« §18 Mais le sentiment du pouvoir absolu, à la fois en général et dans le détail du service, n'est que la dissolution en soi, et quand bien même la crainte du Maître est le début de la sagesse, la Conscience y est pour elle-même, elle n'est pas l'être en soi. Mais par le travail elle parvient à elle-même. Certes, dans le moment, qui correspond au désir dans la Conscience du Maître, le côté de la relation inessentielle à la chose semblait être échu à la Conscience servante, dans la mesure où la chose y conserve son autonomie. Le désir s'est réservé la négation pure de l'objet et le sentiment de soi sans mélange qu'elle procure. Mais précisément pour cette raison, ce contentement n'est lui-même qu'évanescence, car il lui manque le côté objectif de ce qui est là et subsiste. Tandis que le travail est désir refréné, évanescence contenue : il façonne. La relation négative à l'objet devient forme de celui-ci, devient quelque chose qui demeure ; précisément parce que pour celui qui travaille, l'objet a de l'autonomie. Cet élément médian négatif, l'activité qui donne forme, est en même temps la singularité ou le pur être pour soi de la Conscience qui accède désormais, dans le travail et hors d'elle-même, à l'élément de la permanence ; la Conscience travaillante parvient donc ainsi à la contemplation de l'être autonome, en tant qu'il est elle-même. »
Avec cet avant-dernier paragraphe, on revient de la Crainte de la Mort au concept central du Serviteur : le Travail.
Hegel commence par une distinction assez obscure dans son langage. Pour l'instant, la Conscience du Serviteur est bien parvenu pour elle-même mais pas encore au stade de l'être-pour-soi. Si je comprends bien, cela signifie que la Conscience du Serviteur a saisi ce mouvement négatif, qu'il lui est apparu "pour elle" mais qu'elle ne l'a pas encore pleinement réintégrée, il reste à l'extérieur. C'est le lent Travail qui doit permettre ce processus de reconquête de l'objectivité.
Hegel oppose donc le Désir du Maître et le Travail du Serviteur. Le Désir veut consommer l'objet mais il ne fait qu'exercer une négation "abstraite" de cet objet. Le Désir ne peut pas vraiment saisir cet objet, qui se succède dans le flux de la jouissance, sans aucune médiation hors du Travail du Serviteur qui prépare ces choses pour le Maître. L'objet reste donc dans son autonomie. Le Maître ne pourra pas trouver de vraie reconnaissance ni dans cet objet qu'il consomme sans le comprendre ni dans le Serviteur qu'il néglige.
Au contraire, le Travail est donc ici l'abolition du Désir du Serviteur : "désir refréné". Ce qui est si pénible dans tout Travail est qu'il est justement satisfaction différée, travail non seulement de la chose mais aussi sur soi, contre soi, négation de sa position immédiate.
Le Désir faisait disparaître la chose, le Travail est "l'évanescence contenue", la saisie du devenir où de manière répétée il faut lutter contre une usure du temps, re-préparer, re-nettoyer.
Le travailleur va "façonner" (bilden, donner une forme, une structure). C'est là le terme clé de la Formation, qui en allemand désigne aussi l'éducation, la culture (die Bildung). Toute cette odyssée de l'esprit est un Roman de Formation (Bildungsroman), c'est donc bien un concept central pour la Conscience de soi. Au-delà de ses aventures individuelles ou sociales, la Conscience arrive déjà dans cette forme primitive d'intersubjectivité à ce qui va être la Culture.
Cette Forme que le Serviteur donne à la chose par son Travail est l'expression de cette négativité concrète. De même que la Crainte de la mort avait fluidifié tout son être, le Travail permet de parvenir à l'autonomie de l'objet et à la fluidification de sa forme, dépendante du Serviteur.
Dans la Propédeutique philosophique, IV, 2, B, § 36, Hegel explicite un peu cette relation sur le Serviteur avec un exemple :
« Son travail au service d'un autre est une aliénation de sa volonté, d'une part en soi, d'autre part il est en même temps, avec la négation du désir propre, la formation positive des choses extérieures par le travail, en ceci que, par lui, le Soi fait de ses déterminations la forme des choses et se contemple dans son ouvrage comme un Soi objectif. L'aliénation de l'arbitre inessentiel constitue le moment de la vraie obéissance. (Pisistrate apprit aux Athéniens à obéir. Par là il introduisit les lois de Solon dans l'effectivité et, une fois que les Athéniens eurent appris cela, la maîtrise leur devint superflue.) »
Les deux dernières phrases donne bien une clef politique assez étrange sur le travail et cela peut même paraître assez lointain. Les Athéniens ont dû passer par la tyrannie de Pisistrate et le craindre avant de pouvoir faire passer les lois vers leur effectivité et parvenir à leur forme de liberté et d'équilibre entre l'individu et la communauté.
Illustration : des esclaves romains coiffant leur Maître.
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