- Mon ami helléniste Kyrnos / Theognis m'écrit pour me dire que je commets une erreur dans mon texte sur Homère et la fin de l'Iliade. Je disais qu'Achille n'a pas de vraie "rédemption finale" si c'est Zeus qui lui dit que son destin est de rendre Hector à Priam. Mais comme le dit Theognis, même si Zeus dit souvent la phrase qui choquera tant Descartes, que "le Destin est au-dessus de lui, que même lui ne pourrait pas le changer", Homère n'a pas une vision si fataliste ou déterministe que le pensent les philosophes (et il faudrait lire le livre de Bernard Williams Shame & Necessity pour voir l'archéologie fine qu'il en fait dans la Grèce antique). Zeus admet parfois aussi, de manière contradictoire, qu'il peut infléchir dans les détails certains déroulements même s'il connaît le futur dans les grandes lignes (sinon, toutes les scènes nombreuses de supplications ne serviraient à rien). Achille reste responsable de son choix car il aurait la possibilité de s'obstiner. Il a un peu de recul sur sa colère. Le dieu extérieur correspond ici à sa propre humeur et il ne fait pas que céder le corps à Priam par une sorte de piété ou de déférence envers Zeus.
- Je lisais le jeu de rôle d'Eunostos sur la mythologie grecque, Kosmos, et j'avais oublié une chose qu'il fait remarquer : que toute l'histoire de l'invulnérabilité d'Achille, le Styx et le talon, n'apparaissent jamais chez Homère. Ce sont tous des mythes plus tardifs que l'Iliade. Il n'y a que Héraclès qui soit admis comme vraiment surhumain dans l'arrière-fond de l'histoire, Bellérophon n'a même pas de Pégase (chant VI) alors que la vaillance d'Achille ou d'Enée reste plus humaine. Homère n'aime pas tellement le surnaturel quand il touche directement les humains mais en même temps il ne cesse de faire se rencontrer les mortels et des dieux métamorphosés. Ces métamorphoses des dieux jouent un rôle parfois obscur : le dieu se cache et se révèle aussitôt après comme s'il se cachait seulement par jeu pour voir si le mortel est capable de le reconnaître. Pourquoi Hermès prend-il le temps de se faire passer pour un Grec en aidant Priam alors qu'il décide de lui révéler son identité aussitôt après ?
- Enfin, pour quitter Homère mais en restant sur le statut des dernières Troyennes : L'Andromaque de Racine me paraît sur bien des points meilleure que celle d'Euripide.
Chez Euripide, Ulysse a tué Astyanax à la chute de Troie, Neoptolème a violé sa captive Andromaque et elle a donné naissance à Molossos, bâtard du fils de l'assassin de son mari, Hermione épouse Néoptolème et elle veut se débarrasser d'Andromaque et de Molossos, Andromaque n'est pas isolée comme elle a aussi son beau-frère et futur second mari le devin Helenos (le frère de Cassandre) avec elle.
Chez Racine, Andromaque a pu sauver Astyanax (il y a eu un subterfuge quand les Grecs ont cru tuer le Prince), Neoptolème est vraiment amoureux d'Andromaque et n'a pas abusé d'elle, il veut l'épouser et est même prêt à s'opposer à Ménélas, voire à restaurer la Troie qu'il a détruite, Hermione est sincèrement éprise de Neoptolème et pas seulement jalouse d'Andromaque, même si sa passion va être aussi destructrice, Neoptolème refuse d'épouser Hermione. Comme dit Racine, le lecteur moderne aurait du mal à comprendre que la veuve d'Hector ne se soit pas suicidée et ait accepté de rester auprès de Neoptolème s'il n'y avait pas l'enjeu de l'otage, du dernier fils de Hector. Certes, le vrai centre de la pièce est la passion d'Oreste et celle d'Hermione (donc des deux enfants des Atrides) mais le personnage d'Andromaque a plus de grandeur. En revanche, je n'ai pas compris pourquoi le royaume de Neoptolème est en Epire. Racine confond la Phthie thessalienne avec le pays où partit Molossos chez Euripide ?
Dynamic Reality Gaming
-
*Dynamicland and Dynamic Reality Overview*
As someone who is interested in the intersection of STEM and the arts, I'm
a big fan of Nicky Case's blog, and in...
Il y a 5 heures
2 commentaires:
"Toute l'histoire de l'invulnérabilité d'Achille, le Styx et le talon, n'apparaissent jamais chez Homère.": Ce qui confirme la lecture cynique, et affreuse pour le mythe, de l'affreux, mais amusant, film de Wolfgang Petersen, quand (si je me souviens bien) une femme dit à Achille: "On raconte que tu es invincible", et que celui-ci (Brad Pitt, très convaincant), répond : "Oui, et c'est pourquoi je porte une armure".
Oui, et l'excellente bd Age of Bronze fait aussi ce choix de "démystification". Ce film avait compris certaines choses, comme le thème de la Vie brève mais glorieuse. Leur Hector est pas mal aussi.
Dommage qu'ils aient voulu trop contracter la Guerre (on a l'impression qu'elle dure quinze jours) et leurs deux Atrides sont vraiment trop caricaturaux. Je crois me souvenir que Paris survit aussi dans cette version ?
Enregistrer un commentaire