mercredi 21 janvier 2009

La morne désillusion des hautes attentes



  • Déjà un Inauguration Speech Generator qui vous défie de faire mieux qu'Obama en choisissant des verbes et différents termes.



  • Le discours d'inauguration d'Obama m'a fait penser à celui de Bill Clinton en 1993 (notamment ces métaphores sur la glace qui fond, celles sur l'Amérique comme une tâche à accomplir ou un Voyage sont assez traditionnelles). Le passage sur le Leadership est obligatoire dans tout discours de ce genre (Carter sera toujours honni des Américains pour avoir laissé entendre que le pays traversait un "malaise").

    Rien de très excitant ou de mémorable, au point qu'on en est un peu restreint à remercier Obama d'avoir dit - ce qui devrait aller de soi pour tout nation pluraliste ou libérale au sens de Mill, Berlin et Rawls - que l'Amérique n'était pas seulement une nation chrétienne mais aussi musulmane, juive, hindoue (et les Bouddhistes alors ?) et "sans croyances" (des "unbelievers").

    Au moins, Obama n'a pas reculé malgré la tentative de d'instrumentalisation des Athées qui le citent en exemple de libre-penseur ayant enfin réussi. Alors qu'on sait qu'un Hispanique gay musulman (combinaison difficile à imaginer) aurait vraisemblablement un peu plus d'éligibilité qu'un athée pour l'instant.

    On avait de trop hautes attentes parce qu'Obama écrit certains de ses discours lui-même et que le discours de Philadelphie qu'il rédigea sur les questions raciales est tellement habile qu'il est sans doute l'un des meilleurs orateurs politiques contemporains.

  • Il y avait de nombreux passages qui sonnaient comme Nouveau Démocrate de la Troisième Voie, appelant à la valeur travail et la responsabilité individuelle, et l'éloge de la "prise de risques".

    Mais j'ai ri à l'inversion totale du thème sarkozyste sur la Valeur-Travail :

    It is the kindness to take in a stranger when the levees break, the selflessness of workers who would rather cut their hours than see a friend lose their job which sees us through our darkest hours.


    La réduction du temps de travail n'y est certes pas une obligation légale mais elle est décrite comme un exemple de vertu morale et d'altruisme, sacrifier son revenu pour l'emploi d'un ami.

    Il ironise par allusion aussi contre Reagan qui disait que le Gouvernement était le problème (The question we ask today is not whether our government is too big or too small, but whether it works), mais ajoute aussi que la responsibilité doit aussi s'attaquer aux programmes gouvernementaux s'ils ne sont pas efficaces, ce qui est typiquement "clintonien" pour récuser l'image du Démocrate socialisant.

    Plus à gauche, l'équilibre en les vertus du Marché et celle de la justice sociale :

    Nor is the question before us whether the market is a force for good or ill. Its power to generate wealth and expand freedom is unmatched, but this crisis has reminded us that without a watchful eye, the market can spin out of control - that a nation cannot prosper long when it favours only the prosperous.

    The success of our economy has always depended not just on the size of our gross domestic product, but on the reach of our prosperity; on the ability to extend opportunity to every willing heart - not out of charity, but because it is the surest route to our common good.


    Ces formules semblent sorties directement du libéralisme politique de John Rawls (qui se définit comme la priorité de la justice sociale comme "égalité des opportunités" sur une conception préétablie de la bonne vie ou du bien commun).

  • Une des rares citations du discours vient de Thomas Paine, le plus radical Aufklärer et plus francophile des "Pères Fondateurs" (il n'appartenait pas lui-même au Congrès mais fut élu à la Convention française, étant sans doute trop hostile à l'esclavage et aux religions organisées pour être éligible). C'est un clin d'oeil à la gauche démocrate.

  • Pas beaucoup de choses originales, mais j'ai été légèrement surpris par un détail dans une des énumérations :

    For us, they fought and died in places Concord and Gettysburg; Normandy and Khe Sahn.


    Il est rare d'associer ainsi une victoire (tactique) des vétérans du Vietnam à la Guerre d'Indépendance, la Guerre entre les Etats sur l'esclavage et la Guerre contre l'Axe. Peut-être une allusion à Bruce Springsteen.

