mardi 18 août 2009

Domination et Servitude (11/19)




« §11 Mais cette épreuve et ce fait de s'avérer par la mort abolissent tout aussi bien la vérité qui devait en procéder, que, du même coup et pareillement, la certitude de soi-même ; de même en effet que la vie est la position naturelle de la Conscience, l'autonomie sans la négativité absolue, la mort en est la négation naturelle, la négation sans l'autonomie et qui demeure donc dépourvue de la signification de reconnaissance qui était revendiquée. Certes la mort a bien fait advenir la certitude que l'un et l'autre ont risqué leur vie et l'ont méprisée chez eux et chez l'autre ; mais pas pour ceux-là mêmes qui ont passé l'épreuve de ce combat. Ils abolissent leur Conscience placée dans cete entité étrangère qu'est l'existence naturelle, ou encore, ils s'abolissent et sont abolis en tant qu'étant les extrêmes voulant être pour soi. Mais par là même disparaît du jeu de l'échange le moment essentiel qui consiste à se décomposer en extrêmes de déterminités opposées ; et l'élément médian s'effondre en une unité morte, décomposée en extrêmes morts, qui se contentent d'être, ne sont pas opposés ; et l'un et l'autre ne se donnent ni ne reçoivent en retour l'un de l'autre par la Conscience, mais se laissent l'un l'autre simplement dans l'indifférence, comme des choses, libres. Leur action, c'est la négation abstraite, par la négation de la Conscience qui abolit de telle manière qu'elle préserve et conserve ce qui est aboli, et survit ainsi au processus de sa propre abolition. »


La simple confrontation de la mort ne suffit donc pas. Si les deux Consciences de soi s'auto-détruisaient ou se détruisaient mutuellement, elles auraient prouvé leur statut de Consciences libres pour nous - pour l'observateur extérieur de ce phénomène dans la Phénoménologie de l'Esprit - mais cela ne prouverait rien pour elles-mêmes. La Reconnaissance aurait alors été un échec, un match nul, ils auraient si bien aboli leur vie immédiate qu'ils auraient aboli la possibilité de la Conscience de soi.

La mort, comme moment purement négatif, ne vaut pas mieux que la stupide vie immédiate dans sa positivité. Ce n'est pas la mort en soi, comme simple négation de la vie qui va permettre la Reconnaissance, c'est la conscience de la mort, la crainte et l'angoisse de la mort, l'être pour soi de la mort. La Reconnaissance de ce que je suis va passer par une résolution de la mort à l'intérieur de la vie, une vie affrontant et séjournant auprès du risque de son anéantissement. C'est la "survie" comme acceptation d'un être en sursis, d'une vie dans sa finitude.

La vie est l'être "autonome" placé séparément mais sans cette puissance de négativité, la mort est la négation mais privée de cette auto-subsistance séparée. La première séparait sans mettre en relation mais la seconde dissout les deux tant qu'il n'y a pas de vraie relation, elle les laissent chacun "libre" au sens primaire d'une indépendance morte des parties décomposées et non pas encore au sens de la liberté (la mort est caractérisée dans l'Avant-Propos comme une métaphore de l'analyse des éléments par la puissance de l'Entendement).

Il va donc falloir abolir cette abolition unilatérale et parvenir au sens hégélien du "surpassement dialectique" ("préserver et conserver ce qui est surpassé"). La Reconnaissance atteint donc "la mort dans l'âme", synthèse qui va se retrouver encore opposée entre deux manières extrêmes de survivre à cette confrontation.

Dans Princess Bride (1987), l'assassin rusé Vizzini défie L'Homme En Noir dans un "duel de l'esprit", battle of wits to the death, après son duel de force et d'habileté. Vizzini propose de deviner dans quel verre l'Homme en Noir a mis le poison, mais le Serviteur rusé, abuseur abusé, ne devine jamais la ruse qui est que les deux verres sont tous les deux mortels car l'Homme En Noir s'était simplement mithridatisé contre cette "poudre d'iocane". Mais le Duel hégélien ne semble pas permettre la Ruse, alors que dans La Philosophie de l'Esprit (cours professé à Iena en 1805, p. 34) il met la Ruse comme synthèse du Travail et de l'Instrument et victoire de la Féminité (!), avant le Syllogisme de l'Amour et le Syllogisme de la Lutte à mort. Le Maître n'est pas censé "finasser".

3 commentaires:

Tom Roud a dit…

J'adore ce passage de Princesse Bride, j'aime bien aussi lorsque le poursuivant (le roi ?) arrive sur les lieux et parvient à détecter le poison incolore, inodore et insipide.

Sinon, c'est fou : autant je ne comprends rien à Hegel dans le texte, autant le commentaire est limpide.

Phersv a dit…

Ah, l'Homme en Noir est [SPOILER] le damoiseau Westley et le pirate qui est censé avoir tué Westley.

Curieusement, comme dans un autre conte de fée, il transforme en alliés et amis les deux adversaires battus dans la Lutte d'habileté et de force mais pas celui d'astuce, qui y perd la vie.

Merci, cela me redonne un peu envie de tenir au moins une résolution pour cet été !

Tom Roud a dit…

Tiens, ça me donne envie de le revoir ce film . La seule "star" que j'ai jamais croisée à New York est l'acteur qui joue Vizzini, qui s'appelle Wallace Shawn semble-t-il ... C'était dans une ligne de taxi à La Guardia. Il a les cheveux tous gris maintenant, cela m'a fait super drôle de le voir comme ça.

Bon courage pour la suite de la série, c'est vraiment super intéressant. Le billet suivant m'a fait pas mal réfléchir (notamment le passage sur a justification de l'esclavage); le problème parfois sur certains blogs est que lorsqu'on y lit des choses bien, on ne trouve rien de vraiment intéressant à ajouter ... Dans un contexte différent, c'est aussi un peu le problème de la science publiée sur Internet (genre PloS One).