des agents et non pas sur une théorie d'un Contrat social abstrait, mais je n'ai pas compris quelles étaient les conséquences pratiques face à la théorie rawlsienne dans l'accès à des droits-créances comme la santé ou les droits des handicappés.

Michael Hardt rame sur une barque dans le Réservoir Lac de Central Park et tente de réhabiliter le concept de "Révolution", en refusant à la fois une nouvelle hégémonie étatique du prolétariat et le refus de tout pouvoir. Encore une fois, on ne voit pas bien dans quelle direction ce projet révolutionnaire va lorsqu'il dit simplement qu'il s'agit de faire revivre la démocratie ici et maintenant contre ses déviations.

6/7 Slavoj Žižek (sur qui la réalisatrice avait déjà fait un film hagiographique en 2005, Žižek!) choisit de manière plus originale d'être dans une péniche d'ordures et de déchets. Žižek réussit même à rester presque sur un sujet unifié, ce qui est rare chez lui, et il commence par critiquer dans l'écologie une idéologie néo-conservatrice remplaçant l'ordre divin par la Nature, puis il critique la critique de l'écologie politique comme un déni des catastrophes à venir et fait sa synthèse dans la nécessité d'accepter et d'aimer l'artificiel et le déchet à l'intérieur d'un monde sécularisé et désenchanté.

Le dernier entretien est avec Judith Butler et la soeur de la réalisatrice, Sunaura Taylor, handicappée atteinte d'arthrogrypose, en chaise roulante, où elles parlent de la politique du handicap et de l'accessibilité, que Butler compare à la discipline des corps dans la construction sociale des "genders". Il y aurait peut-être un film plus unifié qui aurait tourné autour de ces promenades si le dialogue avait été possible entre Butler, star de la philo continentale à la Foucault-Deleuze, et Nussbaum, star académique plus classique.

Cornel West revient à la fin pour définir notre situation culturelle comme une tentative de se déprendre du Romantisme et sa nostalgie déchirante pour une Totalité perdue, ce qui conduit toujours à une déception vis-à-vis de toute réalisation. Malgré son ton de prédication enthousiaste, et un peu mystique, et son name-dropping incessant, il réussit parfois à suggérer quelques idées.

2 commentaires:

Nicolas a dit…

On ne peut pas ramer sur le Réservoir (meme quand on est philosophe). C'est sur le lac appelé... The Lake.

Merci de pointer ces vidéos.

Phersv a dit…

Oops, je corrige.