mercredi 27 septembre 2023

[Vie brève] John Bowring


John Bowring était fils d'un commerçant britannique de tissus qui travaillait déjà avec la Chine au début du XIXe siècle. Il commença à faire des affaires en Espagne pendant les guerres napoléoniennes mais malgré son don peu commun pour apprendre les langues, il n'avait pas beaucoup de chance dans le commerce dans la péninsule. Il devint en revanche un des leaders de l'église "unitarienne" qui était encore privée de ses droits au Royaume-Uni. 

En 1820, deux ans après s'être marié, il rencontra le juriste et philosophe Jeremy Bentham. Bowring avait 28 ans, Bentham 72. Bentham, lui, ne s'était jamais marié, n'a jamais eu de compagne (même s'il a eu des correspondances amoureuses) et reste comme l'un des premiers philosophes à avoir rédigé une défense morale de la dé-criminalisation de l'homosexualité. Bentham écrivit aussi un livre entier pour dénoncer comme Antéchrist Paul de Tarse (celui qui a introduit dans le christianisme les condamnations les plus célèbres de l'homosexualité). Je ne connais aucun biographe qui considère Bentham comme un homosexuel dans le placard mais l'hypothèse paraît assez vraisemblable. En tout cas, Bentham fut pris d'enthousiasme pour le jeune marchand qui commençait à défendre les thèses libérales et réformistes du Parti whig sur la liberté des échanges. Bowring devint un des auteurs de la Westminster Review, la revue dirigée par James Mill (le père de John Stuart Mill et ami de Bentham). Bowring écrivait surtout sur le libéralisme économique mais il défendait aussi des thèses plus radicales sur l'abolition de l'esclavage, de la peine capitale ou pour le droit de vote des femmes. 

Bowring continua diverses aventures commerciales, aussi dans la Grèce qui était en train de se libérer des Ottomans et on l'accusa de ruiner les finances du vieux Bentham. Bentham échoua à le faire nommer Professeur à Londres mais Bowring réussit à soutenir aux Pays-Bas une thèse sur la littérature néerlandaise. Bowring compose des Hymnes pour l'Eglise unitarienne et il publie des traductions de poésie allemande, espagnole, russe, serbe et polonaise. 

Bentham, qui avait du respect pour sa culture polyglotte, en fit son exécuteur testamentaire, juste avant de mourir en 1832 "dans les bras de Bowring". C'est donc Bowring qui se chargea de publier les oeuvres complètes du philosophe (dont il censura les textes sur la sexualité). Le travail dura dix ans en onze volumes. 

En 1835, il est élu député en Ecosse mais perd ce siège dès 1837. Il est ensuite élu en 1841 dans le Lancashire. Il devient de plus en plus un spécialiste des missions internationales à travers l'Europe et en Egypte. Il publie une traduction de poésie magyar puis de poésie tchèque et investit massivement dans une des premières compagnies ferroviaires de Londres, ce qui le laissera à nouveau ruiné. 

En 1846, les Whigs reprennent le pouvoir avec comme Premier Ministre Lord John Russell (1792-1878), le grand-père du futur Bertrand Russell, et Palmerston comme éternel Ministre des Affaires étrangères. John Bowring, ruiné, est nommé Consul à Canton et il tente de négocier avec l'Empire de la Dynastie Qing. 

Il est anobli par le Vicomte Palmerston (devenu Premier Ministre) et devient Gouverneur de Hong Kong en 1854, en pleine Guerre des Taiping. 

Le poste est dangereux. Sir John Bowring doit s'opposer à la fois (1) aux autorités coloniales comme il demande (un peu) plus de représentation démocratique et (2) aux autorités chinoises comme il prétend lutter contre la corruption de l'administration (mais au nom des intérêts commerciaux britanniques). Avec la Guerre de l'Opium en 1858, il est victime d'un empoisonnement à l'arsenic auquel il survit mais qui tue son épouse et il devient nettement plus conservateur. Il est accusé de corruption et notamment d'avoir soutenu les affaires des entreprises de son fils en Chine. Il soutient donc la Seconde Guerre de l'Opium au nom du libre-échange et de l'accès au marché de Canton mais il est rattrapé par ses scandales. Son poste se termine en 1859 et il se remarie. Il sera envoyé au Royaume du Siam, à Singapour et à Hawaii puis dans divers pays d'Europe comme négociateur représentant le Royaume-Uni. Le Roi Rama IV Mongkut du Siam (1804-1868 - célèbre personnage du Roi et Moi) a tellement d'amitié pour Bowring qu'il lui donne la nationalité thaïlandaise et le fait ambassadeur de son Royaume. Il revint mourir dans son Exeter natal en 1872. 

Sir John Bowring prétendait pouvoir parler une centaine de langues et en comprendre encore plus mais il semble avoir eu une certaine tendance à l'exagération sur ce point. 

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