  • Certains comme Sullivan font de cette surprenante platitude du discours une sorte de vertu d'humilité : Obama aurait voulu baisser le ton messianique, les morceaux de bravoure rhétorique par souci de réserve ou de retenue devant les défis.

    De même Hertzberg (qui écrivait des discours pour Carter - et qui fait aussi la même blague à laquelle on a tous pensé sur Cheney/Folamour) pense aussi qu'Obama aurait très bien pu écrire une "montée en puissance" rhétorique et que ce choix de la grise prose du monde est en partie intentionnel mais reste décevant.

  • A l'inverse, ce message par un Néo-Zélandais m'a fait rire en trouvant que cela restait trop "romain", monumental, symbolique et grandiose :

    I'm struck by the sheer weirdness of American political rhetoric. It reads like something from the nineteenth century or Battlestar Galactica - all Bible quotes and historic mission and shaping our destiny and tested by god. It's difficult to imagine any New Zealand politician saying anything like this with a straight face - or a New Zealand audience not simply gawping at its purple pomposity. But then, we see our country as a place we live in, not some great historical project. We know our unimportance, so we are not obsessed with its "greatness" and whether it will wax or wane. And whether it "continues" or not we see as a decision for outside forces, or (on a sufficiently long time scale) geology - not the politician d'jour. Basically, we don't care about leaving a mark on history. New Zealanders aren't the sort of people to build pyramids (though we have built a henge). Americans are. And that's what their political rhetoric is best seen as: rhetorical pyramids.


    Il est normal que la Puissance hégémonique (et qui se voit vraiment comme une République Impériale en même temps que "colonie émancipée", même si leurs troupes restent moins longtemps pour l'instant que celles de l'impérialisme européen du XIXe siècle) tienne ce langage si exalté, mélange de Messianisme wilsonien, de Destinée manifeste, d'exceptionalisme. Les Américains sont des insensés qui se prennent pour des Américains, non qu'il y ait quoi que ce soit de mal à cela. Demander de la sobriété cynique ou post-moderne aurait quelque chose de ridicule dans une nation moins ironique que leur ancienne métropole britannique (mais il est difficile de juger de l'extérieur : les Américains prétendent souvent que ce sont au contraire les Français dans leur ressentiment décliniste qui sont les plus dénués de sens de l'ironie).

  • Dick Cheney fait vraiment penser à un savant fou ou un dentiste nazi en fuite dans un vieux pulp.



    On s'attend à ce qu'il parte sur un Zeppelin en criant : "Ah, ah, Kapricorne, du ne m'auras chamais !"

    Ach, quelle SCHNITZENGEZUNGENHUYDEN.
  • 3 commentaires:

    versac a dit…

    Excellent, magnifique, inspirant, jusqu'à Dick Cheney. Je ne parle pas du discours, pour lequel je partage la désillusion de l'attente trop forte, mais quels commentaires !

    Quand je te lis, dans mon flux, j'ai la rare conscience de lire une pépite inaccessible aux autres. Comme un petit cadeau bien gardé. Thanks.

    Anonyme a dit…

    D'accord avec Versac.
    Merci pour la référence à Thomas Paine que je ne connaissais pas du tout; c'est fou un anglais devenu député français pour finir dans la misère aux US !

    Phersv a dit…

    > versac
    Merci ! Alors, tu es revenu aussi sous un autre nom ?

    > Tom Roud
    Thomas Paine est aussi mon héros parce que j'ai du mal avec son ennemi juré Edmund Burke, le théoricien du conservatisme dont se réclament aujourd'hui les oakeshottiens.

    Paine me semble avoir une très bonne position pendant la Convention (un peu comme Condorcet) : farouchement républicain mais en même temps contre l'exécution de Louis XVI (il vote pour l'exil aux USA, il y aurait un roman de sf à écrire sur cette uchronie), anti-esclavage (contrairement à George Washington ou Thomas Jefferson).

    En revanche, je crois que l'autre étranger de la Convention qui fut guillotiné en 94, l'Allemand Anacharsis Cloots, fut moins modéré que l'infortuné philosophe des Lumières Paine.