mardi 29 mars 2011

Mythe Pasteur

Il serait ridicule de reprocher au film Pasteur de France 2 de reprendre le ton de l'hagiographie (il fut même l'un des rares savants à entrer littéralement dans les saints d'une religion viêtnamienne). Et les sites nombreux contre Pasteur, l'accusant d'être un plagiaire ou bien un fraudeur (ou ces sites anti-vaccins para-scientifiques), ont l'air d'être souvent des "kooks" qui se nourrissent de démystifications narcissiques des Grandes Idoles (on songe au docteur Marat qui tenta vainement de réfuter Newton et contribua à faire exécuter Lavoisier).

Le film utilise bien, comme celui qui était déjà passé (il y a 15 ans) sur Semmelweiss, la colère rétroactive et l'ironie dramatique face à la mauvaise foi des Opposants au Progrès.

Mais le film fait quand même quelques efforts pour introduire un peu de dissonnance et de doutes dans le mythe, malgré un ton héroïque. On rappelle quelques aspects de Pasteur comme sa relative hostilité à la République qui lui tressa tant des lauriers. Il est dit que Pasteur exagère certaines données dans un but purement politique (pour convaincre les médias de la nécessité d'une campagne de vaccination) et ensuite il y a un mensonge réel mais qui est commis par le Dr Roux voulant protéger l'oeuvre du chimiste.

Le film dramatise très bien la Rage comme une sorte de Lycanthropie malveillante mais si on parle tant de ce vaccin anti-rabique n'est-ce pas en partie parce que Pasteur échoua sur le choléra et que c'était donc la science allemande (Robert Koch) qui allait faire ces découvertes sur le choléra ou contre la tuberculose ? Mais le mythe devint ensuite une prophétie qui aida à conforter la science française et l'Institut Pasteur eut sans doute un vrai avantage grâce à cette idéalisation.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Je regrette de n'avoir pas vu ce documentaire, cette question m'intéresse.

Légèrement HS : un des premiers livres de Bruno Latour est précisément consacré à l'avènement de Pasteur. Latour y critique l'exemple par excellence de la marche en avant de la science moderne que constitue la révolution scientifique initiée par Pasteur ; c'est d'ailleurs le seul livre de Latour que j'ai lu.

De mémoire il y soutient que :

- Pasteur et ses disciples présentaient leurs résultats avec un grand sens de la mise en scène
- Les conclusions des expériences de Pasteur étaient exagérées et extrapolées par le lobby des hygiénistes bien au-delà de ce que Pasteur était alors capable de démontrer
- A l'opposé, la corporation des médecins s'est montrée très hostile à l'avancée des idées de Pasteur, quitte à nier des résultats clairs, jusqu'à ce qu'elle soit assurée de sa place centrale dans la nouvelle médecine.

Si je ne partage pas la conclusion de Latour (qui est, si je ne me trompe, que pour expliquer que la société accepte ou refuse une proposition scientifique, la vérité de cette proposition importe peu --- seuls comptent les rapports sociaux entre les acteurs mis en jeu), la description qu'il fait de la réception de Pasteur semble assez crédible. Et c'est vrai qu'elle assez plus cruelle que le mythe qu'on en a retenu.

Ceci dit, c'est vrai que Latour est la seule source que je connaisse sur l'histoire de Pasteur et de sa réception, je serais ravi d'en connaître d'autres et de réenchanter le mythe :-)

Phersv a dit…

Oui, il y a des livres relativement "critiques" sans tomber dans la dénonciation de la vaccination, comme François Dagognet, Pasteur sans la légende, 1994 et Gerald Geison, The Private Science of Louis Pasteur, 1995.

Je ne connais rien hélas au fond mais dans la version du film, ils ont finalement fait surtout une Tragédie sur Emile Roux.

Roux, fondateur de l'Institut Pasteur et premier apôtre, est montré comme plus prudent que Pasteur et même comme plus conscient des problèmes déontologiques des tests sur les patients.

Mais ensuite c'est finalement le même Roux qui va choisir de mentir (cacher un enfant tué par la rage après avoir pris le vaccin) pour protéger le programme de vaccination.

Cette version de Roux fait une allégorie assez originale et nuancée, non pas seulement du "Savant qui a raison contre tous" à la Galilée ou Darwin, mais plutôt du "Savant qui fait un choix éthique discutable pour penser à long terme dans le combat théorique pour la vérité".