jeudi 29 janvier 2009

Discriminations au Paradis



Ce comic-strip d'aujourd'hui a une de mes questions philosophiques favorites, celui de la signification et des bornes du relativisme ou de l'historicisme.

En gros, sachant qu'on ne peut être complètement relativiste absolu en morale (l'esclavage, c'est mal, et cela est vrai même dans une société où 100% des individus, y compris les esclaves, l'accepteraient comme une évidence) mais qu'en même temps on sait bien que nos représentations morales sont vraiment dépendantes de notre société et qu'on ne saurait exiger de quelqu'un d'être un Génie moral transcendant 99% de son époque, comment va-t-on juger le passé ?

C'est bien résumé par le paradoxe théologique final : soit on dit que tout le passé est exclu du Ciel, soit que le Ciel est empli d'une majorité de salauds (Dante avait un problème similaire avec le statut des vertueux païens, et le Purgatoire servait aussi à cela).

D'un côté, je trouverais idiot de reprocher à Aristote d'avoir été pour l'esclavage puisque personne - autant qu'on sache - ne formulait de critiques (même s'il est étonnant de voir la faiblesse de ses arguments qui semblent montrer une vraie dissonnance cognitive) mais de l'autre je trouverais choquant qu'on pardonne trop facilement à Washington, Jefferson ou Napoléon qui avaient, eux, toutes les ressources du Siècle des Lumières pour savoir que l'institution était répréhensible (et je ne parle même pas des derniers défenseurs au XIXe siècle).

(Voir aussi le raisonnement de Lévi-Strauss : on peut défendre que des valeurs morales sont relatives à un contexte de justification, sans qu'on nie pour autant toute hiérarchisation possible de valeurs morales à l'intérieur de certains cadres : Lévi-Strauss peut dire à la fois que la société industrielle n'est pas absolument supérieure à une société non-industrielle "sans histoire" mais que dans les sociétés industrielles les démocraties sont vraiment supérieures à des Etats totalitaires.)

Quand je lis Rousseau, Du Contrat social, il y a des passages trop abstraits ou idéologiques (je continue à ne pas comprendre ce que veut dire la Volonté générale concrètement tant elle paraît retirée dans le transcendantal), mais la critique de l'esclavage en I, 4 est incroyablement brillante, au point qu'elle se rapproche presque d'une réfutation logique rigoureuse du concept alors que cela paraît impossible en morale - c'est même meilleur que la plupart des applications kantiennes de l'impératif catégorique dans la Doctrine de la vertu qui donnent toujours une impression de passe-passe. Rousseau n'a pas fait qu'attaquer l'esclavage, il en détruit toute justification possible et rien que pour ce chapitre I, 4 je peux lui pardonner les passages défendant la peine de mort, le pouvoir absolu du Peuple Souverain en corps législatif ou les bienfaits pour les moeurs d'une "religion civile".

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